lundi 28 septembre 2015

Nadine Morano a osé...

(Publié le 28 septembre 2015 sur le site du Huffingtonpost.fr)


http://www.huffingtonpost.fr/cheickna-bounajim-cisse/propos-race-blanche-nadine-morano_b_8206588.html


"La France est un pays de race blanche! Je n'ai pas envie que la France devienne musulmane". Ces propos chocs, contraires à l'esprit de la Loi fondamentale, ne sont pas d'un frontiste. Ils ont été prononcés par un "Républicain" venant d'un parti éponyme. Un nouveau rubicond vient d'être franchi. La question raciale s'invite, de nouveau, dans le débat politique français.


Ce samedi 26 septembre, "On n'est pas couché", l'un des talk-shows préférés de l'audimat sur la chaîne de télévision France 2, avait comme invité principal une femme politique. Cette femme a une coloration - pardon une étiquette - politique : Les Républicains (LR, ex-UMP). Elle a un mandat : députée européenne de la circonscription Grand.
Un pays de race blanche
Au bout d'interminables échanges, questions sans réponses, le couperet tombe: "Nous sommes un pays judéo-chrétien[...]La France est un pays de race blanche [...] J'ai envie que la France reste la France et je n'ai pas envie que la France devienne musulmane" déclare l'eurodéputée.
En clair, la France est un pays de religion judéo-chrétienne qui doit appartenir à la race blanche. Et les musulmans doivent rester minoritaires. Voilà qui est dit. Et ça le mérite d'être clair et net.



Cela n'empêche que c'est qu'à même effrayant, presque pathétique, d'entendre de tels propos d'une femme politique qui se réclame des valeurs de la République, qui appartient au parti "Les Républicains", et qui aspire à un destin grandiose : devenir président de la République française.


Comment peut-on se prévaloir des valeurs républicaines, donc de la laïcité, et réclamer qu'une religion soit minoritaire? Le chroniqueur Yann Moix demanda à l'invité sa définition de la laïcité. En vain, aucune réponse. Si la laïcité est la liberté de chacun à exercer le culte de son choix, il est dès lors difficile de faire une religion majoritaire et une autre minoritaire, sans saborder cette valeur sacrée de la République. Le chroniqueur le dit mieux en apostrophant l'eurodéputée: "Dès lors que vous voulez faire de la religion musulmane une religion minoritaire, vous n'êtes plus dans un État laïc".
La religion musulmane
L'invitée ne se laissa point démontée. Elle poursuivra, en répétant de plus belle les propos précédemment tenus. Rien n'y fit, pas même les huées du public en signe de désapprobation. Rien n'y fit, pas même les sages paroles essaimées du réalisateur Xavier Durringer, à la philosophie pourtant très conciliante. Rien, les apaisements feutrés de Marc Lavoine sont restés inaudibles à ses oreilles. Ni la colère, à peine contenue, de Laurent Ruquier sur l'allusion raciale: "Le problème, c'est qu'aujourd'hui en 2015 vous fassiez encore cette distinction! Il y a des gens qui ne sont pas de peau blanche et qui sont autant français que vous et moi. C'est incroyable d'entendre ça!".


Ni l'indignation de Léa Salamé, partie au bout du monde chercher sa question: "Et les Antillais, ils sont comment par rapport à la race blanche?" Et, encore à la chroniqueuse de poursuivre sur l'exemple d'un autre invité sur le plateau, l'humoriste Frédéric Chau, Français dont les parents sont d'origine chinoise. "Et lui, il est comment?", s'interroge-t-elle. "Lui? Il est asiatique", répond l'ex-ministre, sans coup férir.


Les exemples de la diversité française ne manquaient pas sur le plateau. Et à commencer par l'intéressée elle-même ? Candidate à laprimaire de sa formation politique, plusieurs fois parlementaire et ministre, elle confessa en fin d'émission ses origines italiennes. Et son mentor, Nicolas Paul Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa? Lui aussi, est d'origine étrangère, hongroise précisément.


Comment peut-on être issu, culturellement et politiquement, de la diversité et la récuser dès qu'il s'agit des autres? Le chroniqueur Yann Moix a eu le nez fin, sentant la parlementaire européenne à l'aise dans sa polémique, les dividendes de la provocation en mire: "Si vous voulez être présidente, n'utilisez plus jamais le mot 'race', car c'est indécent".
Les envahisseurs
Le Front national (FN), hypnotisé, presque tétanisé, assiste impuissant à l'effritement de son lexique, à la récupération de son vocabulaire populiste, lui qui pensait en détenir l'exclusivité ad vitam aeternam. La nouvelle génération frontiste, à sa tête l'actuelle présidente, a tant lutté pour se faire accepter dans les valeurs de la République, en poliçant le discours, en mettant à l'écart son très controversé fondateur, et même à récuser l'étiquette "extrême-droite", lui préférant "Rassemblement Bleu Marine".


