samedi 26 janvier 2019

Les curiosités du franc CFA - Curiosité n° 2 : "La garde de l’or des banques centrales africaines en France".


L’économiste et banquier Cheickna Bounajim Cissé vient de publier « FCFA - Face Cachée de la Finance Africaine » (Ed. BoD, 2019). L’auteur révèle, entre autres, les étrangéités de cette monnaie septuagénaire. En voici quelques extraits du chapitre 4. Focus sur la curiosité n° 2 : "La garde de l’or des banques centrales africaines en France".




P 212-229

Au cœur des contrastes dans l’espace zone franc, le dépôt de la quasi-totalité du stock d’or des PAZF se trouve en France, et cela sans commune mesure avec les exigences conventionnelles.

En effet, les réserves en or détenues par les banques centrales africaines de la zone franc sont de 42,7 tonnes à fin décembre 2017, ainsi réparties : BCEAO (1 174 234,76 onces d’or soit 36,5 tonnes), BEAC (201 865,827 onces d’or soit 6,2 tonnes), et BCC (insignifiant). Ce volume ne correspond qu’à 1,7 % de l’encaisse-or de la Banque de France (2 436 tonnes[1]).

(…) Au 31 décembre 2017, le volume du stock d’or détenu par la BCEAO s’établit à 1 174 234,76 onces (36 522,7837 kg), soit environ 36,5 tonnes d’or. La contre-valeur de ces actifs est de 811 milliards de FCFA, contre 840 milliards un an plus tôt. D’après l’institution communautaire, la diminution de 29 milliards de FCFA des avoirs en or est liée à la dépréciation du cours moyen de l’once d’or sur la période. La méthode de comptabilisation est précisée dans la note d’information sur les états financiers 2017

(…) Seuls 10 % des avoirs en or de la BCEAO sont détenus sur le territoire de l’UMOA. L’essentiel (90 %) est en dépôt dans les coffres de la Banque de France pour une valeur estimée à 728 milliards de FCFA à fin décembre 2017.

(…) Selon les données d’août 2016 de International Financial Statistic[2], les plus gros détenteurs d’or dans le monde bancaire sont : les États-Unis (1er, 8 133 tonnes), l’Allemagne (2e, 3 378 tonnes), le Fonds monétaire international (3e, 2 814 tonnes), l’Italie (4e, 2 451 tonnes), la France (5e, 2 435 tonnes), la Chine (6e, 1 823 tonnes), la Russie (7e, 1 499 tonnes) et la Suisse (8e, 1 040 tonnes). Ils représentent 78,6 % des réserves d’or mondiales détenues par les banques centrales. Le cas de la Suisse est un peu atypique. Environ le tiers de ses réserves en or est détenu à l’extérieur : 20 % en Angleterre et 10 % au Canada. Entre 2000 et 2008, à la suite d’une décision du Parlement helvétique de supprimer le lien entre l’or et le franc, la Banque nationale suisse (BNS) a vendu 1 550 tonnes d’or[3]. Le stock résiduel est de 1 040 tonnes d’or.

L’UMOA (8 pays réunis), avec 36,5 tonnes d’or détenues par sa banque centrale (BCEAO), est classée à la 50e place mondiale, loin derrière certains pays africains : l’Algérie (25e, 173 tonnes), l’Afrique du Sud (29e, 125 tonnes), la Libye (31e, 116 tonnes), l’Égypte (41e, 75 tonnes).

(…) C’est tout de même curieux que toutes les banques centrales du monde puissent aimer l’or, (encadré no 10) au point d’en raffoler, et que sous nos tropiques, les instituts d’émission puissent presque se passer de ce « métal éternel » et même s’en lasser. D’abord, en ne conservant qu’une partie très modeste, voire insignifiante (0,12 %) des réserves d’or des banques centrales dans le monde (estimées à 30 000 tonnes[4]). Ensuite, que ce quantum puisse être pratiquement stable durant des décennies, alors que plusieurs États membres de l’UMOA sont de gros producteurs d’or. Ceux-ci ont produit 104,2 tonnes d’or (Mali 46,5 tonnes, Burkina Faso 36,4 tonnes, Côte-d’Ivoire 20,1 tonnes, Niger 1,2 tonnes) en 2015 pour une valeur totale de 2 615 milliards de FCFA. Enfin, plus surprenant, que la garde de la presque totalité (90 %) des avoirs en or de l’UEMOA soit confiée à la France. Lors de son passage au Burkina Faso, le président Emmanuel Macron a rappelé aux étudiants l’importance de l’or pour une banque centrale : « Si vous aviez une banque indépendante, vous devriez avoir des réserves [en or] de cette banque centrale pour avoir de la crédibilité par rapport à vos partenaires internationaux.[5] »



Le prétexte est tout trouvé pour feuilleter les archives de la Banque de France, et ainsi exhumer d’autres curiosités historiques. Combien de gens savent que la France, apeurée et tétanisée par l’envahisseur allemand, est venue en grande pompe et à toute pompe, confier à Kayes, une bourgade modeste de l’ex-Soudan (actuel Mali), située en Afrique subsaharienne, la garde de 1 100 tonnes d’or, presque la moitié de son stock d’or, environ 10 % des réserves d’or des banques centrales du monde à l’époque et, aujourd’hui, près de 10 ans de la production aurifère agrégée des 8 pays de l’UEMOA ?

(…) Le 26 août 1944, quand le général de Gaulle descendait, fièrement et triomphalement, l’avenue des Champs-Élysées, les caves de la « Souterraine » étaient désespérément vides. La France était libre, mais elle était essorée par 4 ans de conflit meurtrier (541 000 morts dont 330 000 pertes civiles), avec des dégâts matériels et financiers estimés à plusieurs centaines de milliards de francs. Selon les historiens, plus d’un million de ménages français (sur un total de 12,5 millions) étaient sans abri, des villes entières avaient été rasées (dont Brest, le port d’embarquement de l’or en direction du continent africain). C’est dire combien la situation économique et financière de la France était difficile, presque désespérée.

Qu’aurait été la France, sa reconstruction post-guerre et pré-plan Marshall (intervenu trois longues années après la fin des hostilités), sans la disponibilité de ces 1 100 tonnes d’or ? Que serait devenu, aujourd’hui, le système bancaire français sans l’aide inestimable des « indigènes » africains, ces valeureux et téméraires « tirailleurs sénégalais », extrêmement « attachés à la consigne », pour protéger et sécuriser le patrimoine aurifère du peuple français, si convoité par l’Allemagne nazie ? Pour le directeur général honoraire de la Banque de France, Didier Bruneel, conseiller auprès du gouverneur pour les questions historiques, l’or rapatrié d’Afrique a été vital pour l’économie française. Il a été utilisé pour la reconstruction du pays, et a servi à la soudure jusqu’à la mise en place en 1948 du plan Marshall.

Tout cela appartient à l’histoire commune franco-africaine, et les spécialistes se chargeront de l’effiler. Contentons-nous, dans ces lignes, de résoudre les questions prégnantes du présent, et d’envisager l’avenir avec plus de sérénité. 


Comment comprendre, aujourd’hui, que les dirigeants africains puissent faire le chemin inverse en allant confier la garde de leurs réserves d’or à la France ? Sont-ils, à leur tour, sous la menace d’une « armée d’occupation » ? Ironie du sort : 77 ans après avoir hébergé et sécurisé la moitié du stock d’or du peuple français [soit l’équivalent de 22 ans de production d’or au Mali ou 30 fois le niveau actuel des réserves d’or des 8 pays de l’UMOA réunis], Kayes n’abrite même pas une agence auxiliaire de la BCEAO, quand bien même presque toutes les banques commerciales du pays y possèdent déjà des agences ! Pourquoi les États de l’UEMOA continuent-ils de stocker de l’or si leurs réserves de change assurent une couverture plus que correcte de leur émission monétaire (plus de 3 fois le niveau requis) ? Pourquoi garder 90 % du stock d’or de la BCEAO en France ? Pourquoi ne pas utiliser (et non vendre) tout ou partie de ces avoirs en or pour lever des fonds nécessaires au financement de l’économie des pays de l’UEMOA qui en sont les vrais propriétaires ? Pourquoi un pays producteur d’or comme le Mali (3e en Afrique) ne peut-il pas se faire payer en nature par les multinationales qui exploitent ses mines d’or et stocker sa part de dividendes en métal jaune à la BCEAO pour en faire un levier de financement et en céder, au besoin, lorsque les cours mondiaux s’apprécient ? 


