(Article publié le 30 mai 2014 par Les Echos (Le Cercle))
L’Afrique subsaharienne attire de plus en plus d’investisseurs. Tous les grands groupes bancaires sont en train de mener une offensive tous azimuts sur le continent. Quelles sont les conditions requises pour s’implanter en zones CEMAC et UEMOA ? Après avoir traité du sujet lié à la politique d’expatriation, dans un précédent article, nous abordons ici la question du capital minimum requis.
L'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) est un ensemble économique composé de huit États d’Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, dont l'institut d'émission est la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). Quant à la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), c’est un espace économique formé de six États d’Afrique centrale : le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad, avec comme institut d'émission, la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC).
Avec 143 millions de consommateurs, les deux ensembles appartiennent à la zone franc dont la monnaie (FCFA) est arrimée à l’euro selon une parité fixe (1 euro = 655,957 francs CFA). Ils présentent plusieurs points de convergence :
- La même langue officielle : le français ;
- La même règlementation des affaires : le droit des affaires commun est promu par l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) dotée d’une institution arbitrale, la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) ;
- La même monnaie : le franc CFA dont la valeur est garantie par le Trésor public français, même s'il n’est pas interchangeable entre les deux zones. Dans la CEMAC, le franc CFA signifie franc de la Coopération Financière en Afrique centrale avec comme code XAF. En zone UMOA, le franc CFA n’a ni la même signification (franc de la Communauté Financière Africaine) ni le même code (XOF).
L’analogie se poursuit aussi au niveau de certains agrégats économiques et financiers :
- Presque le même niveau de production (PIB) : 45 992 milliards XAF (environ 70,1 milliards d’euros) pour la CEMAC et 40 244 milliards XOF (61,3 milliards d’euros environ) pour l’UEMOA en 2012 ;
- Presque le même taux de croissance économique : 5,2 % pour la CEMAC et 6,4 % pour l’UEMOA en 2012 ;
- Presque le même niveau de bancarisation : moins de 10 % de la population issue des deux zones a accès aux services bancaires.
Ce contexte, extrêmement favorable pour un groupe bancaire à réseau élitiste (banque de niche) ou à réseau large ( mass market), permet d’essaimer, à faible coût et dans un délai raisonnable, un modèle économique unique avec des légères variantes liées à la prise en charge des spécificités locales.
Quel est le capital minimum requis pour implanter une banque en zones CEMAC et UEMOA ? Quels en sont les aspects réglementaires ? Quelle est la réalité sur le terrain ?
I) Aspects réglementaires
a) Zone CEMAC
Texte de référence : règlement COBAC R-2009/01/portant fixation du capital social minimum des établissements de crédit
"Article 1er – Les établissements bancaires ayant leur siège social sur le territoire de la CEMAC doivent disposer d’un capital social minimum égal à 10 milliards de FCFA.
Article 4 – Les établissements de crédit de la CEMAC en activité avant l’entrée en vigueur du présent règlement bénéficient d’une période transitoire de cinq ans à compter du 1er juin 2009 pour s’y conformer. À cet effet, toutes les banques doivent porter leur capital social à au moins 5 000 millions à fin juin 2010, à 7 500 millions à fin juin 2012 et à 10 000 millions à fin juin 2014 tandis que tous les établissements financiers devront porter leur capital au moins 1 000 millions à fin juin 2010, à 1 500 millions à fin juin 2012 et à 2 000 millions à fin juin 2014".
Résumé : En Afrique centrale, dans la zone CEMAC, pour les établissements en activité avant 2009, le capital social de XAF 10 milliards (environ 15 millions d’euros) n’est obligatoire qu’à partir de fin juin 2014. Par contre, pour tous les établissements de crédit créés (en cours ou à créer) à partir de 2009, ils ont été assujettis au capital minimum de XAF 10 milliards.
b) Zone UEMOA
Texte de référence : Avis n° 01/2007/rb du 2 novembre 2007 aux banques et établissements financiers relatif au relèvement du capital social minimum des établissements de crédit de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA)
Le Conseil des ministres de l’Union a décidé, en sa session ordinaire du 17 septembre 2007, de relever le capital social minimum applicable aux banques de l’Union Monétaire ouest-africaine (UMOA) à 10 milliards. En application de cette décision, il est précisé que :
• Le capital social minimum est porté, dans une première phase, à 5 milliards pour les banques, à compter du 1er janvier 2008. Les banques et établissements financiers en activité doivent se conformer à ces nouveaux seuils au plus tard le 31 décembre 2010 ;
• Les nouveaux seuils sont applicables aux demandes d’agrément en qualité de banque ou d’établissement financier introduits à compter de la date d’entrée en vigueur de la mesure ;
• La date d’application du seuil de 10 milliards pour les banques sera indiquée à l’issue de la première phase.
Ces éléments sont par ailleurs contenus dans le Dispositif prudentiel applicable aux banques et aux établissements financiers de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) à compter du 1er janvier 2000 qui dispose : "En application de l’article 34 de la nouvelle loi portant réglementation bancaire entrée en vigueur le 1er avril 2010, le montant du capital social minimum des banques est fixé à 5 milliards de FCFA à compter du 1er janvier 2008 dans tous les États de l’UMOA. Il sera porté à dix (10) milliards de FCFA à une date à fixer par le Conseil des ministres".