Mais, tout cela c'est de l'histoire ancienne. Le débat politique a pris de nouveaux galons. La Gauche se rapproche, doucement mais sûrement, des idées de la Droite; et la Droite, rapidement et sûrement, pactise avec les idées de l'Extrême-droite.


A tel point que la présidente du FN, invitée chez Jean-Jacques Bourdin, sur BFMTV le 24 septembre, a répété, quasi mot pour mot, le discours de l'eurodéputée LR, reçue quelques jours plus tôt dans la même émission. Et là aussi, l'ex-ministre avait créé la polémique, au sujet de la crise des migrants, en déclarant: "Les Français ressentent un sentiment d'envahissement. D'ailleurs, ce n'est pas qu'un sentiment, c'est une réalité. Nous sommes submergés".


C'est vrai que le pays peine avec ses 3 millions de chômeurs et que les budgets des ménages sont de plus en plus tendus. Et que face à la persistance de la crise, la tentation est grande d'indexer des boucs émissaires. L'étranger et l'islam semblent être des proies faciles. Ils sont à l'origine du chômage et de l'insécurité. Voilà la réalité nouvelle que certains politiques tentent de servir aux Français. Mais ça ne passera pas, sinon que difficilement avec des quintaux de mécomptes. La France est et reste une grande nation.


Et cette France, que nous le voulons ou pas, que l'on nous l'autorise ou pas, fait partie de notre histoire, de notre culture. Nous ne renierons jamais notre passé, même si il est douloureux. Tout dans notre vie, au quotidien, nous rappelle la France; comme par exemple l'usage de la langue française que nous partageons avec les 66 millions de Français et les 274 millions de francophones. Voilà la vérité.


Quelle que soit la rudesse de la situation économique, ici, là-bas et ailleurs, ce partage est une réalité qui honore la France, contribue à son enrichissement interne et à son rayonnement extérieur. Et les Français, dans toutes leurs composantes, doivent en être fiers. Il n'y a qu'une seule race dans le monde : c'est la race humaine. Rien, sur cette terre et dans l'univers, n'est ni tout blanc ni tout noir. Tout est dans la nuance, rien de mouvant n'est absolu.
La droitisation
Plus l'échéance 2017 se rapproche, plus le débat s'hystérise, les positions se radicalisent.
Le point de vue de la députée européenne LR, même si il est personnel, traduit la pensée d'une partie de l'opinion publique française. Elle n'est pas celle de la France. Et depuis hier soir, la Toile s'est enflammée, les réseaux sociaux s'en sont mêlés. Certains partisans n'hésitent pas à prendre la défense de leur idylle: "Ce n'est pas du racisme, c'est du réalisme!". Et à un autre internaute d'interpeller la députée LR: "Je suis de race blanche et ma femme est coréenne, je voudrais connaitre la race de ma fille de 19 mois".


Les médias ne sont pas demeurés en reste. L'hebdomadaire français L'Obs, à travers la journaliste Emmanuelle Hirschauer, a démonté point par point, sur la base d'arguments factuels, toutes les « aberrations » de la députée européenne. Elle a montré que la parlementaire du parti conservateur surfe inutilement sur la peur. Par exemple, s'agissant d'une prétendue islamisation de la société française, "une étude publiée en avril 2015, par le PewResearch Center, [montre que] le pourcentage de musulmans en France atteindrait en 2050... 10,9%! Contre 7,5%, en 2010. Et cette projection, pour 2050, prend bien sûr en compte l'immigration". A ce rythme, c'est notre déduction, il faudrait 1200 ans pour que la population française soit totalement musulmane !


Sur ce, il ne nous reste plus qu'à prier pour que, partisans et opposants de la France "pure", aient la vie éternelle ici-bas. Le général De Gaulle, la référence des propos de l'eurodéputée, ne disait-il pas en terre africaine, un certain 30 janvier 1944, que "vivre chaque jour c'est entamer l'avenir". Alors, vivons pour l'éternité!

samedi 26 septembre 2015

Cheickna Bounajim Cissé : l’émergence de l’Afrique dans les comptes d’un banquier Malien


