mardi 29 avril 2014

Mali : et si ce n’était pas un poisson d’avril ?

Il fait tard ce samedi 5 avril 2014 à Bamako. La télévision nationale vient d’interrompre son programme pour un « Flash Spécial ». Le président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) vient de mettre fin aux fonctions du premier ministre et, à la suite, a nommé Moussa Mara comme nouveau chef de l’exécutif. La nouvelle est tombée comme un couperet. En cette période de canicule, le marigot politique malien est en pleine ébullition. Si bouillant qu’un poisson d’avril y survivra difficilement !




Le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta a usé de ses prérogatives constitutionnelles (article 38 de la Loi Fondamentale) pour changer de cap. Il signe ainsi un tournant décisif de son quinquennat. Avec la nomination du jeune leader politique Moussa Mara, comme premier ministre, IBK a frappé un grand coup médiatique et psychologique qui n’a pas fini de révéler ses surprises.

Première surprise : Pas de chèque en blanc


Le président IBK avait renouvelé sa confiance à son ancien premier ministre, Oumar Tatam Ly, lors de la présentation des vœux. Ce qui s’est avéré plus tard comme une reconduction tacite. En effet, après les législatives, le Président n’a pas jugé utile de sacrifier à une tradition républicaine de procéder à un remaniement ministériel. Certains observateurs ont estimé que cette pratique et non cette obligation ne s’imposait que si la configuration politique issue des urnes était différente de l’architecture de l’attelage gouvernemental. Qu’est ce qui a pu bien se passer entre décembre 2013 et ce 05 avril 2014 alors que l’ancien premier ministre s’apprêterait à engager la responsabilité de son gouvernement devant les élus de la nation? Si on se réfère à sa lettre de démission, Oumar Tatam Ly s’est entretenu avec le président de la République à quatre reprises (2, 3, 16 mars et 04 avril 2014) afin de trouver une solution aux « dysfonctionnements et insuffisances relevées dans la marche du Gouvernement». Il avoua, implicitement, qu’il ne disposait pas de coudées franches pour diriger du fait qu’il n’a pas pu convaincre le Président des nécessaires ajustements qu’imposait un « environnement institutionnel devenu moins favorable » à la sortie des élections législatives. Le poète Virgile a raison : « Felix qui potuit rerum cognoscere causas ! »


Deuxième surprise : Démission ou Limogeage ?


Le communiqué de la présidence de la République indique que le Chef de l’Etat « a mis fin aux fonctions de monsieur Oumar Tatam Ly, premier ministre et chef du Gouvernement ». Le mode opératoire reste inédit dans la tradition républicaine malienne, abstraction faite du départ musclé de l’ancien premier ministre « de pleins pouvoirs ». Les termes laconiques et assez tranchants utilisés dans le rendu officiel alimenteront, à coup sûr, le débat public. Quelle est la clé du mystère ?


Troisième surprise : La logique du choix politique


Le président de la République a porté son choix sur un homme au cursus politique pour le moins atypique. Moussa Mara, candidat aux dernières élections présidentielles, n’a recueilli que 1,5% des voix. Aux législatives, son parti YELEMA n’a pu remporter qu’un seul siège sur 147 en compétition. La faiblesse du poids politique ne constituera-t-elle pas une contrainte au nouveau premier ministre, d’autant que dans la majorité présidentielle son parti est minoritaire ?


Quatrième surprise : Du roseau au baobab


Le nouveau premier ministre en tant que nouveau « chef de l’administration » ne dispose pas d’une courbe d’expérience forte dans la gestion des hautes sphères de l’Etat. Son expérience gouvernementale n’a duré que 7 mois. Pour autant, il a su faire preuve de beaucoup d’audace, d’initiative, de combativité, d’écoute et de transparence durant son mandat de maire à la tête d’une des communes du district de Bamako. Cette expérience de gestion locale et de proximité peut-elle combler son inexpérience de la gestion des questions nationales et internationales ? Qui aurait pu parier sur sa nomination vu ses états de service et ceux de ses compétiteurs ? Le jeune premier ministre malien a un atout de taille que beaucoup d’hommes politiques lui envient. Il a toujours prêché par l’exemplarité. Il a été le seul élu à faire, régulièrement, une déclaration publique de ses biens devant ses administrés et à la presse et cela sans aucune contrainte légale.


