dimanche 3 août 2014

Mondial 2014 : la «faim» justifie-t-elle les moyens ?

(Article publié le 12 juillet 2014 par Financial Afrik)


Le 24 juin, lors du match Uruguay-Italie, Luis Suarez mord, à pleines dents, l’épaule du défenseur italien Giorgio Chiellini. L’international uruguayen, qui est à sa troisième morsure de sa carrière, est lourdement sanctionné par la Fifa. Les mordus du foot accusent le coup. Ils garderont longtemps une grosse dent contre le feu follet des Reds. Retour sur cette actualité mordante et croquante.




Luis Alberto Suarez Diaz, à l’état civil, plus connu sous le nom de Luis Suarez et surnommé « El pistolero », est l’attaquant vedette de la Celeste uruguayenne. Il a eu une saison sportive très faste avec son club Liverpool. Il a été le meilleur buteur du championnat anglais et a été élu meilleur joueur par ses pairs et la presse.


A 27 ans, c’est un joueur d’exception qui sait tout faire sur un terrain de football. Autant avec ses pieds, sa tête, ses mains et ses dents. Il marque de superbes buts. Il arrête le ballon comme un gardien de but. Il profère quelques propos malveillants. Et ce n’est pas tout. Il mord tout ce qu’il peut attraper par les dents. Tout, ou presque, de ses adversaires est bon à croquer : cou, bras, épaule.

Des dents en « or massif »

Le 24 juin 2014, Luis Suarez trompe la vigilance de l’arbitre en mordant l’épaule de l’international italien Giorgio Chiellini. La Fédération internationale de football association (Fifa) n’a pas hésité à avoir la main lourde. Sa commission de discipline, habilitée à sanctionner des infractions ayant échappé à l’arbitre, n’a pas accordé de circonstances atténuantes au joueur uruguayen, au vu des images vidéo accablantes du geste querellé, et probablement des antécédents défavorables du joueur récidiviste. Il a été suspendu neuf matchs avec l’équipe nationale uruguayenne et privé quatre mois de toute activité dans le football.

Les dents de Luis Suarez risqueraient d’être les plus chères au monde. L’empreinte qu’elles ont laissée sur l’épaule du défenseur de la Squadra Azzura pourrait coûter au bas mot 3,7 millions d’euros à l’attaquant vedette de Liverpool. Cette petite fortune est l’équivalent de 107 kg d’or. C’est aussi le salaire annuel de près de 250 anglais (plus de 22 équipes de football) émargeant au Smic !
Quelle désolation pour son pays, l’Uruguay, grande nation de football qui fut la première équipe détentrice du trophée de la Coupe du monde en 1930 ! Quelle perte pour son nouveau club, Barcelone, qui va rater le premier tiers de la saison sans son buteur patenté ! Quelle tristesse pour les fans de la star uruguayenne !

Marque de fabrique : la morsure

Luis Suarez n’est pas à son coup d’essai. C’est un multirécidiviste, un habitué de la morsure. Il collectionne les bévues et les maladresses. Son évolution est protéiforme. Selon le quotidien anglais the Daily Star rapporté par le site butfootballclub.fr, il a déjà mordu cinq autres joueurs du temps où il évoluait en Uruguay. Si l’on en croit cette information, le décompte des morsures du virevoltant attaquant de la Celeste va bien au-delà des trois citées officiellement.

Première morsure : le cou d’Otman Bakkal

Le 22 novembre 2010, lors d’un derby du championnat néerlandais, entre et l’Ajax d’Amsterdam et le PSV Eindhoven, Luis Suarez mord au cou le joueur marocain du PSV, Otman Bakkal.
Le « mordeur » écopera d’une suspension de sept matchs de championnat, infligée par la fédération hollandaise de football. Il lui sera attribué le sobriquet peu flatteur de « cannibale de l’Ajax » par le quotidien Amstellodamois De Telegraaf.

 Deuxième morsure : le bras de Branislav Ivanovic

Le 21 avril 2013, lors du match de Premier League opposant Liverpool à Chelsea, l’enfant terrible du football uruguayen remet le couvert. Il mord le bras du défenseur des Blues, Branislav Ivanovic.
Plus tard, Luis Suarez se confondit en excuses sur son compte Twitter: « Je suis triste de ce qui s’est passé cet après-midi. Je présente mes excuses à Ivanovic et au monde du football pour mon comportement impardonnable. Je suis désolé !! » La fédération anglaise lui inflige une suspension de 10 matchs pour ce geste pour le moins inapproprié.