Je suis heureux de vous informer que votre serviteur a été sélectionné parmi les 50 jeunes leaders Africains par le cabinet Knowdys Consulting Group, n°1 de l'intelligence économique en Afrique subsaharienne. Cette opération exceptionnelle d’Africa Diligence s'inscrit dans le cadre dans le cadre de la campagne “Moi Président”. Vous pouvez lire mon interview avec le lien suivant : http://www.africadiligence.com/cheickna-bounajim-cisse-lemergence-de-lafrique-dans-les-comptes-dun-banquier-malien/

[Africa Diligence] Cheickna Bounajim Cissé est plus qu’un dirigeant de banque. Il est l’économiste et essayiste d’une Afrique qui émerge. Diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM), il est aussi titulaire d’un MBA de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, d’un Master professionnel en sciences politiques et sociales (option journalisme) de l’Institut Français de Presse, et d’une une Maîtrise en gestion des entreprises.
Co-fondateur du Club Madiba, pour une Afrique nouvelle, c’est aussi l’auteur de nombreuses publications, au profit de plusieurs médias écrits et audiovisuels, qui a accepté de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain?

Cheickna Bounajim Cissé : On n’accédera pas à l’émergence économique par hasard ou par chance, ni en Afrique ni ailleurs. Et la solution ne fonctionnera pas à l’envie. Il ne suffira pas d’avoir bien parlé, bien écrit et bien rapporté. Il faut jouer collectif et libérer les énergies. Ne nous embaumons pas d’illusions. Personne ne fera le développement de l’Afrique à la place Africaines et des Africains.

Dans un monde de plus en plus globalisé, aucun État africain à lui seul ne peut réussir son développement. Les réalités économiques, politiques, culturelles et de plus en plus sécuritaires sur le continent sont là pour nous le rappeler. Quel avenir à jouer au « freestyle » en ces temps brumeux ? Certains pays auréolés de « success stories » réels mais superficiels ont tenté des échappées solitaires en se soustrayant de la masse pour s’ajouter à des nations plus nanties. D’autres habités par le « rêve du leadership africain » ont initié des actions isolées qui ont vite montré leurs limites, de par leur singularité, leur portée et leur efficacité. En cause, la justesse de leur vision, la cohérence de leur stratégie et surtout la taille de leur économie.

Le poids de l’Afrique sur la scène internationale est presque insignifiant. Sa marginalisation est une réalité. Le continent ne pèse que 3% du commerce mondial et ne contribue qu’à hauteur de 1% à la production manufacturière à l’échelle mondiale. Cette situation perdure depuis plusieurs décennies. Et les perspectives n’annoncent pas une inversion fondamentale de la situation. D’autant que l’engagement attendu des Africains pour la cause de leur continent laisse encore à désirer. Pire ! Ils ne commercent entre eux qu’à hauteur de 15% de leurs échanges globaux. À l’évidence, l’Afrique est en sursis. Tenaillée entre peur et espoir, ballotée entre braconniers de grand chemin et garde-forestiers en petite forme, elle est à l’image de ses éléphants. Dans vingt-ans, si rien de concret et de durable n’est fait pour sauver les Africains de la misère et de l’insécurité, leur continent est appelé à disparaître dans sa forme actuelle.

L’Afrique est dépecée économiquement, culturellement et politiquement. À dire que le partenariat est devenu une trouvaille originale des dirigeants africains, aussi prompts à répondre aux invitations des puissances étrangères – et même insister à se faire inviter – que d’aller à la rencontre de leurs populations. Cette ruée vers l’Afrique, pour les richesses de l’Afrique et non pour les « beaux yeux » des Africains, tout le monde en a conscience sauf les Africains. Pourtant, un adage du terroir nous enseigne que « si la tortue rend visite au tisserand, ce n’est pas pour chercher une couverture. Elle a mieux : sa carapace ». C’est dans cette indifférence presque généralisée que les raouts se succèdent en Afrique où les distributions de chèques, d’aides et de crédits des nouveaux partenaires se disputent la partie avec les remontrances, les directives, les mises en garde et les chantages des anciennes puissances coloniales. Tout cela dans une mésestime presque généralisée qui pourrait être qualifiée de « conspiration du silence ».