Cinquième surprise : Pas de RPM


Pour la deuxième fois consécutive, Ibrahim Boubacar Keïta n’a pas porté son choix sur un cadre de sa formation politique, le Rassemblement pour le Mali (RPM). Le nouveau premier ministre est le fondateur et le président du parti YELEMA (le changement en bambara), membre de la majorité présidentielle. Depuis plusieurs semaines, la presse locale s’est faite gorge chaude des mésententes supposées entre Oumar Tatam Ly et certains ténors du RPM. Il semble que ces derniers aient appelé en vain leur mentor a nommé un premier ministre de leur sérail. IBK a toujours dit que son élection va au-delà du fait partisan. Il compte rester au-dessus de la mêlée politique. Chemin faisant, pas sûr que IBK ait ainsi donné du bon coton à filer à ses « tisserands ». La promotion de Moussa Mara ne manquera pas de faire des vagues. Le RPM et les autres composantes de la mouvance présidentielle vont-ils se satisfaire de cette nomination et s’engager à soutenir et à accompagner le nouveau premier ministre ? Faisons confiance au temps. C’est un grand bavard. Il parle sans être interrogé.


Sixième surprise : Pas de rancœur, ni de rancune


C’est un euphémisme de rappeler que l’histoire politique malienne a été marquée en 2007 par une chaude empoignade en commune IV de Bamako, née de la confrontation entre le président de la République actuel et son nouveau premier ministre pour la députation dans cette circonscription électorale. Au premier tour, le second avait mis en ballotage défavorable le premier. IBK finira par l’emporter au deuxième round grâce au soutien et à la voix des autres partis politiques venus en renfort pour contrer les ambitions du jeune candidat indépendant. Sept ans plus tard, cet épisode de leur vie commune est devenu une histoire ancienne. Ce qui est sûr, certain et constant, le président IBK n’est pas rancunier. Il prouve une fois de plus sa stature d’homme d’Etat en promouvant un ancien adversaire politique et qui plus est n’a jamais fait mystère de ses ambitions présidentielles. L’entente entre les deux hommes pourrait-elle se maintenir à l’entame du prochain scrutin de 2018 ? On est encore loin de cette échéance et, d’ici là, beaucoup d’eau aurait coulé sous le pont.


Septième surprise : Clin d’œil à la jeunesse


En nommant Moussa Mara, le président de la République a voulu envoyer un signal fort à la jeunesse de son pays. Le nouveau premier ministre n’a pas encore 40 ans. Il a eu ses 39 printemps le 02 mars dernier. Il est le plus jeune premier ministre de l’histoire de la République du Mali. N’est-il pas assez jeune pour occuper ce poste ? Sa jeunesse ne sera-t-elle pas un handicap ? A sa décharge, voici la réplique de Don Rodrigue dans Le Cid : « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. »


Huitième surprise : Agenda surbooké


Le président de la République s’apprêtait à partir le dimanche à Kigali pour assister aux commémorations du 20ème anniversaire du génocide rwandais, alors qu’il revenait la veille d’un déplacement assez chargé qui l’a mené à Abidjan et à Bruxelles. Le timing de son agenda ne présageait pas d’une prise de décision aussi majeure. A-t-il été surpris par la soudaineté de la démission de son ex-désormais premier ministre, Oumar Tatam Ly ? Pourquoi ne s’est-il pas donné un temps de réflexion ? Moussa Mara étai-il déjà positionné sur l’échiquier ?


