dimanche 3 août 2014

Nicolas Sarkozy au secours de la bancarisation en Afrique: voir l'Afrique et vivre éternellement!

(Article publié le 03 août 2014)


Le 25 juillet 2014, s'est tenue à Brazzaville la troisième édition du Forum Forbes Afrique avec comme thème: "Les défis de la bancarisation: construire le modèle Africain". L'ancien président français Nicolas Sarkozy était l'invité surprise de la rencontre. Sa présence en ces lieux et le montant de sa prestation tarifée soulèvent plusieurs questions.

Près de deux siècles après l'implantation des premières agences bancaires dans les pays africains, l'Afrique est la région la moins bancarisée au monde. Neufs Africains sur dix n'ont toujours pas accès aux services bancaires. La troisième édition du Forum économique de Brazzaville avait comme thème: "Les défis de la bancarisation: construire le modèle Africain".


La grande vedette de cette rencontre a été sans nul doute Nicolas Sarkozy. L'ancien chef d'Etat français, récemment mis en examen par la justice de son pays pour "corruption active, trafic d'influence et recel de violation du secret professionnel" dans le cadre d'une enquête sur un trafic d'influence présumé, a écourté ses paisibles vacances afin de se rendre à Brazzaville. Selon le journal français L'Express, il toucherait pour sa participation au Forum "à titre d'"ami", 100.000 euros".
Autorisons-nous deux questions: Nicolas Sarkozy possède-t-il les qualifications requises pour faire une intervention à ce forum? Serait-il l'un de ses nombreux spécialistes de l'Afrique?


- Les compétences bancaires de Nicolas Sarkozy?


De tous les sites Internet qui proposent la biographie de Nicolas Sarkozy, j'ai choisi le site le plus partisan, celui de l'association de ses amis. Le choix de ce site "de valorisation de l'action et du parcours de Nicolas Sarkozy" est une façon de me rassurer de la complétude de ma démarche. De ce que j'ai pu lire, je n'ai trouvé aucun élément qui puisse prouver ses qualifications bancaires. Ni du point de vue académique, ni du point de vue professionnel, encore moins au niveau de la production intellectuelle.


- Nicolas Sarkozy est-il un expert de l'Afrique?


Le 26 juillet 2007, devant un parterre d'étudiants, d'enseignants et de personnalités politiques réunis à l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, Nicolas Sarkozy en sa qualité de chef d'Etat français a prononcé une allocution très controversée, connue sous le nom de "Discours de Dakar". Voici un extrait de cette intervention: "Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. (...) Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. (...) Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. (...) Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique de le dire, il est là." Quelle humiliation pour l'Afrique !
Sa méconnaissance de l'histoire africaine n'est plus à démontrer. Même si une vingtaine d'intellectuels et universitaires africains ont cru devoir lui répondre dans un ouvrage collectif : "L'Afrique répond à Sarkozy: Contre le discours de Dakar". Le 6 avril 2009, sa compatriote et adversaire politique Ségolène Royal déclara à Dakar: "quelqu'un est venu ici vous dire que "l'homme africain n'est pas entré dans l'Histoire". Pardon pour ces paroles humiliantes et qui n'auraient jamais dû être prononcées et qui n'engagent pas la France."


Que cache le cachet?


Si l'information de l'Express se confirmait, Nicolas Sarkozy aurait perçu pour moins d'une heure d'intervention l'équivalent du salaire moyen (SMIG à 90 000 FCFA, 2012) de 730 Congolais. Dis autrement, un smicard congolais travaillerait plus de 60 ans avant de toucher ce que l'ancien président français aurait empoché en une heure de prestation sur le sol congolais.


100.000 euros c'est l'équivalent de la consommation alimentaire (en riz de qualité) d'une famille africaine (avec une moyenne de 7 personnes) pendant 183 ans. Le temps nécessaire pour que l'Afrique puisse doubler son taux de bancarisation (de 10% à 20%).


Je vais forcer le trait en contextualisant l'image. Cent mille euros représentent le salaire qu'un dirigeant d'une banque africaine, de 25 ans d'expérience, perçoit en 4 ans de dur labeur. Sous un autre angle, la rondelette somme représente le salaire mensuel de 50 banquiers africains passionnés par leur métier et maîtrisant leur marché, qui n'ont pas eu la chance de figurer dans la short-list des "VIP" du Forum.