Attention ! Celui qui excelle à ramasser les serpents morts se ravisera le jour où il sera en possession d’un serpent inerte pris pour mort. L’Africain du 21ème siècle, « réfugié dans le combat pour la survie » – l’expression est de Kofi Yamgnane – a changé. Il a conscience de son extrême pauvreté et de l’immense richesse de son continent et de ses dirigeants. Sa patience a des limites. Il a prouvé qu’il s’est se faire entendre quand on le fait trop attendre. Dans le chaudron africain, des ruelles fumantes de Sidi Bouzid en Tunisie aux mines de platine ensanglantées de Marikana en Afrique du Sud, du centre-ville bouillant de Ouagadougou au Burkina Faso au littoral mouvementé du Puntland en Somalie, l’odeur de la colère des peuples africains, délaissés chez eux et indésirables ailleurs, ne cesse de fumer et d’enfumer. Et nul doute, dans les prochaines années, si les gouvernants africains plus soucieux de la gestion de leur temps de présence que du développement de leur pays ne leur proposent pas de meilleures conditions de vie, les populations africaines abandonnées à l’oubli et à la misère montreront du muscle en s’auto-administrant. Peut-être de façon chaotique et sarcastique ? Qu’importe pour eux si le sacrifice est déjà consommé ! Ils s’en contrefichent. Et il n’y aura ni recul ni renoncement de leur part. Pour autant la conscience citoyenne africaine est interpellée pour sa part de responsabilité dans le choix des hommes devant conduire les affaires de la cité. Elle devrait se rappeler ce dicton peul : « Si tu fais d’une grenouille un roi, ne t’étonne pas de l’entendre coasser ».

Plus sérieusement, l’Afrique accuse un retard inadmissible à l’allumage alors qu’elle a tous les atouts pour s’y faire. Que nous arrive-t-il ? Avons-nous tiré toutes les leçons du passé ? Qu’avons-nous fait de l’Afrique, cette vieille dame au silence écouté, qui nous a tout donné et à qui nous avons tout refusé ? Les oreilles des populations africaines ont été tellement travaillées par les gouvernants et les intellectuels à coup de fausses promesses, de fausses vraies réalisations distillées à travers meetings, conférences, sommets et autres forums que nous doutons qu’elles puissent encore entendre. Or, comme le dirait l’autre : « les bêtises, comme les impôts, tôt ou tard vous allez les payer ». Et si tel est notre destin, assumons-le ! Mais allons-nous hypothéquer l’avenir des générations futures en les condamnant, non à développer leur continent mais à le fuir, en masse, pour survivre de la faim, de la guerre et de la maladie ?

Point de fatalité ! Nous ne pouvons pas être en détention et revendiquer les privilèges de la liberté. Oui c’est nous, les Africains, qui avons mis notre continent dans les liens de la détention et de la servitude. Point de bouc émissaire ! Il faut sortir de la victimisation, assumer ses responsabilités et avoir le regard lucide sur la situation de l’Afrique. Faut-il attendre des « partenaires » de l’Afrique qu’ils développent le continent ? Assurément, non. Ce sera trop leur demander. Et même si c’était le cas, ils ne le feront pas. Ce n’est pas parce qu’ils aiment le foie gras qu’ils doivent forcement s’intéresser à la vie du canard. Les relations économiques internationales sont un jeu à somme nulle. Chaque État veille, légitimement et jalousement, sur ses intérêts. Et tout y passe pour les préserver.

Et l’Afrique ne peut pas continuer à tendre la main ad vitam aeternam. L’aide a ses limites. Aucun plan de développement crédible et pérenne ne peut reposer principalement sur ce modèle au risque de secréter l’assistanat, la pauvreté et la misère dans le pays adressé. D’ailleurs, si l’aide pouvait émanciper un pays, ça se saurait. Et Haïti aurait été l’une des nations les plus prospères au monde. Ce pays qui a bénéficié de l’équivalent de 120 plans Marshall en trois décennies a enregistré, paradoxalement, la baisse de 20% du niveau de vie de ses habitants ! Cet exemple est assez révélateur du modèle économique dans lequel l’Afrique s’englue depuis plus d’un demi-siècle. Il faut donc changer de logiciel de développement. Il va falloir s’y résoudre définitivement, le développement de l’Afrique ne viendra pas d’ailleurs. Ni maintenant ni demain. Il viendra, ou ne viendra pas, par le seul fait des Africains. Tant mieux, bien sûr, si un soutien étranger peut y contribuer. Mais, comme le dirait l’autre, ce soutien ne servira rien s’il n’y a rien à soutenir.

L’émergence de l’Afrique n’est pas un choix. C’est une nécessité pour l’humanité, quoi qu’en pensent ou qu’en fassent les Africains. L’Afrique n’est pas l’avenir du monde, c’est le monde.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Pour prescrire la thérapie, il faut d’abord s’accorder sur le diagnostic. Un constat semble être partagé : tant que le commerce intra-africain restera à ce niveau ridicule et minuscule de 15% (contre 68% pour l’Europe et 57% pour l’Asie), point d’émergence pour le continent. Ou l’Afrique intensifie ses échanges avec elle-même ou elle organise son suicide collectif. C’est le substrat du premier levier.