Neuvième surprise : Sur fond de crise


Cette reprise en main de l’action politique par IBK intervient en pleine crise au moment où la question de la normalisation du septentrion du pays reste entière, avec les récentes provocations du groupe irrédentiste MNLA qui festoie à Paris et à Kidal pour célébrer l’An 3 de la déclaration d’indépendance de leur « Azawad ». Et aussi, à un moment où de fortes allégations de corruption sont tenues à l’encontre du Chef de l’Etat malien par le journal français Le Monde (Tomigate). On le pensait donc affaibli et préoccupé par ces actes hourdis et grotesques et qu’il allait utiliser toute son énergie et tous ses efforts pour laver son honneur et sa dignité. Il n’en est rien. IBK, avec un moral d’acier, reste fidèle à sa ligne de conduite : l’honneur du Mali et le bonheur des Maliens.
L’on peut ainsi continuer à égrener les surprises que la nouvelle de la nomination de Moussa Mara à la primature a suscitées sans être sûr de les épuiser tant la surprise générale est grande, les interrogations nombreuses et légitimes.

On ne peut pas travailler au four et avoir peur de la chaleur


Les maliens attendent du nouveau chef de gouvernement de la clarté, du rythme et de l’autorité. Le promu dispose de beaucoup d’atouts pour surmonter les innombrables défis qui se dressent sur son chemin. Un a retenu particulièrement mon attention. Il me semble majeur. C’est le défi politique.
Moussa Mara est expert-comptable de son état. Il va falloir qu’il ne se trompe pas dans la comptabilité politique : 1+1 est rarement égal à 2. La somme peut être zéro ou même trois ou plus. En sciences politiques, comme dans tout environnement complexe, la ligne droite est rarement le chemin le plus court entre deux points.


Le vrai tour de force du nouveau premier ministre c’est de réussir l’équilibrisme politique et ainsi remettre le quinquennat présidentiel sur les rails. Sa survie politique y dépendra. Il va falloir qu’il se la joue fine. La politique, c’est comme le sable mouvant. Plus on s’agite, plus on s’enfonce. On ne peut non plus spéculer, en faisant le mort et espérer le lever du soleil. L’illusion et la division sont deux graves dangers qu’il doit absolument éviter.


Moussa Mara est connu pour sa résistance, son tempérament et son action. Il n’est pas du genre à caresser les tympans ni à flatter la rétine. Il a fait ses preuves à la base, au niveau de sa commune. Maintenant, l’attente est nationale. Et ce n’est pas une tâche aisée. Il va donc falloir qu’il se dévoile un peu plus. Il doit traduire en actes concrets les promesses électorales du président de la République : plus de sécurité, plus de justice, moins de corruption. Et, il le sait, aucun répit ne lui sera accordé.


Déjà, dans les jours à venir, il fera face à son premier test : le casting du nouvel attelage gouvernemental. Et plus tard, la déclaration de politique générale devant les députés de l’Assemblée Nationale.


Il faut aussi rendre un hommage mérité au premier ministre sortant, Oumar Tatam Ly. Il a donné ce qu’il pouvait et la nation malienne lui sera reconnaissante pour le travail accompli et le sacrifice consenti.


Après l’émotion, place maintenant au Travail !


Il faut l’union sacrée autour de l’essentiel. Et l’essentiel c’est la paix, la réconciliation nationale, l’amélioration du pouvoir d’achat. Le président IBK a surpris en nommant Moussa Mara à la tête de l’Exécutif malien. Il reste maintenant au jeune promu de surprendre par la justesse de ses choix et la pertinence de ses actions. Il en a la volonté et les moyens. Plaise à Dieu qu’il réussisse ! Pour l’honneur du Mali et le bonheur des Maliens !

Et si Le Monde n’est pas le monde ?


Le 28 mars 2014, le très respecté quotidien français, Le Monde, publie un article qui met en cause l’intégrité du chef de l’Etat malien. La presse malienne s’emballe. La classe politique s’emmêle.  Et, le peuple malien qui peine à se remettre de son traumatisme de 2012, s’interroge. Au nom de la liberté de la presse, a-t-on le droit d’outrepasser l’honneur et la dignité d’un peuple ?