(…) Interpellé par un étudiant le 28 novembre 2017 à l’université de Ouagadougou sur l’existence de l’or du Burkina Faso en France, Emmanuel Macron esquissait un semblant de réponse, en défiant même son auditoire[6] : « Si quelqu’un peut me dire où l’or burkinabè se trouve caché à Paris, je suis preneur ? (Silence.) Il n’y en a pas, il faut être sérieux. Il ne faut pas avoir des discours simplistes sur des questions compliquées. » Face à la réprobation de la salle surchauffée, le président français en mettait une seconde couche : « Il n’y a pas un Français qui utilise l’or du Burkina Faso. […] Tout le monde va se calmer. […] Moi je n’utilise pas l’or du Burkina Faso pour faire quoi que ce soit, il n’est pas chez moi, il est chez vous ![7] » 
Mépris ? ou méprise de la part du président français ? De deux choses l’une, soit il était mal informé (ce qui est peu probable en regard de son statut), soit il s’était mal exprimé (ce qui n’est pas souhaitable eu égard à sa stature.) Dans tous les cas, à un certain niveau de responsabilité, on ne doit pas se permettre des affirmations gratuites. Il pouvait (quoi de plus facile pour un président de la République française) interroger les comptes de la BCEAO et même les livres de la Banque de France, qui sont même publiés en ligne. En les feuilletant, il se serait passé d’une telle inexactitude, tout aussi surprenante que malheureuse. En effet, d’après les états financiers certifiés de la BCEAO[8] à fin décembre 2016, 90 % de ses réserves en or (soit 1 054 521,73 onces d’or) appartenant aux 8 États membres de l’UMOA, y compris le Burkina Faso[9], sont bien gardées dans les coffres de la Banque de France à Paris. Cette situation qui prévaut depuis des décennies est confirmée sans équivoque dans les comptes 2017 de la BCEAO[10].

A suivre…





Cheickna Bounajim Cissé, FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine, (Editions BoD, 452 pages, 29 euros). Contact : cbcisse@yahoo.fr

Économiste et essayiste, il est le Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE (Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur d’un Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme de l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications, dont « Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016), il se définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de l’Afrique.





[1] Rapport annuel 2017 de la Banque de France ; en ligne : www.netfirst.fr/rapport-annuel/banque-de-france-2017/pdf/pdfweb.pdf
[2] En ligne : www.gold.fr/informations-sur-l-or/guides/reserves-dor-des-banques-centrales
[3] En ligne : www.swissinfo.ch/fre/politique/votation-du-30-novembre_faut-il-sauver-l-or-des-suisses-/40793630
[4] Au total, les réserves d’or mondiales dépassent les 31 347 tonnes, selon le Conseil mondial de l’or, soit environ 20 % du stock d’or de la planète ! (en ligne : www.lefigaro.fr/societes/2012/08/17/20005-20120817ARTFIG00409-l-immense-tresor-cache-des-banques-centrales.php)
[5] Vidéo en ligne : www.youtube.com/watch?v=R-BmmwwxuAw
[6] Extrait de l’intervention d’Emmanuel Macron à l’Université de Ouagadougou le 28 novembre 2017 : « Si quelqu’un pouvait me dire où l’or burkinabé se trouve caché à Paris, je suis preneur, il n’y en a pas, faut être sérieux. » ; en ligne : http://afrique.lepoint.fr/actualites/burkina-faso-l-ambiance-monte-avant-le-discours-d-emmanuel-macron-28-11-2017-2175663_2365.php
[7] Vidéo en ligne : www.youtube.com/watch?v=R-BmmwwxuAw
[8] En ligne : www.bceao.int/IMG/pdf/bceao_-_etats_financiers_au_31-12-2016_vf_sans_couleur_.pdf
[9] Statuts de la BCEAO : article 1er « La Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ci-après dénommée “la Banque Centrale”, est un établissement public international constitué entre les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) ; article 3 « Le capital de la Banque Centrale est entièrement souscrit à parts égales par les États membres de l’UMOA. »
[10] En ligne : www.bceao.int/sites/default/files/2018-04/BCEAO%20-%20Etats%20financiers%20au%2031-12-2017.pdf

Les curiosités du franc CFA - Curiosité n° 4 : "La fuite des capitaux de la zone franc".


L’économiste et banquier Cheickna Bounajim Cissé vient de publier « FCFA - Face Cachée de la Finance Africaine » (Ed. BoD, 2019). L’auteur révèle, entre autres, les étrangéités de cette monnaie septuagénaire. En voici quelques extraits du chapitre 4. Focus sur la curiosité n° 4 : "La fuite des capitaux de la zone franc".




P 243-256

La zone franc a le défaut de sa qualité. L’un des principes majeurs de l’Accord de coopération monétaire qui lie les pays utilisant le franc CFA à la France est la « libre transférabilité ». Pour bien encadrer cette règle, les parties prenantes de l’Accord[1] se sont engagées à mettre en place un contrôle de change rigoureux et efficace pour éviter une sortie massive des capitaux vers l’étranger. Bien avant, il faut rappeler que la zone franc, qui incluait, outre la France métropolitaine, ses départements d’outre-mer et ses colonies africaines et asiatiques, avait été créée par l’ancienne puissance coloniale pour « se protéger de la fuite des capitaux »[2]. D’après le ministère français de l’Économie et des Finances, « les décrets du 28 août, et des 1er et 9 septembre 1939 instituent un strict contrôle des changes entre la France et ses colonies d’une part, et le reste du monde d’autre part, pour se protéger des déséquilibres structurels en économie de guerre.[3] » Pour les cfobes et pour plusieurs experts et praticiens de la finance, cet objectif d’une primarité fondamentale déclamée par les textes fondateurs de la zone franc est loin d’être atteint…

(…) La sortie illicite des capitaux africains est-elle le nouveau paradigme de la liberté dans le monde ? Hier, les Européens pillèrent l’Afrique de ses ressources humaines et minières ; aujourd’hui, les Africains piquent le fric de l’Afrique pour le placer en Europe ; et demain, comme toujours, l’Europe critiquera l’Afrique pour sa grande pauvreté.

Il ne faut pas se voiler la face. La zone franc est la région qui produit le moins dans le monde. Pire, le peu qui est produit par les laborieuses populations est détourné en grande partie par une poignée de personnes qui se pressent de placer leur forfaiture dans les banques étrangères, en Europe et ailleurs. Et ce n’est pas un hasard si la zone franc est aujourd’hui l’une des principales places qui favorise la sortie massive de capitaux vers le reste du monde. Cette excroissance d’un système monétaire, qui se voulait pourtant rigoureux et solide, est aujourd’hui l’un des paradoxes de la zone franc. Les impacts négatifs sont importants sur les réserves de change des pays membres, sur la liquidité du marché bancaire, sur la stabilité du système bancaire et sur le financement des économies locales. En mars 2018, le directeur national de la BCEAO pour le Mali, Konzo Traoré, avertissait que « le suivi du rapatriement des recettes d’exportation constitue la source essentielle des réserves de change de l’UMOA et, de ce fait, un élément clé de la stabilité de notre système monétaire et financier.[4] »

À l’ouverture du sommet extraordinaire des chefs d’Etats de la CEMAC du 25 octobre 2018, à N’Djamena, le président tchadien, Idriss Déby Itno, a dénoncé le « rapatriement insuffisant des recettes d’exportation[5] ».

Par quelles voies transite la sortie des capitaux financiers ?