Dans le cadre de la construction continentale de chaînes de valeur, il faut identifier les domaines prioritaires, mettre en valeur les potentialités individuelles, favoriser les actions de synergie à travers une meilleure division des tâches, et libérer le dynamisme du secteur privé. Pour ce faire, on peut imaginer que chaque État africain, à tour de rôle, organise une rencontre continentale pour inviter les 53 autres États sur un ordre du jour précis issu d’un plan d’émergence global du continent avec une feuille de route et un chronogramme de mise en œuvre. Évidemment à une cadence annuelle, l’état déplorable dans lequel le continent est plongé ne pourrait que s’empirer. Il faut donc forcer le destin et organiser des rencontres trimestrielles avec comme objectif de boucler les rencontres à l’horizon 2030.

Il y a deux actions urgentes à poser : transformer nos matières premières en Afrique, et contrôler les entreprises chargées de cette transformation.

Pour financer ce développement inclusif, plusieurs initiatives sont à portée de main. Par exemple, il faut revenir aux vieilles bonnes recettes de l’Afrique profonde : la tontine. Chaque État cotisera trimestriellement l’équivalent de 1 milliard FCFA. À chaque fin de période, la cagnotte (appelée « pari » en bambara au Mali) de 54 milliards FCFA servira au financement d’un projet industriel d’envergure dans le pays hôte du sommet continental. Les produits manufacturés issus de cette usine seront exclusivement destinés au marché intérieur africain. Ainsi, à l’horizon 2030, la solidarité continentale mobilisera sans pression, sans taux d’intérêt et sans tracasserie administrative, une enveloppe globale de 729 milliards FCFA pour le financement du commerce intra-africain. C’est un « quick win » (victoire rapide) qui permet de donner de l’espoir et de tracer la route.

Le second levier, qui doit être au service de l’intensification du commerce intra-africain, est la réforme du secteur bancaire du continent qui doit être basée sur un fort ancrage local. Cette transformation s’articulera autour des points suivants :
  • Créer des zones franches bancaires pour permettre aux établissements de crédit d’investir les localités rurales ou défavorisés pour bancariser les résidents, et permettre ainsi d’améliorer substantiellement le faible taux de bancarisation actuel de 15% dans plusieurs pays africains ;
  • Favoriser l’émergence de « champions bancaires » à même de relever la contribution des banques dans le financement des économies nationales qui est actuellement de 25% dans la majorité des pays africains au sud du Sahara ;
  • Créer des banques publiques d’investissement dans chaque État africain, contrôlées par des capitaux nationaux, et destinées à financer les secteurs clés de l’économie comme l’agriculture, l’industrie… ;
  • Réviser la réglementation bancaire pour l’ouvrir à la finance islamique avec l’objectif de créer des banques islamiques, de permettre au système conventionnel de commercialiser des produits islamiques, et de permettre aux États de lever des fonds « sukuk » pour le financement des infrastructures publiques.
  • Renforcer l’éducation financière en vue de vulgariser les concepts de base de l’industrie bancaire et de développer la culture financière de la population.
  • Faciliter l’essaimage des incubateurs d’entreprises pour renforcer le tissu économique et réduire le taux de « mortalité » entrepreneurial.
  • Faire évoluer l’approche risques des banques, de créanciers hypothécaires à financeurs du développement
Tous ces différents points, et d’autres, ont fait l’objet d’un ouvrage que je publierai très bientôt.

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Évidemment, une telle charge n’est pas inscrite dans mon agenda. Il y a des autorités démocratiquement élues qui sont en place et qui s’attèlent à mettre en œuvre le programme pour lequel elles ont reçu un mandat du peuple malien. Et dans la situation actuelle, extrêmement difficile, elles doivent bénéficier de l’apport de tous les Maliens, et de tous les amis du Mali. J’avais déjà fait des propositions dans ce sens dans mon livre « Les défis du Mali nouveau » paru en 2013 sur Amazon.fr.

Dans un pays qui sort difficilement de la crise la plus profonde de son histoire, tout est urgent, tout est prioritaire. Et, il est difficile de faire comprendre aux populations que les problèmes auxquels elles sont exposées sont tellement nombreux et pressants et qu’au regard de l’énorme retard du pays, qu’il faille faire preuve de patience. D’autant que la nature des questions à résoudre est structurelle alors que les désirs de changement des populations sont inscrits dans l’immédiateté « Tout, tout de suite ». Trouver un bon alliage entre les deux exigences n’est pas chose aisée. Et c’est là, toute la difficulté de l’exercice. Et la facilité de se lancer dans des promesses creuses et démagogiques est tentante.