« ‘’Messieurs, soyez emmerdants !’’ La consigne de l’austère directeur du Temps n’est plus de mise aujourd’hui, même pour l’héritier naturel Le Monde[1] […] L’homme moderne n’accepte plus de s’emm… Il a raison. La mortification n’a pas engendré que de beaux esprits. » C’est en ces termes que le journaliste français Loïc Hervouet introduisait en 1979 son livre « Ecrire pour son lecteur »[2].

Et il poursuit : « La demande d’informations, et d’informations utiles et précises, reste grande. » Il n’en faut pas plus, pour nous y attarder et asseoir notre démonstration sur ces deux principes de bases qui domestiquent la crédibilité de l’écriture journalistique : l’utilité et la précision. A plus de trois décennies de distance, cet aphorisme de celui qui fut médiateur de RFI et dirigea la prestigieuse Ecole supérieure de journalisme de Lille, garde tout son sens.

L’article du quotidien français Le Monde, avec comme titre : La justice sur la piste du « parrain des parrains »[3], mis en ligne le 28 mars 2014, est-il utile et précis ?

Nous allons donner notre point de vue. Non comme bon mais tout simplement comme nôtre. Celui d’un citoyen engagé et intéressé pour la cause de son pays et touché au plus profond de lui-même par les graves allégations proférées par le quotidien français et relayées à profusion par les médias. A l’entame, un éclaircissement s’impose. Ce n’est pas parce que nous n’adhérons pas au contenu de l’article incriminé du Monde que tout ce qui y est écrit est faux et illégitime. Soyons donc clair. Faut-il soutenir l’institution présidentielle au détriment de la liberté d’expression ? Notre choix est fait. C’est la défense et la préservation de l’image et de la réputation du Mali.

Pour le lecteur, rappelons les mensurations factuelles de l’article incriminé :

  • La qualité de la personne qui porte l’accusation : Le Monde est un journal de renommée mondiale. Et ce n’est pas un hasard s’il est considéré comme un quotidien « de référence dans la presse francophone », disponible dans plus de 120 pays, diffusé à plus de 400 000 exemplaires et lu par près de 2 millions de lecteurs.
  • La qualité de la personne visée par l’accusation : Plusieurs dirigeants africains sont cités et mis en cause par l’article. Pour ce qui nous concerne, c’est le président de la République, première institution du Mali conformément à l’article 25 de la Constitution, qui est visé ;
  • La gravité de la nature des accusations présumées : De graves allégations qui accusent le chef de l’Etat malien de connivence, de connexion et de collusion d’intérêt avec certains « milieux mafieux » : « corruption d'agent public étranger », « blanchiment aggravé en bande organisée », « abus de biens sociaux », « faux en écriture privée »… 
     
    L’article est-il précis ?
    Sept années après avoir énoncé les grands principes de l’écriture journalistique, l’ancien Médiateur de RFI Loïc Hervouet remettait le couvert dans une interview au petit journal : « Dans un premier temps, quand l’objectif d’un média est de vendre de l’information, il a tendance à faire dans le sensationnalisme, et à donner la priorité à la rapidité de la diffusion des nouvelles. Au bout d’un moment, il s’aperçoit qu’il perd de sa crédibilité vis-à-vis des lecteurs ou des téléspectateurs. J’observe alors que le média en question se remet à installer des règles et un code de conduite. C’est le public lui-même qui va pousser le média à fournir des informations en quelque sorte labellisées, plus sûres et plus professionnelles. »[4]
    Ces mises au point, contenues dans la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptée en 1971 à Munich, sont d’ailleurs confirmées par la charte d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde qui parle d’ « information de qualité, précise, vérifiée et équilibrée» et que ses journalistes doivent s’interdire « toute manipulation et plagiat, ne relaient pas les rumeurs, évitent le sensationnalisme, les approximations et les partis-pris. »[5] Comme le dirait l’autre : « le journaliste publie uniquement des informations dont l’origine, l’exactitude et la véracité sont établies, le moindre doute l’obligeant à s’abstenir ou à recouper à défaut de le faire dans les normes professionnelles requises. »
    Montesquieu conclut : « L’équité naturelle demande que le degré de preuve soit proportionné à la grandeur de l’accusation. »
    Après une lecture « flottante » de l’article du Monde, nous en revenons avec au moins trois imprécisions.
     