(…) Cette pratique de contournement de la réglementation, les « assujettis » la justifient par la lourdeur des procédures de la Banque centrale, qui leur semblent contraignantes et trop administratives. À ce niveau, il est important de rappeler quelques dispositions réglementaires. Il est strictement interdit aux banques de garder une position extérieure positive dont le montant excéderait 5 % de l’encours des dépôts à vue de leur clientèle[6]. Elles sont aussi tenues[7] au rapatriement effectif du produit des recettes d’exportation encaissées pour le compte de leurs clients. D’après les statistiques officielles[8], le défaut de rapatriement des recettes d’exportation à l’échelle de l’UEMOA se chiffrait à 6 403 milliards de FCFA en 2016. Pour ce qui est du Mali, le taux de rapatriement est passé de 12,4 % en 2012 à 39,2 % à fin décembre 2017. Le défaut de rapatriement a atteint plus de 900 milliards de FCFA.

La BCEAO, dans un rapport intitulé « Balance des paiements et position extérieure globale du Mali » publié sur son site Internet en juin 2016, a remis le couvert en des termes plus qu’incisifs : « Le secteur aurifère ne profite que très peu au Mali, dans la mesure où le métal précieux est exporté à l’état brut, pour être raffiné à l’étranger. » L’institution financière communautaire poursuit en des termes très explicites : « Les exportations d’or ne participent que très faiblement à la consolidation des réserves de change, compte tenu du défaut de rapatriement des recettes (moins de 5 % de taux de rapatriement des recettes), maintenues, pour l’essentiel, dans les comptes offshore détenus par les sociétés[9]. »

Il faut ici rappeler que l’or est le principal produit d’exportation du Mali (environ les deux tiers des recettes). Qu’il puisse y avoir des doutes quant à la véracité des chiffres officiels sur la production réelle d’un secteur aussi stratégique et important que celui de l’or, relève de l’étrangeté ; mais de surcroît, que plus de 95 % des recettes d’exportation aurifère déclarées ne puissent pas être rapatriées, est non seulement illégal, et simplement inconcevable. Comment peut-on détenir et retenir les devises d’un État souverain sur des « comptes offshore » ouverts et appartenant à des sociétés étrangères exploitant l’or extrait du sous-sol malien, et cela en violation de toutes les dispositions légales et réglementaires, locales et internationales[10] ?

(…) Selon le rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), sous-titré « Troisième producteur d’or d’Afrique, le Mali ne récolte que des poussières »…
(…) Le Mali, estime la FIDH, ne peut donc pas peser sur la stratégie industrielle des compagnies minières. Est-ce, pour autant, une raison de priver ce pays de 95 % des devises issues de 70 % de ses recettes d’exportation ? Et en plus, même sur les 5 % de recettes rapatriées, au moins la moitié des devises est déposée et retenue sur le « compte d’opérations » au Trésor public français. Que reste-t-il finalement aux Maliens pour développer leur pays ?

(…) Dans la zone franc, la fuite des capitaux constitue une source de préoccupation majeure pour les autorités publiques et monétaires. Sa part dans les flux financiers illicites (FFI) globaux du continent africain dépasserait les 20 %. Le fléau touche tous les pays de la région. À en croire ce groupe d’experts, la fuite des capitaux illicites représenterait 3 % du PIB au Mali, contre 6 % pour la Côte-d’Ivoire et 1 % au Sénégal. Les FFI représenteraient 25 % du PIB au Congo, soit pratiquement l’équivalent de la moitié de ses recettes d’exportation. Au Gabon, le ratio est de 11 %. Dans l’UEMOA, il y a trois pays (Côte-d’Ivoire, Niger, Togo) pour lesquels les flux financiers illicites atteignent les 6 % du PIB. Au Niger particulièrement, cela représente 40 % des exportations. Selon les auteurs du Rapport Thabo Mbeki, présenté et adopté lors du 24sommet de l’Union africaine tenu les 30 et 31 janvier 2015 à Addis-Abeba, l’Afrique a perdu durant les 50 dernières années plus de 1 000 milliards de dollars du fait des flux financiers illicites, soit l’équivalent de toute l’aide publique au développement reçue par l’Afrique pendant la période sous revue. Et le phénomène a crû de 20,2 % par an durant la période 2002-2011, selon l’Association Global Financial Integrity. Le rapport dénonce « la menace que représentent les FFI pour le développement inclusif de l’Afrique » et appelle à « une action politique urgente pour vaincre le phénomène ».

A suivre…





Cheickna Bounajim Cissé, FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine, (Editions BoD, 452 pages, 29 euros). Contact : cbcisse@yahoo.fr

Économiste et essayiste, il est le Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE (Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur d’un Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme de l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications, dont « Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016), il se définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de l’Afrique.



[1] L’Accord de coopération monétaire du 4 décembre 1973 entre la France et les pays membres de l’UMOA dispose en son article 7 : « Les autorités de la République française et celles des États membres de l’Union [UMOA] collaboreront à la recherche et à la répression des infractions à la réglementation des changes selon les modalités qui seront précisées par un protocole particulier. »
[2] Banque de France, Note d’information, « La zone franc », août 2015, en ligne : www.banque-france.fr ; Banque de France, en ligne : www.banque-france.fr/eurosysteme-et-international/zone-franc/presentation-de-la-zone-franc.html
[3] En ligne : www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/8047_40-ans-dhistoire-de-la-zone-franc
[4] En ligne : www.lesinfosdumali.ml/rapatriement-des-recettes-dexportation-le-taux-au-mali-est-passe-de-124-en-2012-a-392-a-fin-decembre-2017/
[5] En ligne : www.agenceecofin.com/integration/2610-61231-le-tchadien-idriss-deby-denonce-le-relachement-de-la-discipline-budgetaire-dans-la-zone-cemac
[6] L’instruction no 10/07/2011/RFE du 13 juillet 2011, relative aux avoirs détenus auprès des banques installées hors de l’UMOA au titre des besoins courants des établissements de crédit, dispose en son article 2 : « Le montant cumulé des avoirs [détenus par l’établissement de crédit auprès de banques installées hors de l’UEMOA pour les besoins courants en disponibilités en devises affectées à la couverture des opérations courantes de la clientèle] ne peut, en tout état de cause, excéder cinq pour cent (5 %) de l’encours des dépôts à vue de la clientèle de l’établissement de crédit. Les avoirs excédant les besoins courants de l’établissement de crédit doivent être cédés à la BCEAO. »
[7] Article 11de l’Annexe II (procédures particulières d’exécution de certains règlements) du Règlement no 09/2010/CM/UEMOA/ du 1er octobre 2010 relatif aux relations financières extérieures des États membres de l’UEMOA : « Les opérateurs économiques résidents sont tenus d’encaisser et de rapatrier dans le pays d’origine, auprès de la banque domiciliataire, l’intégralité des sommes provenant des ventes de marchandises à l’étranger, dans un délai d’un  mois à compter de la date d’exigibilité du paiement. » L’Instruction no 03/07/2011/RFE du 13 juillet 2011 relative à la constitution des dossiers de domiciliation des exportations et à leur apurement dispose en son article 4 : « En application des dispositions de l’Article 11 de l’Annexe II du Règlement no 09/2010/CM/UEMOA, la banque domiciliataire est tenue de procéder au rapatriement effectif, via les comptes de correspondants étrangers de la BCEAO, d’au moins 80 % des recettes d’exportation encaissées. »
[8] En ligne : www.lesinfosdumali.ml/rapatriement-des-recettes-dexportation-le-taux-au-mali-est-passe-de-124-en-2012-a-392-a-fin-decembre-2017/
[9] BCEAO, ministère de l’Économie et des Finances du Mali, Balance des paiements et position extérieure globale, encadré 2 : Filière or, Mali 2014, en ligne : www.bceao.int
[10] Article 11de l’annexe II (procédures particulières d’exécution de certains règlements) du Règlement no 09/2010/CM/UEMOA/ du 1er octobre 2010 relatif aux relations financières extérieures des États membres de l’UEMOA : « Les opérateurs économiques résidents sont tenus d’encaisser et de rapatrier dans le pays d’origine, auprès de la banque domiciliataire, l’intégralité des sommes provenant des ventes de marchandises à l’étranger, dans un délai d’un mois à compter de la date d’exigibilité du paiement. »

Les curiosités du franc CFA - Curiosité n° 3 : "La garantie de la convertibilité du franc CFA"


L’économiste et banquier Cheickna Bounajim Cissé vient de publier « FCFA - Face Cachée de la Finance Africaine » (Ed. BoD, 2019). L’auteur révèle, entre autres, les étrangéités de cette monnaie septuagénaire. En voici quelques extraits du chapitre 4. Focus sur la curiosité n° 3 : "La garantie de la convertibilité du franc CFA".