Il faudra à la fois faire face aux urgences et préparer l’avenir. L’urgence, c’est la paix et la sécurité sur toute l’étendue du territoire national. L’avenir, c’est l’émergence économique du pays. Les trois premières mesures, qui symboliseraient le changement et l’espoir, porteraient sur le rassemblement, toutes composantes confondues, autour de la cause nationale, le partage de la vision de l’émergence, et l’exemplarité comme annonce à une lutte implacable contre la corruption.

Il nous faut devenir des « tortues-lièvres » – l’expression est de Hervé Sérieyx, animaux bizarres capables de courir vite mais, également, longtemps et sans précipitation. Pour ce faire, deux choses sont nécessaires : la pédagogie pour expliquer des choses sérieuses avec gravité et sans tristesse ; et aussi, c’est important, initier et réaliser des quick wins (ou victoires rapides) pour envoyer un message d’espoir et d’engagement au peuple.

mercredi 4 février 2015

Mali, à l’assaut des conseils d’administration des banques

(article complet publié le 04/02/15 par Financial Afrik et la version synthétique le 04/02/15 par Les Echos en France sous le titre "Mali: alerte sur la gouvernance bancaire ! )

A la faveur de récents mouvements annoncés ou suscités, le secteur bancaire s’invite au débat. A l’évidence, le feu couve sous la cendre. Comme une goute d’eau versée sur un fer chauffé à rouge, la fumée s’échappe de la cheminée des chapelles bancaires. Blanche ou noire ? En ligne de mire, le mode de gouvernance le plus efficace à même de porter le projet politique au sein des établissements bancaires d’obédience publique.

Les spécialistes de « broderies bancaires » n’ont qu’à bien se tenir. Un nouveau paradigme profile à l’horizon : se saisir d’une interprétation de la réglementation bancaire pour donner corps à une décision stratégique.
Certes, il est difficile de prêter une oreille attentive aux paroles du gourmand lors du partage de la viande. Mais lorsqu’elles sont sages et réfléchies, cela mérite un détour. Les questions de gouvernance doivent être prises très au sérieux. Partout, et surtout en milieu bancaire. On ne peut pas s’y engager avec l’intention de faire un tour de piste, le temps d’imprimer sa marque de fabrique, de garnir ses épaulettes et de raconter une belle histoire aux prescripteurs. Et se dégonfler pour s’arranger plus tard avec la réalité, entre amis, et faire face à l’acuité du quotidien.

La bonne gouvernance n’est et ne saurait être une option, un vélo d’appartement où les animateurs des structures de contre-pouvoirs rongent leurs freins, faute de trouver mieux. La gouvernance ce n’est pas de la paille, encore de l’enfumage. Elle ne saurait être un jeu, une affaire d’improvisation. C’est du costaud. C’est pour avoir été négligé et même oublié, que le concept revient en force sur la scène publique.
La gouvernance est un tout. On ne peut pas la mettre en pièces détachées, prendre la partie gratifiante et laisser « l’os » à d’autres soins. La révélation de manquements et autres coups de canif portés à son encontre ne peut être une tempête circonscrite dans un verre d’eau. Elle touchera, tôt ou tard, avec un effet amplifié, l’image et la réputation de l’établissement bancaire adressé. Pour la simple raison qu’elle remet en cause la confiance, indispensable pour bâtir de relations sérieuses et durables entre toutes les parties prenantes. Est-il besoin d’insister ? Les banques sont les dépositaires de la confiance de leurs clients.

Réduite ou élargie ?

L’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et GIE de l’OHADA fixe le nombre d’administrateurs des établissements bancaires à trois membres au moins et douze membres au plus (art 416). La question suivante se pose : la taille est-elle un élément déterminant dans l’efficacité du conseil d’administration ? Plusieurs études conduites dans les grandes banques européennes ont démontré qu’il n’y avait pas de corrélation entre la taille de l’organe délibérant et l’efficacité de la gouvernance. Ce qui n’est pas de l’avis de tous les auteurs. Jensen et Meckling estiment que le conseil d’administration est plus performant chaque fois que le nombre de ses membres augmente. Par contre, pour Yermack, les conflits sont mieux gérés avec un conseil à taille réduite. Dans la pratique, les banques dotées d’un conseil d’administration à taille réduite (ABN AMRO ou UBS) n’ont pas été les plus épargnées par la crise financière internationale. Tout comme, les conseils à taille élargie n’ont pas apporté plus de valeur ajoutée à leur entreprise.

Comme le rappelle un adage du terroir : « Une pirogue n’est jamais trop grande pour chavirer. ». D’autant que pour les grandes banques, la taille qui les identifie et qui constitue leur force, porte aussi le germe de leur fragilité. En effet, une banque est comme un bateau : plus elle est grande, plus elle est difficile à arrimer et à accoster. A taille humaine, elle a une mobilité plus aisée qui lui assure proximité et efficacité.