  • La mort d’Omar Bongo
    « Fort de ses relations privilégiées avec l'ex-président Omar Bongo, mort en 2012, il a su faire fructifier ses intérêts. »
    Omar Bongo est mort le 8 juin 2009 et non en 2012. Ironie du sort, Le Monde a été l’un des premiers journaux à l’annoncer[6].

  • Le casino de Bamako
    « [Le principal mis en cause] est depuis 2009 l'unique détenteur d'une autorisation d'ouverture de casinos à Bamako, où il a créé la salle de jeux Fortune's club. D'après les enquêteurs, [le chef de l’Etat malien] y détiendrait des parts. »
    L’usage du conditionnel à ce niveau d’analyse nous trouble. Mais, poursuivons pour faire deux remarques. D’abord, le casino de Bamako a été créé en 2006 et non en 2009. Ensuite, suivant d’autres sources d’information concordantes, l’actuel président de la République n’y « détiendrait » pas des parts. Voici le verbatim d’un journaliste malien qui a mené l’enquête : « Selon le greffe du Tribunal de commerce de Bamako et le registre du commerce et du crédit mobilier, la société malienne de jeux et loisirs- Casino de l’Amitié fortune’s Club Sarl, inscrit sous le nom commercial « Smjl Casino de l’Amitié fortunes Club a été créé en mai 2006. Le capital social  était fixé à la somme de vingt-cinq millions (25 000 000) F Cfa. Ainsi, deux Français se sont partagés à parts égales le capital du Casino de Bamako, soit 12.500.000Fcfa chacun. Il s’agit de  Feliciaggi Jérome Henri Robert, de nationalité française, résidant à Brazzaville, né à Captown en Afrique du Sud et titulaire du passeport de la communauté n°2.A.01.92.186 délivré par le préfet le 29 janvier 1992 à Ajaccio-Corse du Sud, et de Tomi Michel Jean Baptiste, né à Alger de nationalité française demeurant à Libreville au Gabon, détenant le passeport de la communauté n° 75.32.96.034420 délivré par le préfet de police le 4 mars 1996. »[7] Il conclue que nulle part dans le Registre du commerce et du crédit mobilier, le nom du président de la République n’est mentionné. 
  • Un certain avril 2012
    « Avril 2012. Par un bel après-midi printanier, un homme en costume azur sort du restaurant parisien huppé La Maison de la truffe, escorté par ses gorilles. C'est [l’actuel chef de l’Etat malien]. Il serre dans ses bras [le principal mis en cause] en petite forme (…) [qui] met à sa disposition des avions pour sa campagne présidentielle. »
    La datation de cet évènement nous interroge. Le coup d’Etat est intervenu au Mali le 22 mars 2012. Il est peu probable, confirmé par plusieurs sources, que de cette date jusqu’en avril 2012, l’actuel président de la République ait quitté le territoire malien pour la France. Au surplus, l’une des premières mesures prises par la junte militaire à cette époque était la suspension de la Constitution et la dissolution de toutes les institutions, comme on peut aisément le lire sur le site du Monde[8].
    Dans ce contexte, comment un homme politique malien – fût-il candidat – fera fi de ces nouvelles réalités locales et se déplacerait en France pour prendre possession d’avions mis « à sa disposition pour sa campagne présidentielle » ? La ficelle peut exister. Mais la version qu’on nous propose est qu’à même un peu grosse.
    La question qu’on est en droit de se poser est la suivante : si certains faits révélés souffrent d’imprécisions, l’analyse qui en découle peut-elle être validée ?
     