Troisième morsure : le cou de Georgio Chiellini

Le 24 juin 2014, lors du dernier match de qualification du groupe D du Mondial brésilien, Luis Suarez rebelote. En pleine surface de réparation adverse, il plante ses dents dans l’épaule du défenseur italien Georgio Chiellini. On jouait à la 80ème minute et le score était nul entre l’Uruguay et l’Italie. Malgré la protestation très « fair-play » du joueur transalpin montrant les traces de morsure sur son épaule, l’arbitre ne daigna pas sanctionner la faute. Et ce n’est pas la première fois que le buteur des Reds échappe à la vigilance de l’arbitre.
La Fifa se saisit de l’affaire. Elle inflige à Luis Suarez une sanction exemplaire : suspension de 9 matchs internationaux et interdiction de jouer pendant 4 mois. Cerise sur la morsure : une amende de 100 000 francs suisses, soit environ 82 000 euros. C’est la plus lourde sanction de l’histoire de la coupe du monde. L’attaquant des Reds ne pourra reprendre le chemin des terrains qu’à la fin du mois d’octobre prochain.
Après avoir nié en bloc qu’il ait mordu un adversaire, Luis Suarez s’est finalement repenti dans les réseaux sociaux : « Après plusieurs jours passés à la maison avec ma famille, j’ai pu retrouver mon calme et réfléchir à ce qui s’est vraiment passé lors du match Italie-Uruguay, le 24 Juin 2014. Indépendamment des retombées et des déclarations contradictoires qui sont apparues au cours de ces derniers jours, qui ont toutes été sans l’intention de nuire à la bonne performance de mon équipe nationale, la vérité est que Giorgio Chiellini a souffert physiquement d’une morsure qui était le résultat d’un choc avec moi. Je regrette profondément ce qui s’est passé. Je m’excuse auprès de Giorgio Chiellini et de toute la famille du football. Je promets au public qu’il n’y aura plus jamais un autre incident comme celui-ci. » Dont acte !
Selon le site rtl.be citant le journal britannique Daily Mail, le FC Barcelone s’intéresserait à Luis Suarez. « L’attaquant uruguayen pourrait gagner 50 millions d’euros pour jouer 5 ans à Barcelone – mais seulement s’il accepte une “clause spéciale anti morsure” ». Cette disposition « rarissime » couvrirait le club catalan de tout préjudice éventuel qui naîtrait d’une nouvelle récidive de Suarez « à la fois sur et en dehors du terrain ».

Le football : le business d’abord ?

L’antijeu de Luis Suarez a créé le buzz sur le net. La presse et les réseaux sociaux s’en régalent. Dans le business du football, on ne jette rien. Tout est bon pour faire du fric. Certaines sociétés de jeux et de restauration rapide se sont emparées de l’incident pour en faire un levier promotionnel de leurs produits. « Salut Luis Suarez, s’il vous vient une petite faim, venez croquer une bouchée de Big Mac » s’épanche la filiale uruguayenne de la firme américaine dans un tweet vu par plus de 78 000 personnes !

 Le football n’est plus simplement un plaisir. Cette dimension a été reléguée au troisième plan, comme le dessert. Et l’apéro, c’est la communication tous azimuts. Le vrai plat de résistance c’est la finance, l’argent-roi. Même la Fifa, l’instance internationale de régulation, n’est pas à l’abri des scandales financiers. Les conditions d’attribution au Qatar de l’organisation du Mondial 2022 font toujours jaser avec de forts soupçons de corruption.

- Les activités de billetterie lors de la phase finale de la Coupe du Monde, jadis l’essentiel des recettes de la Fifa, ne représentent aujourd’hui qu’une mince partie de ses revenus. L’instance internationale engrange pas moins de 16 milliards de dollars de revenus auprès de ses différents sponsors. C’est l’équivalent des recettes budgétaires annuelles des huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).

 - Selon le dernier classement annuel du cabinet d’audit et de conseil Deloitte, publié le 23 janvier 2014, les revenus cumulés des 20 clubs les plus riches du monde totalisent 5 393 millions d’euros. C’est l’équivalent du PIB de trois pays de la Zone Franc : le Togo, la Centrafrique et les Comores.

- Selon la presse spécialisée, Wayne Rooney pourrait être le prochain joueur le mieux payé au monde avec un salaire annuel de 18 millions d’euros (soit juste 1 million d’euros plus que Cristiano Ronaldo et 2 millions plus que Lionel Messi). Si la revalorisation de son contrat se confirmait, l’attaquant vedette de Manchester United touchera environ 2 142 euros par heure, soit presque deux fois le salaire mensuel d’un smicard de ce pays !

- En septembre 2013, le Réal de Madrid pour s’offrir les services du jeune milieu de terrain de Tottenham, Gareth Bale, aurait déboursé la somme record de 100 millions d’euros, faisant ainsi de l’international gallois le joueur le plus cher du monde et non le mieux payé du monde. Il ne perçoit que 15 millions d’euros par an !