 P 230-242

Un beau matin à mon réveil, le cerbère de ma résidence était dans une posture bien inhabituelle. Il avait troqué sa tenue de travail contre des habits inhabituels. Sans que j’eusse le temps de lui poser la moindre question, il marcha sur ma langue en me demandant le chemin d’un non-retour. Pour toute raison de sa soudaine décision, il me confia : « Moi je surveille les voleurs, et vous vous me surveillez ! C’en est trop ! Je pars ! » Il faisait ainsi allusion à mes fréquents contrôles nocturnes pour m’enquérir de son état d’éveil.

À des décennies de longueur de cette anecdote, l’Accord de coopération monétaire entre la France et les 15 pays africains de la zone franc recèle bien des curiosités de cette nature. Pour bénéficier de la garantie monétaire de la France, les pays africains de la zone s’obligent à « garantir » le garant en lui confiant au moins la moitié de leurs réserves de change. Et comme ils semblent être très généreux à l’égard de la France, depuis plusieurs années ils domicilient bien au-delà du niveau conventionnel requis. En langage bancaire, quand une institution financière émet localement une garantie sur la base d’une autre donnée par une consœur, on parlera de réémission de garantie. La couverture donnée par les États africains à la France n’est rien d’autre qu’un cash collateral (dépôt en espèces dans un compte dit d’opérations). 
Dans ce cas, autorisons-nous une question essentielle sur le garant : qui garantit qui ? Est-ce la France qui garantit ses partenaires africains pour assurer la convertibilité illimitée du franc CFA ? Ou est-ce que ce sont les États africains qui garantissent le partenaire français pour que celui-ci assure la convertibilité illimitée du franc CFA ? La réponse est vraisemblablement dans la seconde question. Aussi, une quatrième interrogation s’invite dans notre réflexion : n’est-il pas temps pour les 14 États africains de la zone franc d’assurer eux-mêmes, sans intermédiaire, la garantie de leur propre monnaie, si tant est que le franc CFA est le leur et qu’ils ont les moyens d’assurer sa crédibilité ?

La couverture de l’émission monétaire

(…) D’après le Rapport sur la politique monétaire de la BCEAO daté de septembre 2018, « les réserves de change de [l’UEMOA] se sont chiffrées, à fin juin 2018, à 9 627,3 milliards, correspondant à un taux de couverture de l’émission monétaire de 82,0 % contre 80,2 % 3 mois plus tôt. Ce niveau des réserves de change assure 5,4 mois d’importations de biens et services contre 5,3 mois à fin mars 2018.[1] » Autrement dit, les États de l’UEMOA ont assuré un taux de couverture de l’émission monétaire d’un niveau 4 fois supérieur à celui (de 20 %) exigé par le garant (la France) dans le cadre de l’Accord de coopération monétaire qui lie ce dernier aux États africains de la zone franc. 

Cela signifie, selon l’économiste sénégalais Sanou Mbaye, ancien haut fonctionnaire de la BAD, que « les pays membres de la zone franc, si pauvres soient-ils, se voient ainsi privés par la France d’énormes ressources financières qui auraient pu être investies dans les secteurs clefs de leurs économies (production vivrière, éducation, santé, logements et infrastructures). Le plus révoltant dans ce marché de dupes est que la France et ses banques se servent de l’épargne de ces pays pour leur concéder des prêts à des taux prohibitifs. Le comble est que les pays de la zone, non contents de se voir amputer d’une part importante de leurs revenus, sont contraints de s’endetter auprès de la Banque mondiale et du FMI aux conditions drastiques que l’on sait. En se comportant comme des victimes consentantes, lesdits pays n’ont fait que traduire une attitude éminemment freudienne des élites africaines francophones qui confine à l’autoflagellation. Il en résulte que le Programme alimentaire mondial (PAM) doit venir à la rescousse pour nourrir des populations de pays comme le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad ou le Sénégal…[2] »


(…) Sur la période d’analyse (2000-2016), le cumul des excédents des avoirs extérieurs de la BCEAO par rapport au plancher conventionnel de 20 % s’élevait à 71 189,4 milliards de francs CFA, l’équivalent de 14,5 mois du PIB agrégé de l’ensemble des 8 pays de l’UEMOA (58 966 milliards de francs CFA) ! Si cette somme colossale en devises avait été rapatriée, et non monétisée en francs CFA, investie – et non placée – pour financer les investissements productifs des pays de la zone, leur économie aurait présenté un tout autre visage, moins dépendant et plus coruscant. Pour l’économiste Kako Nubukpo, ce taux de couverture « veut dire que nous n’avons plus besoin de l’ “assureur” qu’est la France pour avoir la fixité entre le CFA et l’euro.[3]» « Les dirigeants africains doivent prendre leurs responsabilités. C’est à nous d’assumer notre destin, ce n’est pas à la France de le faire pour nous »,[4] insiste l’ancien ministre togolais.





Questions : Pourquoi avoir assuré et continuer d’assurer un taux de couverture de l’émission monétaire 3 à 5 fois plus élevé que le niveau de 20 % requis par la France, alors que les États de l’UEMOA sont exposés à un sous-financement chronique de leurs économies ? Avec une telle dépendance (d’autres parleront de « servitude »), ces pays peuvent-ils se passer du « parapluie monétaire » de la France et ainsi acquérir leur « souveraineté monétaire » ? Que gagne, réellement, la France en exigeant un tel quantum aux États de l’UEMOA pour garantir leur monnaie ? Quels sont les intérêts que la France compte sauvegarder en maintenant l’accord de coopération monétaire avec les pays de la zone franc ?






(…) De 2004 à 2016, les disponibilités extérieures des pays membres de l’UEMOA déposées sur leur compte d’opérations ouvert dans les livres du Trésor français se situaient bien au-deçà du taux conventionnel de centralisation de 50 % convenu avec la France…


(…) Sur la période sous revue, le cumul des excédents des avoirs en devises domicilié à tort sur le compte d’opérations se chiffrait à 3 832 milliards de francs CFA. Le graphique ci-dessous retrace cette évolution. Ce surplus aurait pu être utilisé au bénéfice des populations africaines. 


(…) Question : Pourquoi domicilier au Trésor public français des réserves de change jusqu’à plus de 9 points au-dessus du taux conventionnel de 50 %, si le sous-jacent (les économies des pays de l’UEMOA qui portent le franc CFA) manque cruellement de moyens financiers pour se développer ?


On voit bien que les textes fondateurs de la zone franc, sans composer avec ses règles fondamentales (plancher de 20 % du taux de couverture de l’émission monétaire et domiciliation de 50 % des réserves de change sur le compte d’opérations) admettent quelque souplesse. 

Où est alors le problème ? Pourquoi les marges de manœuvre autorisées, tout au moins sur le plan juridique, ne sont-elles pas utilisées par les pays de l’UEMOA ? Pourquoi les dirigeants de la sous-région continuent-ils de stocker au Trésor français des avoirs bien au-delà de leurs engagements contractuels, hors de leurs frontières ; alors qu’intra-muros, leurs populations manquent de tout et même de l’essentiel : alimentation, santé, logement, éducation, transport, eau, électricité… et que leurs entreprises et industries se débattent pour accéder aux moyens financiers nécessaires à leur création et à leur développement ? Si cette énorme « épargne morte » ne sert pas les économies des pays de la zone, à qui profite-t-elle ? Au nom de quelle politique monétaire, de quelle gestion des réserves de change, de quelle règle prudentielle ou conventionnelle, en est-on arrivé à ce paradoxe, à priver sur plusieurs années des pays pauvres, en grande souffrance économique et sociale, de leurs devises, ressources indispensables pour le développement ? 