    L’article est-il utile ?
    Le journaliste Loïc Hervouet, cité en incipit, fixe le contenu du concept : « Quand on travaille pour un média, son patron n’est pas le rédacteur en chef mais le public. Ce n’est pas le consommateur, ni le client. » Et il rajoute : « Faire du journalisme, c’est avant tout promouvoir le développement des personnes et, sans trop user des grands mots, de la démocratie. » [9]
    Sous ce prisme, l’article du Monde promeut-il le développement du peuple français?
    Le 11 janvier 2013, en décidant de répondre, avec promptitude et efficacité, à l’appel de détresse du Mali, en proie à la partition de son territoire, la France a agi par solidarité. Elle est venue au secours d’un pays dont les soldats « avaient payé le prix de leur sang pour la libérer »[10], pour reprendre l’expression du chef de l’Etat français, qui ajoute que son pays est venu au Mali « honorer une dette ».
    Et depuis, la France a payé – et continue de payer – un lourd tribut  pour la libération et la stabilisation du Mali : plusieurs morts, de nombreux blessés et des millions d’euros engagés (647 millions d’euros en 2013 !)[11]. L’intervention française a aussi pour but d’endiguer la menace terroriste au Sahel dont la persistance constitue un réel risque pour l’Europe. D’autant, que les premières lignes du « Vieux Continent » sont situées à quelques  jets de pierre de la zone de conflit au Mali. L’éventuelle résurgence de la crise au Mali qui naîtrait de la fragilisation et de la déstabilisation de ses institutions ne peut que desservir les intérêts de la France et de l’Europe.
    Le parlementaire européen Louis Michel le dit mieux : « Tout ce qui se passe au Mali, ça ne concerne pas que les Maliens ; ça concerne aussi, au premier chef, d’une certaine manière, la tranquillité de l’Europe et c’est évident qu’elle soit en première ligne pour souffrir des conséquences des effets collatéraux de la déstabilisation du Mali ». [12]
    L’article du monde promeut-il le développement du peuple malien ?
    Il faut le dire, tout de suite, non. Non, pour un pays qui gère une sortie de crise plus que difficile. Difficile, pas seulement pour les 77% qui ont porté leur choix sur l’actuel locataire de Koulouba mais aussi pour l’essentiel des autres. Que l’on soit « coloré » ou « neutre », que l’on soit pour ou contre, il faut reconnaître que l’article du Monde ne laisse aucun Malien indifférent.
    Cela requiert un effort de recherche, un autre de compréhension, un d’analyse et un tout autre de « parti pris ». C’est donc l’effort qui est démultiplié. Et à l’échelle de la population d’un pays comme le Mali (15 millions d’âmes, toutes ne lisent pas mais toutes peuvent être impactées par le peu qui lisent), cela fait beaucoup : des heures, des jours qui partent en fumée. Pour si peu, on s'en serait bien privé. C’est tout autant des lignes politiques – et peut-être bien sociales – qui risqueraient de se distendre de l’interprétation des propos tenus dans l’article du quotidien français.
    Les priorités du Mali d’aujourd’hui sont tout autres. Elles sont simples : la paix, la sécurité et l’amélioration du pouvoir d’achat de la population. Et tous les efforts des Maliens – d’abord – et de la communauté internationale – ensuite – doivent être conjugués pour y arriver. Il faut redonner de l’espoir à ce grand peuple. Et pour cela, il faut des institutions stables. Or, l’article du Monde déstabilise la première institution du Mali en l’exposant, sur écran géant, à la face du monde. Sinon, comment penser autrement lorsque les peuples en Occident envoient leurs vaillants soldats et se délestent d’importantes sommes d’argent en ces temps de crise multidimensionnelle pour venir en aide à une population moins nantie dirigée par un président à qui l’on prête des connexions avec des « milieux corrompus et mafieux »?