Résumé : en Afrique de l’Ouest, dans la zone UMOA, pour les banques en activité, le capital social minimum doit être de XOF 5 milliards (environ 7,5 millions d’euros) depuis le 1er janvier 2011. Pour ce qui est de l’effectivité du relèvement du seuil à XOF 10 milliards (environ 15 millions d’euros), les autorités communautaires (Conseil de ministres de l’UMOA) n’ont pas encore statué sur une date de mise en vigueur. Par contre, pour les banques créées (en cours ou à créer), il est requis un capital compris entre 5 et 10 milliards (appréciation faite par la BCEAO et la Commission bancaire lors de l’instruction du dossier d’agrément).
II) Aspects pratiques
Le capital minimum de FCFA 5 milliards en vigueur dans l’UMOA depuis le 1er janvier 2011 n’est pas respecté par tous les établissements de crédit en activité. Selon le dernier rapport annuel de la Commission Bancaire de l’UMOA, il y avait encore 24 banques à fin décembre 2012, soit 23 % de l’ensemble du secteur bancaire, qui ne respectaient pas cette norme prudentielle.
La question suivante s’impose : si, après un délai de cinq ans, 1 banque sur 4 n’arrive toujours pas à respecter le minimum réglementaire de FCFA 5 milliards (environ 7,5 millions d’euros), quelle situation prévaudrait lorsque l'obligation sera faite aux assujettis de relever leur capital social à 10 milliards de FCFA (environ 15 millions d’euros) ?
Sous ce prisme, une extrapolation hasardeuse, mais probable devrait ramener le nombre de banques de 105 banques à moins d'une cinquantaine dans la zone UEMOA.
D’autant plus que cette nouvelle norme est même insuffisante par rapport à la pratique observée dans d’autres pays sur le continent.
- Au Maroc, le capital minimum d’une banque est fixé à 200 millions de dirhams (environ 18,2 millions d’euros) suivant la loi n°34-03 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés promulguée par le dahir n° 1-05-178 du 15 Moharrem 1427 (14 février 2006) ;
- En Algérie, d’après l’ordonnance n° 0311 du 26/08/2003 relative à la monnaie et au crédit, le capital minimum requis pour une banque est fixé à 10 milliards de dinars (100 millions d’euros environ) ;
- En Tunisie, la loi bancaire n° 2006-19 du 2 mai 2006 modifiant la loi 2001-65 du 10 juillet 2001 dispose que toute banque doit justifier, lors de sa création, d’un capital minimum de 25 millions de dinars (soit 11,275 millions d’euros).
En Afrique de l’Ouest, au Ghana, le capital minimum réglementaire a été relevé à 60 millions de cédi ghanéen (environ 22 millions d’euros) en 2012. Il devrait atteindre prochainement 120 millions de cédi ghanéen (44 millions d’euros) dans le cadre de la poursuite de l’assainissement du secteur bancaire.
Au Nigéria, la banque centrale exige un ticket d’entrée plus élevé. La restructuration du marché bancaire intervenue en 2005 dans ce pays a nécessité le relèvement du capital social des banques de 200 millions de nairas (1,3 million d’euros) à 25 milliards de nairas (163 millions d’euros). Cette vaste "opération d’aseptisation" a permis de réduire drastiquement le nombre de banques qui est passé de 89 à 25. Elle a surtout contribué à l’émergence de véritables "champions bancaires", capables de rivaliser avec leurs géants sud-africains.
Et, les résultats sont là. Dans un article publié dans le Financial Times en août 2010, Jim O’Neill, chef économiste chez Goldman Sachs et inventeur de l’acronyme "BRIC", prédisait que le Nigeria pourrait bien, en 2050, peser plus lourd que le Canada, l’Italie ou la Corée du Sud. D’autres experts présagent que le Nigéria serait la plus grande puissance économique de l’Afrique à l’horizon 2030.
Selon les prévisions de la Standard Chartered Bank, le Nigéria pourrait bien passer devant l’Afrique du Sud plus tôt que prévu avec un PIB projeté de 357 milliards de dollars à l’horizon 2023. Récemment, avec la révision de la méthode de calcul du PIB du Nigéria, les institutions internationales l’ont reclassé au premier rang des économies africaines. Même si, pour reprendre à notre compte la formule du journaliste Adama Wade, l’embonpoint n’est toujours pas un signe de bonne santé.
Conclusion
Investir en Afrique est une véritable opportunité pour les groupes bancaires étrangers, panafricains, multirégionaux et régionaux qui y découvrent un grand boulevard de croissance externe. Pour plusieurs d’entre eux, notamment magrébins, la moisson est fructueuse. En moins de sept ans d’activité, la participation des filiales subsahariennes dans la formation du produit net bancaire (PNB) agrégé varie entre 25 % et 30 %. C’est pourtant loin d’être le chemin le plus difficile. Tant tout – ou presque – est à faire ou à refaire sur ce continent. Le vrai challenge est de se maintenir, et même de renforcer ses positions, dans ce Nouveau Monde qu’est devenu l’Afrique.
Cheickna Bounajim Cissé
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