Moniste ou dual ?

Il faut ici préciser que dans l’espace OHADA le mode d’administration de la société anonyme (SA) peut revêtir deux formes : la SA avec conseil d’administration et la SA avec administrateur général (art 414). Dans l’espace sous-régional UEMOA, la réglementation bancaire n’autorise qu’un mode d’administration unique : la SA avec conseil d’administration. Par contre, le mode de direction reste ouvert : Président-Directeur Général (gouvernance réunie), et Président du Conseil d’Administration et Directeur Général (gouvernance dissociée).

Certains analystes estiment que le PDG est juge et partie quand il anime le débat au sein du Conseil. Si d’aventure, son projet présenté en Conseil venait à être refusé par les autres administrateurs, son double statut risque d’être mis en cause. Pour ne pas en arriver là, il peut être tenté de « sur-intervenir » en conseil ce qui peut être préjudiciable pour la qualité du débat. Les opposants au monisme proposent donc de dissocier les fonctions de président et de directeur général. Dans ce cas, le Conseil à travers son Président n’interférera pas dans la gestion opérationnelle de la banque et assumera pleinement son pouvoir de contrôle sur l’exécutif conformément à l’article 435 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et GIE.
Les avocats Mamadou Konaté et Bérenger Meuke font remarquer que « la supériorité formelle de la gouvernance duale reste à démontrer, tout dépend des rapports de force internes. Autant la gouvernance duale peut permettre une dissociation des pouvoirs de direction, autant elle peut aboutir de par les rapports de force qui naissent très souvent entre le Directeur Général et l’actionnariat, à une paralysie de la gestion sociale et partant à la chute de l’entreprise. » Les deux juristes concluent : « Au-delà de ces ’’petits arrangements entre amis’’, c’est aussi la vaste question du contrôle social de la société par l’ensemble de ses parties prenantes (stakeholders) qui est posée. »

Il est intéressant de noter que la pratique en Europe a montré que le système dual (UBS ou ABN AMRO) n’est pas forcément le gage d’une plus grande transparence et donc d’une gouvernance renforcée. La Société Générale s’était essayée au dualisme, sans succès évident, avant d’y revenir il y a quelques semaines. Auparavant, elle a aussi expérimenté une nouvelle formule du système moniste avec la nomination d’un PDG, non sans instaurer un lead director (vice-président). Ce poste n’est pas prévu dans les dispositions de l’OHADA.

Au niveau de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, le régulateur a fait part de sa préférence pour la formule duale sans en faire une obligation. Soyons donc clair, précis et concis. Aucune disposition réglementaire en vigueur dans la zone UMOA n’oblige une banque à mettre en place un système dual : PCA et DG. Celui-ci est-il un gage de bonne gouvernance ? Pas forcement. En vérité, il n’y a pas une solution unique mais des méthodes qui sont meilleures dans différentes situations.

La circulaire n°005-2011/CB/C du 04 janvier 2011 relative à la gouvernance des établissements de crédit de l’UMOA, précise en sus des dispositions du droit commun que « l’organe délibérant doit être composé notamment de membres capables de porter un jugement indépendant sur les activités de l’établissement ». Que dire alors des cas d’administrateurs salariés dans le conseil d’administration de certaines banques ? Leur indépendance saurait-elle survivre à leur lien de subordination ? Cette circulaire de la Commission Bancaire reprend à son compte une disposition de l’Acte uniforme notamment celle qui attribue au conseil d’administration la mission de fixer les rémunérations du Directeur Général et le cas échéant du Directeur Général Adjoint (article 5 point 3 de la circulaire sus visée). Au menu de leurs travaux, les administrateurs doivent inscrire au moins deux fois par an un point sur la gouvernance d’entreprise. A l’occasion, ils devraient intégrer en leur sein des administrateurs indépendants, libres de tout intérêt (c’est-à-dire non-salariés, non actionnaires et déconnectés de tout lien politique et corporatiste), dont le nombre est limité au tiers des membres du conseil (art 417 de l’OHADA). La Circulaire n° 003-2011/CB/C du 04 janvier 2011 de la Commission Bancaire fait obligation à l’organe délibérant de créer le Comité d’Audit (art 6 de la circulaire) et de veiller à ce que ce comité soit « principalement composé d’administrateurs non-salariés ».

Pour renforcer la gouvernance au sein des banques, il nous semble judicieux de veiller à l’assiduité (disponibilité) des administrateurs et à leur engagement (participation) lors du débat des différentes séances du conseil d’administration.