    Si le président de la République échoue, ce ne sera le pain béni de personne. Ce sera encore des années perdues pour le Mali et pour les amis du Mali. C’est au peuple souverain du Mali de juger leur président pour le mandat qui lui a été confié et de le sanctionner, le cas échéant, par la voie des urnes. Pourquoi exposer des faits maintenant alors qu’ils remontent à une certaine époque ? Personne n’a intérêt à voir le Mali dériver vers une instabilité institutionnelle.
    En un mot comme en mille, l’article du Monde est une offense au peuple malien. Aujourd’hui, nous cherchons des solutions à notre problème (la sortie de crise) et non des problèmes  à notre solution (le choix démocratique).
    Et comme si cela ne suffisait pas, l’article du Monde poursuit : « Il [le principal mis en cause] fournit des vêtements de marque au futur président malien. » C’est la bouffée de vapeur qui fait sauter le couvercle. Nos bras nous tombent dans les mains et nous en versons des larmes. Mais c’est de la farce ? De l’offense ? Ou de l’avant-poisson d’avril ? C’est quoi ? Il faut le dire tout de suite, l’image de l’écriture est insoutenable. Choquante et risible. Que faut-il en retenir ? Ce n’est pas parce qu’on est ressortissant d’un pays qui se nomme Mali – l’un des pays les plus pauvres de la planète – que l’on ne peut pas se procurer – honnêtement – des « vêtements de marque ».
    Dussions-nous, au 21e siècle, porter de la cotonnade, juste pour cacher l’essentiel, et venir entretenir l’émotion exotique de certains teneurs de plume ? Et le trait est à peine forcé. C’est mal connaître le Mali et les Maliens. La fierté et l’orgueil de ces habitants sont tels que même les irréductibles adversaires politiques de l’actuel locataire de Koulouba sont prêts à se dénuder – et excusez du peu – pour habiller décemment leur président de la République. Pour la simple et bonne raison que c’est le président de tous les Maliens et qu’il y va de l’honneur de leur pays. Et tout uniment de leur propre honneur. Alors de grâce, épargnez-nous ces « petits détails » qui n’apportent rien au fond de l’écriture. Pour autant, ils salissent l’image d’une institution, la réputation d’un pays.
    Pour un journal sérieux et influent comme Le Monde qui se définit comme « une référence dans la presse francophone », qualificatif que nous partageons par ailleurs, il y a tout lieu de raison garder pour reprendre une rhétorique de notre président de la République. Le sage ne dit-il pas que : «  Celui que tout le monde écoute, ne doit pas tenir des propos déraisonnables et celui que tout le monde regarde ne doit pas emprunter un chemin tortueux. » La charte d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde ne dit-elle pas que « La mission d'information comporte nécessairement des limites que les journalistes eux-mêmes s'imposent spontanément. »[13] Il faut trouver le bon équilibre entre l’expression et la responsabilité. L'enjeu, nous semble-t-il, n'est pas dans la rareté, il est dans l'excès.
    Pour ce faire, reprenons en notre compte les sages conseils de cet aîné[14], il faut  « que les flèches restent dans leur carquois, que le venin reste dans les crochets et le tison loin du feu. »
     
