(Article publié par Les Echos (Le Cercle) le 11 mai 2014 et republié par Maliweb, Malijet...)
Aucune nation au monde n’est exempte de la corruption. Mais dans un pays très pauvre comme le Mali, son impact s’amplifie. Le chef de l’État malien a décrété l’année 2014, « Année de lutte contre la corruption ». Le premier ministre, dans sa récente Déclaration de politique générale, en a fait son cheval de bataille. La volonté politique est réelle. Il reste à trouver les bonnes solutions à ce vrai problème.
Plus de trois décennies après la publication de cet essai intitulé « Bureaucratie et corruption au Mali », la question reste toujours posée. La situation s’est même aggravée. Aucun pan de la vie de la nation n’y échappe. Le mythe de l’argent facile s’est installé. La corruption se propage comme une coulée de lave, en brulant toutes les valeurs morales sur son passage. Aujourd’hui, spécialistes et néophytes s’accordent à dire que le vrai problème du Mali c’est la corruption.
La corruption est le vrai problème du Mali
Tenez ! Dans un rapport de la Banque Mondiale sur « La Réforme du secteur public et renforcement des capacités » au Mali, la Direction nationale du contrôle financier (DNCF) admet que si tout le mobilier, le matériel de bureau et les divers équipements que son service a approuvés au cours des dix dernières années avaient été effectivement achetés, il n’y aurait pas un seul bureau de l’administration où le personnel disposerait d’assez d’espace pour pouvoir s’asseoir et travailler.
Récemment, en novembre 2013, lors de la remise officielle de son dernier rapport annuel au Chef de l’État, le Vérificateur général au Mali s’indignait en ces termes : « … dans une des Directions des Finances et du Matériel, nos travaux de vérification ont décelé des situations matériellement impossibles, comme le cas d’une fiche d’entretien qui indique, par exemple, que pour une seule et même réparation, plus de 150 pièces ont été installées sur un seul véhicule, en une seule fois ».
Les maigres ressources publiques peinent à résister aux assauts répétés des prédateurs de l’économie nationale. Les dessous de table, les surfacturations, les marchés fictifs, les détournements de fonds, le clientélisme, le favoritisme, les passe-droits, le trafic d’influence sont tropicalisés en « sourafen », « nta », « togo », « koutcha » ou « youroukou-youroukou ». Presque toutes les indigences du pays y prennent source et se déversent sur l’image et la réputation du peuple malien.
Aujourd’hui, plusieurs indicateurs confirment le caractère systémique de la corruption. Dans le dernier rapport annuel de Transparency International, le Mali poursuit sa descente dans les profondeurs du classement mondial. Ainsi, selon l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2013, le Mali perd 22 places au classement en s’affichant au 127e rang sur 177 pays dans le monde. Il partage cette place avec le Nicaragua et le Pakistan.
Pistes de solution
Face à l’ampleur du phénomène et à l’interpellation historique des nouvelles autorités pour construire le Mali de demain, nous proposons une nouvelle stratégie de lutte contre la corruption axée sur quinze points. L’objectif est de réduire la corruption, en la ramenant à un niveau tel qu’elle ne puisse plus être un frein au développement économique et social du Mali.
1) Constitutionnaliser la lutte contre la corruption pour marquer la volonté souveraine du Peuple malien à combattre le fléau et à promouvoir la bonne gouvernance. La déclaration publique des biens de tous les principaux dirigeants du pays doit être obligatoire avant toute entrée en fonction avec une mise à jour annuelle en cours de mandat ou de mission. La vérification est faite par la Cour des comptes.
2) Engagement politique ferme : les plus hautes autorités du Mali doivent donner un signal fort en direction du peuple. Le Président de la République doit s’inviter une fois par an à l’Assemblée nationale, en séance publique au cours de laquelle il doit prononcer devant les élus du peuple une déclaration solennelle renouvelant son engagement irréversible et celui de son gouvernement à lutter contre la corruption et à promouvoir la bonne gouvernance.
3) Instaurer un Code de conduite : rendre inéligibles les élus et les ministres, et radier de la fonction publique tout fonctionnaire ou assimilé, en cas d’infractions graves de corruption, attestées par une décision de condamnation définitive.
4) Améliorer le pouvoir d’achat suivant deux axes non exclusifs, l’augmentation substantielle des salaires en fonction des moyens réels du pays et la baisse des prix des produits de première nécessité.
5) Rationalisation et optimisation des structures de contrôle : la dissolution de la CASCA (Cellule d’Appui aux structures de contrôle de l’Administration), du Contrôle général des services publics et des inspections des ministères en transférant leurs moyens, humains, matériels et financiers, à une nouvelle structure dénommée « Office Central de Prévention et de Lutte contre la Fraude » (OCPLF). L’objectif est un gain de cohérence et d’efficacité.
6) Création d’un Parquet financier qui coordonnera les activités des différents « Pôles économiques et financiers » installés dans certains tribunaux de première instance. Ce parquet sera doté de tous les moyens humains, matériels et financiers nécessaires.