Cette situation explique en grande partie le sous-financement bancaire des économies locales. Oui, les États africains de la zone CFA souffrent. Oui, les populations continuent de patauger dans la pauvreté et la misère. Elles souffrent de faim, de malnutrition, de maladies, de soif, d’obscurité, d’analphabétisme, et tout le toutim. Oui, le monde de l’entreprise, dont l’industrie constitue l’appendice, est à la peine, avec à peine quelques unités fonctionnelles. 


Le très officiel Rapport Védrine, conçu et rédigé par des experts aux compétences avérées, reconnaît clairement, chiffres à l’appui, que les performances des pays francophones sont moins fortes que celles des pays anglophones et lusophones. « Et en comparaison des autres pays, les taux de croissance de la zone CFA sont moins élevés sur les 10 dernières années », ajoutent les auteurs du rapport, qui s’empressent d’ajouter que « ce différentiel négatif de croissance s’explique en grande partie par l’instabilité politique passée de la Côte-d’Ivoire et, dans une moindre mesure, de la République centrafricaine.[5] »


Que dire de la justesse de la vision des dirigeants du Liban (1948) et des pays d’Afrique du Nord de se retirer de la zone franc dès les premières années de leur indépendance et de battre leur propre monnaie ? En 1957, le Maroc crée sa Banque centrale et quitte la zone franc. Il sera suivi, un an après, par la Tunisie. L’Algérie leur emboîte le pas en créant sa propre monnaie (dinar algérien) le 1er avril 1964. Ces pays sont-ils moins développés que ceux qui ont choisi de rester dans la zone franc ou de faire des allers-retours pour finalement y demeurer ? Assurément, non. Tous les pays cités frappent depuis quelques années à la porte de l’émergence économique…


A suivre...




Cheickna Bounajim Cissé, FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine, (Editions BoD, 452 pages, 29 euros). Contact : cbcisse@yahoo.fr

Économiste et essayiste, il est le Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE (Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur d’un Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme de l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications, dont « Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016), il se définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de l’Afrique.

























[1] En ligne : www.bceao.int/sites/default/files/2018-09/Rapport_CPM_Septembre_2018_version%20finale_pour_mise_en_ligne_VF.pdf
[2] En ligne : http://mbaye.info/2016/04/13/les-avatars-du-franc-cfa-flux-des-capitaux-et-regression-economique-en-afrique-francophone/2751
[3] Le Monde.fr, « Le franc CFA freine le développement de l’Afrique », Entretien avec Kako Nubukpo, propos recueillis par Raoul Mbog, op. cit.
[4] Le Monde.fr, « Le franc CFA freine le développement de l’Afrique », Entretien avec Kako Nubukpo, propos recueillis par Raoul Mbog, op. cit.
[5] Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino et Hakim El Karoui, Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France, ministère de l’Économie et des Finances, décembre 2013, en ligne : www.tresor.economie.gouv.fr/File/393414

Les curiosités du franc CFA - Curiosité n° 1: "La fabrication du franc CFA en France".


L’économiste et banquier Cheickna Bounajim Cissé vient de publier « FCFA - Face Cachée de la Finance Africaine » (Ed. BoD, 2019). L’auteur révèle, entre autres, les étrangéités de cette monnaie septuagénaire. En voici quelques extraits du chapitre 4. Focus sur la curiosité n° 1: "La fabrication du franc CFA en France".






Chapitre 4 : CFA, Curiosité Financière de l’Afrique ?   

P 176

« Quand votre chien attrape l’improbable, les curieux et les musards vous feront perdre la journée », préviennent les sages africains. De l’avis de nombreux spécialistes, la zone franc et sa monnaie, le franc CFA, constituent le seul système monétaire au monde à avoir survécu à la décolonisation du continent. Au-delà de cette étrangeté historique, la monnaie septuagénaire recèle d’autres curiosités plus bouleversantes, parmi lesquelles huit ont retenu notre attention. Nous allons essayer de les exhumer pour vous en exposer les entrailles. Les cinq premières constitueront la trame de ce chapitre, et les trois autres seront développées dans le chapitre 5 consacré au CFA en tant que « Confort Financier pour l’Afrique » :

          La fabrication du franc CFA en France

          La garde de l’or des banques centrales africaines en France

          La garantie de la convertibilité du franc CFA

          La fuite des capitaux de la zone franc

          La politique de communication des banques centrales africaines de la zone franc

          La pénurie des petites coupures de francs CFA

          La faiblesse du commerce au sein de la zone franc

          La sous-bancarisation des populations africaines et le sous-financement des économies locales

De ces différentes étrangetés, les anti-CFA ont trouvé la fenêtre de tir idéale pour tirer à boulets rouges sur la monnaie septuagénaire, son contenant, son émetteur et son garant.

P 177-211

Curiosité no 1 : La fabrication du franc CFA en France

« Fabriqué en France et utilisé en Afrique  », telle est la formule choc utilisée par le journaliste Guillaume Poingt pour qualifier le franc CFA qui a cours légal, pouvoir libératoire et qui constitue une valeur de refuge dans 14 pays de la zone franc…
(…) Qui la fabrique ? Où est-elle exactement fabriquée ? Et à quel coût ? Voilà quelques points qui sont peu abordés dans les médias et les forums. Et les rares fois où ce fut le cas, cela a soulevé plus de fantasmes que d’analyses objectives. Nous allons essayer de lever le lièvre en espérant que des esprits plus alertes l’attraperont.
En incipit, une précision d’ordre réglementaire s’impose. Elle est rappelée par la BCEAO dans une note d’information de novembre 2016 consacrée à ses signes monétaires : « Les règles fondamentales de gestion des signes monétaires…
(…) Revenons au franc CFA, pour préciser que la fabrication de la monnaie septuagénaire à l’extérieur de son aire d’utilisation n’est pas une exception en Afrique. Bien au contraire, c’est une pratique largement répandue dans cette partie du monde. Et c’est là-dessus que les cfiles phosphorent pour battre en brèche les critiques des cfobes, argumentant que la fabrication de billets en francs CFA est une opération purement commerciale sans aucun lien avec la monnaie. Ils ont tort. On y reviendra…

Le coût de fabrication du franc CFA


Au niveau de la zone UMOA, les dépenses d’entretien de la circulation fiduciaire pèsent sur les comptes de gestion de sa banque centrale. Elles ont représenté 27 659 millions de FCFA pour l’année 2017, soit 16,2 % de ses charges d’exploitation générale et 8,9 % du produit net bancaire. Au total, sur la période 2004-2017, l’entretien de la circulation fiduciaire a coûté 347 319 millions de FCFA (soit 529 millions d’euros) à la BCEAO. Ce montant comprend l’achat des signes monétaires, les frais liés à leur transport et à leur assurance. Ces frais d’approche ont représenté 16 % du coût global de la fabrication…

(…) l’externalisation de la fabrication du franc CFA en dehors du continent africain est une imposture économique et financière. Pour au moins deux raisons essentielles.

Comme indiqué plus haut, la matière utilisée pour la fabrication des billets de banque est un papier à base de fibres de coton. La France ne produit pas un gramme de coton sur son sol. L’UEMOA compte en son sein deux des plus gros producteurs de cette plante en Afrique, à savoir le Mali et le Burkina Faso, qui ont produit respectivement 647 000 tonnes[1] et 683 000 tonnes[2] de coton durant la campagne 2016 / 2017. Moins de 3 % de cette production est transformée sur place par les industries textiles locales. L’essentiel (97 %) est exporté, à l’état brut, avec une faible valeur ajoutée pour les pays producteurs.
Ensuite, les dépenses d’entretien de la circulation fiduciaire pèsent sur les comptes de gestion des banques centrales de la zone franc. Pour la BCEAO, elles ont représenté plus de 27,6 milliards de FCFA en 2017, soit 16,2 % de ses charges d’exploitation générale et 8,9 % du produit net bancaire. Au total, comme le tableau plus haut le montre, la fabrication du franc CFA a coûté aux contribuables de l’UEMOA la somme faramineuse de 320 milliards de FCFA (soit 487 millions d’euros) sur la période 2004-2016. Ce constat est partagé par l’institution communautaire, qui indique que « les coûts d’approvisionnement en signes monétaires constituent une part importante des charges d’exploitation de la Banque centrale, consécutivement à l’accroissement des prix de fabrication et des volumes de billets et pièces de monnaie à commander pour faire face à la demande. »[3]


Le rôle de la France peut-il se résumer à celui d’un prestataire (fabricant de billets) pour les PAZF ? Assure-t-elle leur tutorat monétaire ? Ou est-elle leur censeur monétaire ? Pourquoi ne laisserait-elle pas les pays africains fabriquer leur propre monnaie ?
Là aussi, il sera imprudent de chercher les vraies raisons dans le creux des chiffres, encore moins dans les calebasses dogmatiques, doctrinaires et philosophiques. La réponse va être simple. Tout d’abord, expliquons l’intérêt financier de cette activité. Certes, comme indiqué plus haut, la fabrication du franc CFA représente un coût important pour la BCEAO (…). Pour la France, cette « grosse somme » d’argent (vue de l’Afrique) est aussi épaisse dans les comptes de sa banque centrale qu’un papier pelure. En effet, elle ne pèse que 0,5 % du chiffre d’affaires de la Banque de France[4].