Quoi qu'il en soit, Nicolas Sarkozy a bien apprécié son séjour brazzavillois. Il aurait affirmé que "parler en public ça peut donner des idées". Voilà qui est bien dit et noté.


Le miroir déformant


Le forum a réuni autant d'intervenants africains (dont une dizaine de chefs d'Etat) que d'invités non africains. Attardons-nous sur ces deux groupes et osons deux questions: combien sont les panélistes africains qui détiennent des comptes à l'étranger et avec des avoirs qui sont déclarés au fisc de leur pays? Combien sont les invités étrangers qui entretiennent des comptes en Afrique? Pour dire vrai, je n'ai pas la réponse. Mais j'ai quelques indices.

En Europe, une législation claire et stricte encadre parfaitement la détention de comptes bancaires à l'étranger afin de parer à tout risque de blanchiment de capitaux. Par exemple, l'ouverture et la détention d'un compte bancaire à l'étranger par une personne physique domiciliée et établie en France sont parfaitement légales. Mais la loi prévoit une obligation de déclaration à l'administration fiscale. Ainsi, les sommes détenues sont fiscalisées comme si elles étaient perçues en France.


Pour ce qui est de l'Afrique, la situation est simple et complexe. Tout est dans les textes mais rien -ou presque rien- ne tombe dans la cagnotte publique. Jugez-en vous-même! Selon Thabo Mbeki, la fuite des capitaux coûte chaque année entre 50 et 60 milliards de dollars à l'Afrique, soit quatre fois l'intervention du groupe de la Banque Mondiale sur le continent qui a été de 14,5 milliards de dollars en 2013. Et la destination finale de cette somme colossale est le secteur bancaire étranger. Qui contribue à la bancarisation de qui? Qui finance l'économie de qui?


Avec ce montant, en raison d'un investissement surestimé de 100 millions de francs CFA (environ 152.000 euros) par guichet bancaire, les banques pourraient étoffer leur réseau de distribution de l'ouverture de près de 26.000 agences par an (plusieurs fois le stock actuel). Sur cette base, et avec une moyenne de 4.000 clients par agence, il y aurait plus de comptes bancaires en Afrique que d'âmes qui y vivent. Il faut rappeler que la norme internationale est de 5000 habitants pour un guichet. Dans la zone UEMOA, le ratio est d'une agence pour 54.000 personnes. En France, il est actuellement de 1712.


Conclusion


Que nous arrive-t-il? Avons-nous tiré toutes les leçons du passé? Ainsi s'indignait récemment un dignitaire religieux malien s'adressant aux autorités politiques de céans. Je ne peux que me retourner la même interpellation. Qu'avons-nous fait de l'Afrique, cette vieille dame au silence écouté, qui nous a tout donné et à qui nous avons tout refusé?


Les oreilles des populations africaines ont été tellement travaillées par les gouvernants et les intellectuels à coup de fausses promesses, de fausses vraies réalisations distillées à travers meetings, forums, sommets que je doute qu'elles puissent encore entendre. Pour réinstaller la confiance, il sera utile de faire appel à des "orthophonistes" d'un tout autre genre.


Et des alternatives existent. Par exemple, si les Africains accordaient un moratoire d'une année à l'Afrique, en arrêtant de faire sortir illégalement l'argent du continent et en l'investissant dans la promotion de la bancarisation, l'Afrique serait sur-bancarisée. Par contre, si la tendance actuelle se poursuivrait (standalone), l'Afrique mettrait cinq siècles pour bancariser seulement la moitié de sa population. Et pour couvrir l'ensemble du continent, le rendez-vous serait en l'an 3014!


Alors, il ne nous reste plus qu'à prier pour que nous ayons la vie éternelle ici-bas. Le général De Gaulle ne disait-il pas sur cette même terre africaine de Brazzaville, un certain 30 janvier 1944, que "vivre chaque jour c'est entamer l'avenir". Alors, vivons pour l'éternité!

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