7) Maintien du bureau du Vérificateur Général (VG) avec un accent renforcé sur la prévention (missions d’assistance, formation), l’évaluation des politiques publiques à travers les vérifications de performance… Du point de vue organisationnel, créer deux pôles au sein du VG, l’un axé sur le « contrôle sur pièces » et l’autre sur le « contrôle sur place » de façon à élargir le périmètre d’actions, à optimiser les ressources, à professionnaliser les collaborateurs, à assurer un suivi régulier des recommandations et des structures ciblées.
8) Création de la Cour des comptes : le périmètre d’actions de la section des comptes de la Cour suprême (ou de la future Cour des comptes) doit couvrir toutes les institutions de la république qui doivent faire l’objet d’un contrôle régulier, au moins une fois par an. Les rapports de la Cour des comptes sont rendus publics. Il faut veiller à bien délimiter les prérogatives du VG et de la Cour des comptes pour éviter les superpositions et les éventuels conflits d’attributions.
9) Instituer un « monsieur anticorruption » avec le titre de Haut Fonctionnaire de la Bonne Gouvernance et de la Participation Citoyenne dans les institutions de la République, les départements ministériels, et les grandes structures publiques (démembrements de l’État, entreprises et projets publics).
10) Suivi des recommandations des États généraux sur la corruption et la délinquance financière au Mali (tenus du 25 au 28 novembre 2008) : créer une cellule au sein de l’OCPLF pour en assurer le suivi et l’évaluation des mesures. Les résultats de ce suivi font l’objet de publication dans le Bulletin mensuel de l’OCPLF.
11) Programme d’enseignement : enseigner la corruption et ses impacts comme un module de l’ECM (éducation civique et morale) dans tous les établissements scolaires et universitaires du pays (publics et privés) pour renforcer le patriotisme et le civisme des jeunes apprenants et les sensibiliser au bien public, à sa sauvegarde et aux risques d’en détourner l’usage pour des fins personnelles.
12) Création de l’Institut National de l’Audit et du Contrôle Interne (INACI) pour l’ensemble du corps des contrôleurs du secteur public et du privé. Cette structure de formation sera administrée par le BVG et comprendra au sein de son comité de gestion d’autres partenaires comme la Société Civile et l’OCPLF.
13) Renforcer les moyens de la Société Civile (syndicats, associations, leaders religieux et traditionnels, les aînés…) dans le cadre de campagnes de sensibilisation pour le changement des mentalités afin de ne pas considérer le fruit de la corruption comme du « pain béni », mais comme une atteinte grave au bien-être de la toute la communauté nationale.
14) Instaurer des promotions et des distinctions pour les personnes (physiques ou morales) qui se seraient distinguées dans la lutte contre la corruption et/ou de la promotion de la bonne gouvernance.
15) Mettre en place un Système d’Alerte de la Corruption (SAC). C’est un dispositif national qui sera encadré par une loi spécifique intégrant transparence, efficacité et protection. Sa gestion sera assurée par l’OCPLF. L’alerte doit être perçue comme un geste citoyen et patriotique, très loin des règlements de compte personnels ou politiques. Ces éventuels dérapages seront aussi encadrés.
Conclusion
À l’évidence, la corruption continue de gangréner la société malienne. Elle est le mal n°1 du pays. À tel point, paradigme majeur de nos relations avec la communauté des bailleurs de fonds, certains donateurs veulent instituer un lien direct, « SMSiser » s’il vous plait, avec les bénéficiaires de leur aide. La population malienne crie, légitimement, au scandale et au retour à la servitude. Notre honneur et notre fierté sont écorchés.
Mais, comment bomber le torse, la sueur sur le front et « les yeux dans les yeux » (pour reprendre une fameuse formule en vogue dans l’Hexagone) lorsque l’essentiel de nos programmes socio-économiques est financé par l’extérieur ? À la suite de cette dépendance économique, quelle indépendance politique lorsque l’élection de la première institution du pays et des députés de la République est, presque, totalement à la charge des « partenaires » extérieurs ? Quelle indépendance culturelle, quand l’Internet et les feuilletons télévisuels latino-américains caressent les tympans et flattent la rétine de nos petits-enfants délaissés par l’éducation familiale ?
Le temps n’est pas infini, chacun s’y accorde. Il faut donc organiser, maintenant, la riposte nationale contre la corruption : sortir du discours lancinant et des déclarations intempestives pour poser des actes concrets et mesurables à la dimension du fléau. Ne versons pas aussi dans l’angélisme ! La lutte contre la corruption ne se gagne pas en un jour ou en une année. Soyons donc prudents et lucides ! Il va falloir s’armer de patience pour avoir des résultats durables et efficaces pour ne pas s’exposer à des spectacles désopilants.
Pour emprunter à Hervé Serieyx, nous devons muer en « tortues-lièvres », animaux bizarres capables de courir vite, mais également, longtemps et sans précipitation. Mais, de grâce, ne nous engageons pas seulement lorsque les « vaches sont maigres », accélérons aussi la cadence lorsque « le génie sort de la bouteille ». Et qu’enfin l’image et la réputation du Mali soient sauves ! Et que son développement puisse enfin s’amorcer !
Cheickna Bounajim Cissé
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire