Depuis huit mois, le groupe Ecobank est au cœur de l’actualité financière africaine. En cause, de fortes allégations de mauvaise gouvernance émises en son sein dont il peine à se défaire. Dans la perspective de la tenue de l’Assemblée Générale extraordinaire (AGE) du 03 mars 2014, les lignes bougent et les fissures s’installent au sein du groupe panafricain. Quatre des plus proches collaborateurs du DG du Groupe réclament sa démission.
A l’époque, de l’aveu même du DG de Ecobank (ETI), la situation était jugée difficile. Aujourd’hui, je crains qu’elle ne soit devenue préoccupante. Et pour utiliser une métaphore empruntée à la circulation routière, le feu est passé de l’orange au rouge. Le code, tout au moins la sagesse, recommande d’y observer une pause. Et de prendre les bonnes décisions avant de repartir.
A ce stade de la réflexion, il y a deux dimensions dans l’affaire ETI qui m’intriguent même si je les avais déjà déflorées dans un billet précédent consacré à la gouvernance bancaire en Afrique :
- Si le Directeur Général n’avait pas voulu relever le Directeur Financier pour motif de « défaut de qualification », la tenancière du poste allait-elle dénoncer avec forces détails des actes présumés graves de mauvaise gouvernance (manipulation de comptes, rémunérations indues, conflits d’intérêts,…) ?
- Si le projet de réorganisation du conseil d’administration, semble-t-il porté par le Directeur Général, n’avait pas prévu la suppression des postes d’administrateurs exécutifs (administrateurs salariés), les quatre hauts cadres de ETI allaient-ils demander la démission du Directeur Général ?
En cas de réponse affirmative, peut-on alors en déduire que la seule motivation des « frondeurs » est la défense de leurs intérêts personnels ? Si non, quelle est la portée réelle des précédentes décisions prises à l’unanimité des membres du conseil d’administration pour faire bloc autour des premiers dirigeants du Groupe (PCA et DG) et être rétifs aux fortes et insistantes allégations portées par l’ex-Directrice Financière ? Et cette question en cache une autre :
- Qui donc, au sein de ETI, défend réellement les intérêts des 19 000 salariés, des 10 millions de clients et de ces centaines de milliers d’actionnaires ? Ou bien, peut-on aimer le foie gras sans se préoccuper de la vie des canards ? Ou bien quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui doit en faire les frais ?
L’ancien PCA, non sans résistance, a eu le nez fin et l’oreille avisée en rendant le tablier. S’en ait suivi le départ récent de deux autres administrateurs.
Le feuilleton médiatico-financier de ETI se poursuit avec son lot, presque quotidien, de révélations. Attention ! L’argent a horreur du bruit. Et je m’empresse d’ajouter du bruit rampant et assourdissant.
Il y a un peu plus de 15 ans, dans une entreprise similaire aux mensurations plus modestes, j’avais vécu une expérience de bataille au sommet de l’entreprise entre le PCA et le DG. Résultat des courses :
- Les clients, les administrateurs et les salariés s’en sont mêlés
- Mise sous administration provisoire de l’entreprise
- Le Président du Conseil d’Administration, le Directeur Général et le Directeur Général Associé ont été remercié
- Climat social lourd et délétère basé sur le clanisme
- Gel des avancements et des salaires
- Suspens énormes dans les comptes internes
- Absence de stratégie et manque de visibilité
- Mauvaises performances commerciales et financières
- Risques opérationnels importants et grandissants,…
La petite entreprise a fait 5 longues années, dans le « couloir de la mort », avant de voir le bout du tunnel. Et deux années plus tard elle a été privatisée sur insistance des institutions financières de Bretton Woods.
Bref, vous l’aurez compris : ETI rentre dans une phase critique de la turbulence dans laquelle elle s’est installée depuis huit mois.
Maintenant, examinons les différents scénarii qui peuvent se dessiner pour l’AGE du 03 mars 2014, ne serait-ce que dans le compartiment de la gestion opérationnelle de la banque :
1- Confirmation du Directeur Général en son poste : pour ce cas, le statut et le sort des « frondeurs » doit être tranché in situ. Recourir à un Comité ad ’hoc (de sages) pour le faire ne peut que retarder une situation déjà intenable et la rendre par la suite ingérable. Comme le disait Clémenceau, un dromadaire est un chameau dessiné par une commission. Il y rentre avec une bosse, il en sort avec deux.
2- Révocation ad nutum du Directeur Général : ce cas suppose la désignation immédiate d’un autre DG et la gestion (financière) du départ de l’actuel (que dit son contrat ?). Faut-il choisir parmi les « frondeurs » au risque de mécontenter ceux qui n’ont pas été choisis ou faut-il faire appel à une autre source extérieure au risque de tomber dans le même travers ? Ou simplement, pour la deuxième fois faut-il faire appel à l’ancien DG, le sauveur éternel ? Un dicton malien le dit si bien : retourner à son ancien mari pour une femme n’est pas un mal soi, cela ne fait qu’allonger la liste de ses connaissances.
3- Report de l’Assemblée Générale Extraordinaire (l’ « AGE ») : L’AGE devient houleuse, les problèmes sont si complexes que la situation du DG de ETI n’a pas pu être tranchée. Là, on atteint le cran supérieur du gravissime. Pour éviter un tel enlisement, il faut mettre le temps à profit (encore qu’il soit temps et si ce n’est déjà fait) pour bien préparer la rencontre. Même si le climat interne peut ne pas s’y prêter. Parce que lorsque les échanges entre le DG et ses proches collaborateurs se font par mails et par personne interposée (PCA intérimaire), il y a lieu de s’interroger et de s’en inquiéter.
A bien observer la canne, le bas est droit. Ce n’est qu’à partir du haut qu’elle se courbe. Si vous êtes d’accord avec ce proverbe arabe, alors vous avez tout compris à la problématique de la gouvernance bancaire en Afrique. Un sage disait que le temps est un grand maître, il règle bien des choses. Il use l’erreur et polit la vérité. Alors, faisons lui confiance comme Euripide.
Cheickna Bounajim Cissé
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