La circulaire de la Commission Bancaire n°005-2011/CB/C du 04 janvier 2011 recommande en son article 5 point 5 que « les fonctions de Président du Conseil d’Administration et de Directeur Général soient assumées par des personnes physiques différentes. Cependant, lorsque le Conseil d’Administration est dirigé par un Président-Directeur Général, celui-ci doit veiller à assurer une gestion transparente de la société vis-à-vis des autres parties prenantes, et à ne pas entraver l’exercice par le Conseil d’Administration de son rôle de contrôle de la gestion de la société. » A la pratique, certaines banques de la zone continuent de fonctionner avec l’unicité de direction (PDG) sans qu’il soit prouvé qu’elles soient moins bien gérées que celles qui ont opté pour le système dualiste. Mieux, certains dirigeants qui avaient opté pour la cohabitation (PCA/ DG) avaient plongé leur banque dans un coma profond (administration provisoire) qui a failli leur être fatal. Les interférences de rôles et de pouvoirs entre les deux organes sociaux peuvent se prolonger au niveau du personnel bancaire, s’amplifier et même dégénérer en conflits de personnes, sectionner la banque en clans et ainsi détériorer gravement le climat social au sein de l’entreprise. En vérité, l’essentiel est ailleurs. Des questions de fond existent, à savoir, d’où ça vient et où ça va aller.

Conclusion

Il n’y a pas de recette «clé en main» ni de solution « passe partout ». Chaque établissement bancaire, à ses réalités. Antoine de Saint-Exupéry prévient : « Voyez-vous dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions les suivent. »

Dans la nouvelle dynamique en marche, il faut simplement éviter tout atterrissage forcé sur la piste bancaire. Tout comme, il faut s’affranchir des remises en ordre inutilement spectaculaires, dont on doit faire l’économie avec une dose raisonnable d’explication, d’ouverture et d’humilité. Pas plus d’ailleurs que les accusations excessives, les amalgames maladroits et les revanches dissimulées doivent être proscrits.

Est-il vrai que le pouvoir donne des envies et fait des envieux ?

La persistance d’une fêlure béante dans la gouvernance bancaire ne peut qu’avoir des effets dommageables sur l’image et la réputation des établissements adressés. Dans ce contexte, personne ne doit se réjouir à ce que les bouleversements attendus ou suscités produisent leurs effets contraires à la faveur d’un assaut décisif et mal inspiré. Pour autant, personne ne doit tirer intérêt à une gouvernance approximative, hors des standards internationaux, si tant est que les motivations sont fondées, réelles et fécondes. C’est dire que le double postulat avancé n’est pas simplement circonstanciel. En effet, rien n’assure aux survivants d’aujourd’hui qu’ils ne seront pas les victimes de demain.

Plus sérieusement, chacun doit se convaincre que si le vent du malentendu souffle sur l’étincelle des rancœurs, s’allumerait alors un brasier dont personne ne pourrait présumer l’ampleur et les limites. La « théorie du chaos » explique qu’une variation minime dans le mouvement d’éléments liés entre eux peut provoquer des effets en cascade aux conséquences incalculables. A notre humble avis, les enjeux sont plus importants que les ambitions personnelles. Il faut s’élever au-delà des intérêts partisans, éviter les chocs des ambitions et briser le climat de défiance qui pourrait s’installer.

Pour une autre raison, la sérénité est nécessaire. Elle est même indispensable à l’exercice de l’activité bancaire. Comme le rappelait, trivialement, un commerçant guinéen : « l’argent a peur du bruit ».

La vie, d’une personne physique ou morale, n’est jamais un fleuve tranquille. C’est une course de fond, avec plusieurs « check point » sur le passage, qui requiert de l’endurance et de l’humilité. Gardons-nous de compter les poussins avant que la poule n’ait pondu les œufs !

Rien ne peut remplacer la patience. Tout comme, rien n’est aussi préjudiciable que la résignation. Il faut trouver une ambiance nouvelle dans le cadre d’une confiance retrouvée. Pour ce faire, Il faut se détacher de l’émotion, anticiper et minimiser les distorsions. Les mots doivent être choisis et raisonnés. Les actions, au long cours, qui s’y rapportent doivent être mûrement réfléchis et partagés. Eviter l’abus qui résulterait d’un usage excessif de l’autorité. S’affranchir du laxisme qui pourrait naître d’une trop grande mollesse des actes. Tels sont les gages, nous semble-t-il, de lendemains plus apaisés pour la gouvernance des banques maliennes.

Pour mimer une écologiste française, oui à une gouvernance de combat, non à une gouvernance de coups bas.