L’hypothèse financière ainsi mitigée, une seule raison peut justifier l’attitude de la France : son statut de garant de la convertibilité illimitée du franc CFA. En effet, conformément à l’Accord de coopération monétaire[5], la convertibilité des monnaies émises par les différents instituts d’émission de la zone franc (BCEAO, BEAC et BCC) est garantie par la France, sous la double réserve que le taux de couverture de l’émission monétaire soit au moins égal à 20 % des réserves de change, et qu’au moins la moitié de ces dernières soit déposée sur le compte du Trésor public français. Dès lors, il est aisé de comprendre la position de la France à travers une question simple et de bon sens : si on laisse les pays africains de la zone franc fabriquer leur monnaie, ne seront-ils pas tentés de faire fonctionner la planche à billets ? En d’autres termes, sauront-ils faire preuve de « sagesse monétaire » dans la production des précieux sésames ? Rien n’est moins sûr, peut-on susurrer de l’autre côté de la Méditerranée. En effet, dans le chaudron africain, il y a suffisamment matière à réflexion pour alimenter une posture anxiogène chez les autorités françaises. Les appels répétés de certains dirigeants africains à la réémission monétaire (double utilisation des réserves de change déposées sur le compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français après avoir consommé la contrepartie en francs CFA), les instabilités politiques (coups d’État, rébellions, soulèvements populaires), et de plus en plus, les attentats terroristes dans cette partie de l’Afrique ne sont guère rassurants pour les « garants ». Depuis quelques années, les pays africains de la zone franc donnent l’impression d’être des pétaudières, un concentré de tous les maux du continent. Les satrapes et leur coterie ont souillé l’histoire de cette zone…


Pourquoi les pays africains de la zone franc ne fabriquent-ils pas leur propre monnaie sur leur sol ? Traduit bucoliquement : les sols africains de la zone franc ne sont-ils pas assez fertiles pour l’ensemencement des pièces de monnaie et des billets de banque ? Les raisons avancées sont différentes, selon qu’elles émanent du centre ou de l’ouest du continent. 
La question prend une tout autre allure lorsqu’elle est posée par le journaliste Alain Fauka au gouverneur de la BCEAO : « Aujourd’hui, en 2017, les Africains ne sont-ils pas capables de fabriquer leur monnaie à eux, et qu’ils sont obligés de retourner à l’ancienne métropole pour fabriquer leurs billets ? [6] » Voici la réponse du patron de la Banque centrale ouest-africaine : « Nos économies aujourd’hui, et cela est valable pour beaucoup de pays africains, n’ont pas les moyens de fabriquer leur monnaie sur place parce que ce ne serait pas rentable. […]  Il n’y a que 8 ou 9 pays sur les 52 pays africains qui fabriquent leur monnaie. […] Et c’est peut-être que tout simplement, soit la taille de leurs économies ou leurs besoins ne peuvent pas justifier l’implantation d’une fabrique de monnaie. Parce que d’abord, c’est une technologie qui est très chère et qui évolue très vite. Et puis, c’est une technologie qui est concurrencée par les faussaires. Car autant vous avancez, les faussaires aussi avancent. [7] » S’agissant du choix du lieu de fabrication du franc CFA, le gouverneur de la BCEAO a soutenu que c’est une opération purement commerciale qu’il faut déconnecter de la monnaie. Il s’empressa d’ajouter que « la France ne décide pas d’imprimer un billet et de nous le donner », avant d’insister : « C’est nous qui décidons que ça soit fabriqué là où nous souhaitons que ça se fabrique. […] Puisque nous avons pris l’habitude de le faire [en France] et qu’ils font quelque chose qui satisfait à nos besoins, alors à ce moment-là, il n’y a pas de raison pour qu’on change. […] La seule chose qui peut changer, c’est au niveau des prix. Nous sommes très sensibles au prix, parce qu’autant nous ne pouvons pas fabriquer de billet parce que ça coûterait trop cher pour nos petites économies, autant nous sommes très regardants sur les prix. […] Pour arriver à avoir un billet qui soit parfait et qui convienne à l’utilisation des populations, ça met du temps. Pourquoi ? Parce qu’il y a des effets climatiques. Un billet qui circule dans une partie de l’Afrique qui est humide ne doit pas avoir la même consistance qu’un billet qui circule dans le Sahel.[8] ». 
En Afrique centrale, l’hebdomadaire Jeune Afrique[9] rapporte que les autorités de la BEAC justifieraient l’externalisation de la fabrication de leur monnaie par l’absence de « compétence pointue » en leur sein. Incroyable ! Si cette information se confirmait, ce serait une véritable claque, et surtout un cinglant discrédit pour l’intelligence africaine. Que l’on ne sache pas créer ou même innover en Afrique, cela peut s’admettre – encore que – mais qu’on ne puisse même pas copier ou simplement répéter ce qui se fait de bien ailleurs depuis des siècles, c’est plus que décevant ; c’est déchirant, à la limite offensant, et même avilissant. 
Le très sérieux journal français Libération, dans un billet daté du 4 février 2000 et consacré à la grève des employés de l’imprimerie de la Banque de France en Puy-de-Dôme, a publié l’interview d’un salarié qui s’est fait l’écho de propos attribués à son patron. Le directeur du site de fabrication de billets aurait associé les Africains au « sida ». Ouvrez bien les quinquets, les mots sont glaçants : « Un jour, à l’arrivée d’une délégation de la Banque des États d’Afrique centrale, il a sorti “voilà les porteurs de sida”.[10]» Info ou intox ? Si cette information se confirmait, ce serait très grave et surtout très humiliant. 

Le regretté professeur Joseph Ki-Zerbo a raison : vous ne pouvez pas dormir indéfiniment sur la natte des autres et bien vous en porter. Tôt ou tard, vous finirez bien par entendre des propos pour le moins désobligeants. Les argentiers africains sont prévenus. Ils n’ont qu’à bien se tenir. Six décennies à faire d’incessants va-et-vient entre la France et leur pays pour la fabrication de leur propre monnaie, ça commence à dater et à formater. D’ailleurs, et ce n’est pas nouveau, les paroliers bambaras rappellent une vérité primaire : « Après 10 ans à élever l’âne, si vous ne parvenez pas à comprendre sa langue, au moins vous connaîtrez beaucoup de chemins. » Sinon, dans quel contexte peut-on situer les récents propos licencieux de Donald Trump, qui ne s’est point gêné pour qualifier certains États africains de « pays de merde » (« shithole countries[11] ») ? 