    Conclusion
    Et si Le Monde n’est pas le monde ? Ce sera de la tautologie que de répondre par l’affirmative à cette interpellation. En réalité, le substrat du questionnement interroge la pertinence des propos tenus dans l’article incriminant le Mali à travers la première institution de la République. La meilleure réponse nous est apportée par un député du Parlement de la première puissance mondiale. Et quel élu ? Il s’agit de l’ex-ministre d’Etat belge et ancien commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire qui a été aussi chef de la mission des observateurs européens pour les dernières élections présidentielle et législatives au Mali.
    Voici ce que Louis Michel a dit à Bruxelles, quelques jours après la publication de l’article du Monde : « [Le chef de l’Etat malien] c’est un homme rigoureux, c’est un homme que j’apprécie pour son intégrité intellectuelle, politique, personnelle et je pense que c’est un peu l’avis de tout le monde dans la communauté internationale. Le Président jouit d’une grande crédibilité au sein de la communauté internationale. C’est un atout majeur pour le Mali et nous sommes tous derrière lui. »[15]
    A l’évidence, une partie du chemin vers la vérité est déjà faite. Le temps fera le reste. Et l’histoire fera son jugement. Alors, informons utile et précis !

Cheickna Bounajim Cissé



[1] - En octobre 1944, Hubert Beuve-Méry est rédacteur en chef de l'hebdomadaire Temps présent quand il est appelé par le général de Gaulle à créer, avec l'aide du gouvernement français, un quotidien de référence pour remplacer le quotidien Le Temps. C'est ainsi que naît Le Monde dont le premier numéro sort le 18 décembre 1944. (Source : Wikipedia)
 
[2] - Loïc Hervouet, Ecrire pour son lecteur, guide de l’écriture journalistique, collection J comme journalisme, Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, 2e trimestre 1979.
 
[3] - Gérard Davet et Fabrice Lhomme, La justice sur la piste du « parrain des parrains », Le Monde, 28 mars 2013, http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/03/28/la-justice-sur-la-piste-du-parrain-des-parrains_4391336_3224.html
 
[5] - Extrait de la charte d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde : « La vocation des titres du groupe Le Monde est de fournir, sur tout support, une information de qualité, précise, vérifiée et équilibrée. Les journalistes doivent porter un regard critique sur l'information et faire écho au pluralisme des opinions. Ils s'interdisent toute manipulation et plagiat, ne relaient pas les rumeurs, évitent le sensationnalisme, les approximations et les partis-pris. » Source : site web du Monde,  http://www.lemonde.fr/actualite-medias/reactions/2010/11/03/la-charte-d-ethique-et-de-deontologie-du-groupe-le-monde_1434737_3236.html
 
[6] - Source : Le Monde, Le Gabon confirme la mort d'Omar Bongo, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/06/08/le-premier-ministre-gabonais-va-faire-une-declaration-sur-omar-bongo_1203759_3212.html
 
[7] - Oumar Konaté, Le Prétoire, http://koulouba.com/societe/casino-fortunes-club-de-bamako-jerome-feliciaggi-et-tomi-michel-les-principaux-actionnaires
 
[8] - Source : Au Mali, des militaires renversent "ATT" Par Philippe Bernard et Jean-Philippe Rémy ((Niamey, envoyé spécial)), 22 mars 2012, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/22/au-mali-des-militaires-renversent-att_1674073_3212.html. 
 
[9] - Interview de Loic Hervouet, Propos recueillis par Laurent Couderc, Bucarest, 24 mars 2006,  http://www.lepetitjournal.com/bucarest/a-la-une-bucarest/4692-trois-questions-a-loic-hervouet-mateur-fi.html
 
[10] - David Revault d'Allonnes, Au Mali, François Hollande tire les leçons de l'intervention militaire française, Le Monde, 20 sept. 2013, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/09/20/au-mali-francois-hollande-tire-les-lecons-de-l-intervention-militaire-francaise_3481630_3212.html
 
[11] - Geoffroy Clavel, Mali: anniversaire de l'opération Serval, succès contrasté du quinquennat de Hollande, Le HuffPost, 11 janv. 2014, http://www.huffingtonpost.fr/2014/01/11/mali-anniversaire-operation-serval-succes-inconteste-quinquennat-hollande_n_4577603.html
[12] - Louis Michel : « Le Parlement européen fait totalement confiance à IBK », 5 avr 2014
[14] - Source : Fousseyni DIARRA, Lettre ouverte au Président Ibrahima Boubacar KEITA, https://www.maliweb.net/contributions/lettre-ouverte-au-president-ibrahima-boubacar-keita-236512.html
 
[15] - Source : Louis Michel : « Le Parlement européen fait totalement confiance à IBK », 5 avril 2014, http://news.abamako.com/h/43005.html