Un geste inacceptable mais pardonnable

 Quand des millions de jeunes enfants, amoureux du ballon rond, laissent tout – même l’école – pour s’adonner à leur passion, en collectionnant posters, maillots et autographes des stars du football, en adoptant leur nom et en imitant leurs gestes, on ne peut pas minimiser l’anti-jeu de Luis Suarez. Que leur écrire ? Que leur dire ? Que mordre fait partie du football ? Que si tu as une petite « faim » en plein match, tu peux mordre ton adversaire ? Ou que la morsure est un « accident » qui fait partie des aléas du football ? En un mot comme en mille, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?
Bien sûr que non, ces arguments ne sont pas recevables. Comme le dirait l’autre, on ne peut pas tout pardonner au talent. A ce niveau de sollicitude, l’international uruguayen a intérêt à maîtriser ses pulsions et à se doter d’autres « coupe-faim ».

C’est vrai qu’on oublie souvent que les stars de football sont d’abord des joueurs, certes bien payés et très en verve, mais des joueurs qu’à même. Et avant, pendant et après, des humains. Avec des comportements, des attitudes, des réflexes d’humain. Et là, l’argent et la gloire ne peuvent rien face à l’intensité de l’engagement. Bien au contraire, ils mettent de la pression, exacerbent les passions et n’autorisent pas la compassion. Tant pis pour les caméras indiscrètes, les ralentis vidéo, les oreillettes des arbitres, les yeux de lynx et les âmes sensibles !

 Il faut donc reconnaître qu’avec les assauts répétés des nouvelles technologies, le football – sa pratique et son encadrement – n’est plus ce qu’il était il y a quelques décennies. Pour les Pélé, Eusobio, Salif Keïta et autres pratiquants de leur génération, le football était d’abord un jeu avant d’être un enjeu. Un sport sain où la joie, le plaisir, la solidarité et le fair-play étaient toujours au rendez-vous. Bien avant l’argent roi, le football business.

Aujourd’hui, les gestes et les humeurs des joueurs sur la pelouse sont épiés par des milliards d’internautes, des millions de téléspectateurs, des milliers de spectateurs, des centaines de spécialistes, des dizaines de caméras aussi minuscules que grotesques. A tel point que les joueurs, pour s’offrir quelques instants d’intimité entre eux, échangent par litote en mettant la main devant la bouche. Peut-être qu’au prochain millénaire, les footballeurs resteront aux vestiaires et leurs esprits « competiront » sur le terrain, comme par désenchantement !

Conclusion

La morsure inacceptable et récidivante de Luis Suarez restera une des images fortes de ce Mondial 2014. Un incident que l’on veut vite oublier. Tout comme la fracture à une vertèbre du jeune prodige brésilien Neymar privé de son rêve de monter sur le toit du monde. Et l’Espagne, champion du monde en titre ? Eliminée dès la phase de poule, la sélection espagnole a terminé au funeste rang de 23ème sur 32 équipes en lice, non sans avoir été battue 2 à 0 par une surprenante équipe chilienne qui se qualifia pour le second tour.
Si la vache est maigre pour la Roja, elle n’est pas non plus grasse pour les équipes africaines. Leur piètre performance collective est à l’image de l’état du continent : beaucoup de potentialités et peu de résultats probants. En 44 ans de participation à l’événement mondial, l’Afrique n’a pas réussi à placer une seule équipe dans le dernier carré d’as.
Quoi de mieux que de graver sur l’airain l’incroyable parcours du petit poucet du groupe « de la mort », le Costa Rica. Les Ticos ont réussi à se hisser à la première place de leur poule, laissant pantois les champions du monde italiens, uruguayens et anglais.

Quelle belle image que celle qui nous a laissée cette sympathique équipe colombienne. Les Cafeteros, éliminés en quart de finale, pourraient décrocher le titre de meilleur buteur (James Rodriguez avec 6 buts) et de meilleur passeur de la compétition (Juan Guillermo Cuadrado avec 3 passes décisives). Comment aussi ne pas retenir, dans cette prolifique compétition, les exploits de ces gardiens de but qui nous ont émerveillés par leurs arrêts spectaculaires ? Que dire de l’historique déculottée infligée par la Mannschaft à une méconnaissable équipe brésilienne, tétanisée par l’enjeu : 7 buts à 1.

Mais, dimanche 13 juillet sera un autre jour. Une pétillante finale de coupe de monde Argentine-Allemagne attend la planète football. Et ça, ça va accrocher !




Cheickna Bounajim Cissé

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