Au-delà des protestations, des indignations et même des récriminations de l’opinion publique africaine, n’y a-t-il pas mieux à faire pour répondre aux grivoiseries répétées du président américain, notamment par la capacité et l’intelligence des Africains à changer fondamentalement et définitivement le visage de leur continent, de zones de conflits et de pauvreté en havres de paix et de prospérité partagée ? Comme le dirait l’autre : « Monsieur Trump ! Continuez à nous vilipender, peut-être que notre salut viendra de là. »
Le président américain peut-il qualifier la Corée du Sud, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour ou la Thaïlande de « pays de merde » ? Assurément, non. Pourtant, au début des années soixante, presque tous ces pays étaient aussi pauvres que la majorité des États africains de la zone franc. Qu’ont-ils fait pour accéder au statut respectable et respecté de « Nouveaux pays industrialisés (NPI) » alors que les pays africains de la zone franc (PAZF) continuent à pointer, sans discontinuité, sur la liste peu enviable des pays les plus pauvres de la planète (PMA et PPTE) ? Certes, l’Afrique ne dispose pas d’arme dissuasive comme la Corée du Nord, mais elle a une arme explosive qui s’appelle « jeunesse » qui peut imploser à tout moment. Ce constat n’est pas simplement personnel, c’est une réalité partagée par tous, y compris par les dirigeants africains. 
Le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, lors de l’ouverture du 5e Sommet Union africaine – Union européenne sur le thème : « Investir dans la jeunesse pour un avenir durable », a déclaré : « […] la jeunesse de la population africaine, dont plus de 60 % a moins de 25 ans. Ceci constitue une opportunité, mais aussi un risque si l’on n’offre pas à cette jeunesse, la formation, les emplois et les espoirs auxquels elle aspire légitimement.[12] » Le chef de l’État guinéen Alpha Condé, à l’époque président en exercice de l’Union africaine (UA), a été moins diplomate sur le sujet : « Nous sommes assis sur une bombe, nous avons 70 % de la population qui a moins de 25 ans. Si nous ne réduisons pas le problème de l’emploi jeune, nous allons tous sauter.[13] » Depuis quelques années, l’Europe s’organise, en grande pompe et en toute pompe, pour qu’elle ne subisse pas les dégâts collatéraux de cette « déflagration humaine ».

Au vu de toutes ces réalités, n’est-il pas temps, et même grand temps, que les dirigeants africains arrêtent de tendre la sébile, afin de s’occuper, enfin et sérieusement, de leurs pays avant que ceux-ci ne disparaissent définitivement, emportés par les flots des banalités, des obscénités, des trivialités, des vulgarités et des voracités des « requins » de ce monde, pour qui la « prédation » est une nécessité de survie ?
Au niveau de la zone UEMOA, le directeur national pour le Sénégal de la BCEAO, Ahmadou Al Aminou Lô, invité du « Grand Jury » du 10 septembre 2017 de la Rfm, a brisé le silence. Il confirme la fabrication du franc CFA (XOF) en France, en précisant : « Ce n’est pas l’ancienne puissance coloniale. Encore une fois, c’est la Banque de France qui dispose d’une usine de fabrication, qui propose des prix, qui a un partenariat privilégié avec la BCEAO, qui permet d’avoir un prix de revient très bon, qui permet d’avoir des délais de réponse très bons […]. » Le haut fonctionnaire de la Banque centrale ajoute : « Imprimer un billet de monnaie, c’est de la haute technologie. […] L’impression des billets nous coûte annuellement entre 25 milliards et 35 milliards de francs CFA. Parce que nous les faisons fabriquer. Imaginez qu’on ait une usine, peut-être que nous aurions des coûts de fabrication moindres, mais dans l’amortissement du bien peut-être qu’on pourrait se retrouver avec 60 milliards à amortir chaque année […] et on fera une perte dans les bilans de la Banque centrale […] une banque centrale indépendante doit tout faire pour ne pas faire des pertes.[14] » Cette sortie de ce responsable de la BCEAO, plus que souhaitable, reste néanmoins très critiquable. Pour au moins quatre raisons.
Primo. Le statut de la Banque de France[15] est très clair. C’est une institution dont le capital appartient [exclusivement] à l’État (article L. 142-1). Les biens immobiliers appartenant à la Banque de France sont soumis aux dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques applicable aux établissements publics de l’État (article L. 144-2-1). En clair, c’est bien « l’ancienne puissance coloniale », en l’occurrence la France, qui fabrique le franc CFA, à travers l’imprimerie de sa banque centrale (la Banque de France). 

Secundo. Avancer le chiffre de « 60 milliards de FCFA » (le double du coût actuel de la fabrication fiduciaire) comme pouvant être l’annuité d’amortissement d’une imprimerie fiduciaire de « haute technologie » est une démarche quelque peu hasardeuse pour justifier l’externalisation de la fabrication du franc CFA en France. D’après le rapport annuel de la BCEAO, « les amortissements sont calculés suivant la méthode linéaire, sur la base de la durée de vie utile estimée de l’immobilisation[16] », et les « constructions » sont amorties sur 20 à 60 ans. Même en prenant la borne inférieure comme référence (hypothèse basse), l’investissement de l’implémentation d’une unité de fabrique monétaire se chiffrerait à 1 200 milliards de francs CFA, soit 1,8 milliard d’euros. La BCEAO a-t-elle fait faire des études de faisabilité d’un tel projet ? Si oui, quelles en sont les grandes conclusions ? En attendant de disposer d’éléments de réponse, donnons quelques indications. Sur la foi de ses propres statistiques, la BCEAO a déboursé la rondelette somme de 320 milliards de FCFA (soit 487 millions d’euros) sur 13 ans, de 2004 à 2016, pour imprimer sa monnaie en France. D’après le gouverneur de la Banque de France, la construction d’une nouvelle imprimerie à Vicomte et le déménagement de celle de Chamalières sur le nouveau site coûteront à l’État français 200 millions d’euros[17].
Quelle est la durée de vie probable d’une imprimerie fiduciaire ? Pour tenter de répondre à cette autre question, prenons comme référence la Banque de France, qui fabrique à Chamalières plusieurs monnaies, dont les francs CFA. Sur son site officiel[18], la banque centrale française nous apprend que sa production a commencé à l’automne 1918. D’après son gouverneur François Villeroy de Galhau, l’imprimerie de Chamalières devrait rester en fonction jusqu’en 2022-2023, date à laquelle elle déménagerait à Vic-le-Comte, aux côtés du centre de fabrication de papier [19]. Les deux bornes étant précisées, la durée de vie de l’usine de Chamalières serait de 104 ans, une longévité suffisante pour assurer un retour sur investissement quels que soient les scénarii d’un business plan exigeant.

Tertio. Sur la base des états financiers certifiés de la BCEAO pour l’exercice clos le 31 décembre 2016, le résultat net a été de 114,6 milliards[20]. Comment cette banque centrale peut-elle faire une perte avec une charge supplémentaire de 35 milliards de FCFA (60-25), avec même l’hypothèse improbable d’un amortissement annuel de 60 milliards de FCFA que pourrait engendrer l’imprimerie fiduciaire ? À moins qu’il y ait des coûts cachés qui nous auraient échappé.
Quarto. Si l’offre de la Banque de France est aussi attrayante, comme le laisse dire le haut responsable de la BCEAO, avec certainement un rapport qualité-prix compétitif, pourquoi, en dehors des 15 pays membres de la zone franc qui sont liés historiquement et juridiquement à l’ancienne puissance coloniale, Madagascar est-il le seul pays africain à lui confier la fabrication de ses billets de banque ?
Comment le Maroc, qui était dans la même configuration que les pays africains actuels de la zone franc, a-t-il pu s’émanciper de la tutelle monétaire française en créant en mars 1987 sa propre unité de fabrication de billets de banque, de pièces de monnaie et de documents sécurisés (Dar As-Sikkah[21]), « bâtie sur un site hautement sécurisé, de 10 hectares, à proximité de l’aéroport de Rabat-Salé », pour ainsi reprendre les indications fournies par le site officiel de la Banque centrale marocaine (Bank Al Maghrib[22]) ? Qu’importe qu’il bénéficiât d’une assistance technique étrangère[23], au moins l’honneur est sauf !

En vérité, aucun obstacle financier ou technologique ne peut s’opposer à la fabrication de la monnaie africaine sur le sol africain, et par des techniciens africains. Et le contexte le justifie pleinement, comme l’a rappelé la BCEAO en novembre 2016 : « un accroissement continu de la demande des agents économiques, un renchérissement des coûts d’approvisionnement en billets et pièces de monnaie et le développement des techniques de contrefaçon[24] ». Par contre, il y a un déterminant essentiel qui fait généralement défaut en Afrique : la volonté politique. À quelques exceptions près, presque tous les dirigeants africains de la sphère francophone du continent gèrent un « temps de présence ». Sitôt installés, ils s’investissent pour le « prochain mandat », en cherchant la bienveillance de puissances étrangères (surtout la France), pour lesquelles ils montrent « patte blanche » et affichent de « larges sourires », en multipliant et en démultipliant les « gestes de bonne volonté ».
(…) Il semble – c’est une déduction – que le problème soit pris très au sérieux au niveau de la zone UMOA. La BCEAO, à travers son nouvel organigramme[25] du 23 avril 2018, a opéré des changements importants qui vont dans le sens de nos réflexions. L’ancienne « Direction générale des opérations et des activités fiduciaires » a été scindée en deux : la « Direction générale des opérations de marché et des systèmes de paiement » et la « Direction générale des activités fiduciaires et de caisse ». Cette évolution organisationnelle s’est aussi traduite par la création d’une « Direction des études et de la production fiduciaires ». En creux, on peut aisément deviner que le régulateur, en se dotant d’une structure spécifique pour les études fiduciaires, indépendante de la « Direction des études et de la recherche » a le souci de mieux adresser le volet fiduciaire de son activité, et que des études approfondies seront faites pour permettre aux autorités politiques de trancher la question sensible, mais ô combien importante pour les populations de la zone, de l’implémentation, intra-muros, d’une imprimerie fiduciaire (…).

A suivre…


Cheickna Bounajim Cissé, FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine, (Editions BoD, 452 pages, 29 euros). Contact : cbcisse@yahoo.fr

Économiste et essayiste, il est le Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE (Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur d’un Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme de l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications, dont « Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016), il se définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de l’Afrique.









[1] En ligne : www.essor.ml/campagne-cotonniere-2016-2017-le-mali-conforte-sa-bonne-position/
[2] En ligne : www.agenceecofin.com/coton/2404-46812-le-burkina-faso-a-produit-683-000-tonnes-de-coton-durant-la-saison-2016/2017
[3] BCEAO, Note d’information no 1, « Émission des signes monétaires et entretien de la circulation fiduciaire », novembre 2016 ; en ligne : www.bceao.int/sites/default/files/inline-files/depliant_emission_signes_monetaire.pdf
[4]Au 31 décembre 2017, le produit net des activités de la Banque de France est de 8 187 millions d’euros ; en ligne : https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/817401_ra2017_web_avec-signets_20180413.pdf
[5] L’Accord de coopération monétaire du 4 décembre 1973 entre la France et les pays membres de l’UMOA.
[6] En ligne : www.rfi.fr/emission/20171001-rester-sortir-franc-cfa
[7] En ligne : www.rfi.fr/emission/20171001-rester-sortir-franc-cfa
[8] En ligne : www.agenceecofin.com/finances-publiques/1610-51206-tiemoko-meyliet-kone-nos-economies-n-ont-pas-les-moyens-de-fabriquer-leur-monnaie-sur-place-parce-que-ce-ne-serait-pas-rentable
[9] En ligne : www.jeuneafrique.com/430034/economie/desintox-non-franc-cfa-ne-sera-fabrique-cameroun/
[10] Libération, « Il y a de l’abus sur la planche à billets. Ras-le-bol des salariés de la Banque de France à Vic-le-Comte et Chamalières », 4 février 2000, en ligne : www.liberation.fr/futurs/2000/02/04/il-y-a-de-l-abus-sur-la-planche-a-billets-ras-le-bol-des-salaries-de-la-banque-de-france-a-vic-le-co_316617
[11] « Pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? » Évoquant plusieurs nations africaines, le Salvador et Haïti, le président des États-Unis s’est emporté jeudi 11 janvier 2018 lors d’une réunion sur l’immigration, rapporte le Washington Post ; en ligne : www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/01/12/trump-traite-haiti-et-des-nations-africaines-de-pays-de-merde_5240652_3222.html#hKkkOa97hzoc3foz.99 
[12] En ligne : www.presidence.ci/allocution-de-sem-alassane-ouattara-a-la-ceremonie-douverture-du-5e-sommet-union-africaine-union-europeenne/
[13] En ligne : www.rfi.fr/emission/20171129-alpha-conde-probleme-entre-jeunesse-africaine-dirigeants
[14] En ligne : www.seneweb.com/news/Economie/debat-sur-le-cfa-les-verites-du-directeu_n_227045.html
[15] Il s’agit d’une institution bicentenaire, de capital privé lors de sa création le 18 janvier 1800 sous le Consulat, puis devenue propriété de l’État le 1er janvier 1946 lors de sa nationalisation par le général de Gaulle (loi du 2 décembre 1945).
[16] En ligne : www.bceao.int/IMG/pdf/bceao_-_etats_financiers_au_31-12-2016_vf_sans_couleur_.pdf
[17] « Pour mémoire, nous avons pris deux décisions essentielles sur l’outil industriel de la Banque de France. Une nouvelle papeterie à Vic-le-Comte (elle est en cours de réalisation) et une nouvelle imprimerie qui sera réalisée d’ici 2022-2023 », explique le gouverneur. Pour la Banque de France, cette opération de déménagement et de construction d’un nouveau site représente un investissement de plus de 200 millions d’euros. Celui­ci inclut le transfert de l’imprimerie et celui du centre fiduciaire, qui assure la gestion de l’approvisionnement en billets de la partie sud de la France, le stockage de billets imprimés et le tri de billets sortis de circulation. » En ligne : http://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand/economie/btp-industrie/2017/02/10/banque-de-france-le-demenagement-l-imprimerie-de-chamalieres-a-vic-le-comte-confirme_12278735.html#
[18] « Les premières livraisons ont lieu l’année suivante. En renfort des ateliers du siège parisien, la mission première de l’imprimerie de Chamalières est de fournir des coupures au pays. Mais la Banque de France est fortement sollicitée également par des pays amis et par les banques privées, qui émettent des billets dans les colonies et dépendances. Ainsi, dès son origine, le site de Chamalières produit pour des clients extérieurs » ; en ligne : www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/La_Banque_de_France/Pan_int_Partie_3_V4_du_14_nov_BAT.pdf
[19] En ligne : www.lamontagne.fr/clermont-ferrand/economie/btp-industrie/2017/02/10/banque-de-france-le-demenagement-l-imprimerie-de-chamalieres-a-vic-le-comte-confirme_12278735.html
[20] En ligne : www.bceao.int/IMG/pdf/bceao_-_etats_financiers_au_31-12-2016_vf_sans_couleur_.pdf
[21] À ses débuts, Dar As-Sikkah (l’Hôtel des monnaies) a démarré avec une première ligne de production de 140 millions de dirhams [actuellement FCFA 8,4 milliards], puis une deuxième au début des années 1990. En 1997, un nouveau parc de presses monétaires a été acquis, et en 2001, une chaîne automatique de confection de passeports. Hormis la fabrication de passeports et de timbres fiscaux, Dar As-Sikkah produit également des documents sécurisés ainsi que des objets spécifiques. Elle fabrique également les vignettes automobiles. (wikipedia.org). Depuis son inauguration en date du 5 mars 1987, Dar As-Sikkah n’a cessé de voir ses activités se développer puisque plusieurs ministères et établissements publics ont eu recours à ses services pour la fabrication de documents sécurisés tels que les timbres fiscaux, les vignettes automobiles, les permis de chasse et de port d’armes, et les chéquiers. (site institutionnel de Bank Al Maghrib, en ligne : www.bkam.ma)
[22] Site institutionnel de Bank Al Maghrib (en ligne : www.bkam.ma)
[23] D’après Jeune Afrique, « Crane Currency a signé fin 2014 un accord de coopération avec Bank Al-Maghrib », en ligne : www.jeuneafrique.com/mag/367665/economie/impression-francs-cfa-fierte-lemporte-raison/
[24] BCEAO, Note d’information n1, « Émission des signes monétaires et entretien de la circulation fiduciaire », novembre 2016 ; en ligne : www.bceao.int/sites/default/files/inline-files/depliant_emission_signes_monetaire.pdf
[25] En ligne : www.bceao.int/sites/default/files/inline-files/organigramme23042018.pdf