dimanche 3 août 2014

Le Mali, en état de guerre imposée, doit faire la paix

(Essai publié par Les Echos (Le Cercle) le 26 mai 2014 et republié par Malijet, Maliweb...)

Face au serpent de mer que constitue désormais le conflit armé dans le septentrion du Mali, plusieurs moyens ont été déployés sans succès évident : force militaire, partis politiques, communauté internationale... La carte de la société civile doit être aussi abattue en tant que carte maîtresse et non comme joker ou supplétif. Le chemin de la paix au Mali sera long, difficile, mais nécessaire.


Les autorités maliennes, conformément aux dispositions réglementaires et de la prégnance des défis sécuritaires, ont décidé de consacrer une large part des ressources publiques à l’équipement des forces de défense et de sécurité. Depuis quelques semaines, les médias réclament les détails des contrats. L’opposition demande des comptes. Les bailleurs de fonds rouspètent. Très bien ! Il en va ainsi de la démocratie et de sa vitalité. De la gouvernance et de la transparence.
Dans le nord du Mali, il a été toujours convenu que les groupes armés s’étaient approvisionnés dans le vaste dépôt d’armes à ciel ouvert qu’était devenue la Libye post-Kadhafi et ont traversé allègrement moult frontières pour poser armes et bagages à Kidal. Soit ! Et maintenant ? Il est admis que lors des récents combats dans l'Adrar des Ifoghas, les rebelles et islamistes étaient armés jusqu’aux dents avec du matos de dernière génération. Où ont-ils acheté ce matériel ? Avec quel fonds ?

Pour autant que je sache, il n’y a pas d’usine de fabrication d’armes au Mali, ni au sud ni au nord. À ce qui s’invite à mon esprit, l’"Azawad" n’a pas encore frappé sa monnaie pour faire fonctionner la planche à billets ? Alors, quelle est donc la réalité ? À supposer que les groupes armés poursuivent leurs allers-retours pour s’approvisionner dans le vaste no man's land du Sahara ; la Libye, que je sache, n’a pas de frontière commune avec le Mali. Où faudrait-il alors mettre le curseur ?
Comment la communauté internationale, qui est capable de détecter à des milliers de km2 à la ronde, un félin de moins d’un mètre (le serval), craché, grogné, miaulé et même ronronné, est incapable d’alerter et même de stopper l’avancée de longues colonnes de pickups lourdement armés ? Comment la France qui est capable de suivre à la trace cet animal qui pisse 30 fois par heure, au point de lui emprunter le nom pour son intervention militaire, est-elle démunie à endiguer la résurgence des mouvements terroristes, coalisés en grande pompe et à toute pompe, avec les rebelles irrédentistes contre l’armée malienne ?

Pourquoi les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux ne demandent-ils pas des comptes aux groupes irrédentistes et terroristes sur leurs recettes (financement extérieur occulte, otages, trafic…) et leurs dépenses en armement lourd et sophistiqué ? OK ! J’ai oublié, ils ne sont pas sous programme du FMI.

À l’évidence, les questions sont nombreuses. Mais les réponses, peu. Nul ne peut prendre un lionceau et prétendre au repos. Pour autant, il va falloir qu’on tourne la page sans la déchirer. Un adage du terroir dit que le sein de la femme bien que gorgé de sang doit donner du lait.

Kidal est le caillou dans la chaussure de tout le monde.

Du Mali d’abord. Puisque, même à preuve de contraire, Kidal est et reste une ville malienne. Ensuite, l’Occident, particulièrement l’Europe dont les premières lignes sont si proches de cette région. La communauté internationale s’est félicitée d’avoir libéré le Mali en affirmant son intégrité territoriale. Que dire d’un pays libéré et libre si le premier ministre de céans est interdit de séjour dans une partie du territoire fût-elle Kidal, le fief de l’irrédentisme touareg ?
L'incident regrettable survenu à Kidal est l'occasion de mettre à plat toutes les questions sur la table de négociation afin que tous les acteurs (les Maliens d'abord et la communauté internationale ensuite) se parlent franchement et directement. Une précision s’impose. Évitons les amalgames inutiles et les stigmatisations. Ne nous trompons pas d’adversaire ni d’ennemi. La France et la communauté internationale ne sont pas l’ennemi du Mali. Ils sont les partenaires d’une paix qui sera longue, difficile, mais nécessaire.
Il faut saluer et honorer tous les soldats du Mali et des pays amis. Lorsqu’on travaille sur des terrains sablonneux et rocailleux, à plus de 50°C à l’ombre, on ne peut pas dire que les soldats onusiens (français compris) aient choisi la meilleure destination pour se bronzer. Qu’ils n’aient pas voulu "escorter" la délégation du chef de gouvernement en visite à Kidal, qu’ils aient refusé de prêter "main-forte" à l’armée nationale du Mali en délicatesse, au nom de la nature et du contenu de leur mandat, peut questionner et a même choqué l’opinion publique malienne. Les populations, ces derniers jours, sont sorties massivement dans les rues pour exprimer ce qu’elles qualifient de "duplicité" des forces étrangères face à une "guerre asymétrique" imposée au Mali.
Les autorités publiques, au regard des enjeux exposés, prônent le calme et la sérénité. "Nous gagnerons par la tête et non par la force", s’est exclamé le premier ministre malien face à des manifestants en colère venus spontanément à sa rencontre en ses bureaux. C’est dit. La conquête du nord, l’exercice de la souveraineté et de l’autorité de l’État sur cette partie du territoire malien ne se réaliseront pas par les armes. Mais par le dialogue. Et aussi par le développement. Et il va falloir s’y résoudre définitivement. Afin de faire l’économie de pertes en vie humaine, et d’efforts financiers et matériels. La guerre, disait Clemenceau, est une chose trop sérieuse pour qu’on la laisse aux militaires.
L’attaque de Kidal pouvait être perçue comme une "déclaration de guerre" des groupes armés contre le Mali, pour reprendre les propos émotifs, légitimes et conclusifs du premier ministre malien, Moussa Mara. Mais les enjeux et la dure réalité du terrain doivent pousser nos gouvernants à y répondre par une "déclaration de paix". C’est ce que le Conseil de Sécurité a recommandé. Dans le même sillage, c’est ce que le chef de l’État malien, Ibrahim Boubacar Keïta a compris en décidant un cessez-le-feu immédiat. L’accord qui en est sorti et qui a été arraché aux forces combattantes avec promptitude et efficacité par le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, par ailleurs président en exercice de l’Union africaine est à saluer. Et la dynamique doit être consolidée.
Dans une de mes interventions à un débat télévisuel sur la chaîne panafricaine Africable, j'avais fait observer au regard de la sensibilité du sujet une métaphore tirée de notre riche patrimoine : " A force de confier la garde de votre tête à plusieurs personnes, vous finirez par la donner à celle qui doit la couper". Cette figure faisait allusion à la multiplication des médiateurs dans le conflit malien (Burkina Faso, Nigéria, Algérie, Maroc, Russie, Suisse, CEDEAO, UEMOA, Francophonie, Union africaine, ONU...).
Toute chose qui ne peut que démultiplier les problèmes. Chaque médiateur, avec un agenda plus ou moins révélé, peut faire prévaloir sa sensibilité et son leadership. Et dans ce domaine, le temps est un facteur mouvant. Le premier médiateur, après avoir réussi à organiser des élections presque "propres" au Mali, s’est vite fait éclipsé par plusieurs contingences, y compris des soubresauts internes. Au point de faire lui-même appel à un médiateur !

La société civile, la solution au problème malien ?

Ah ! La classe politique malienne ? Comment ne pas en dire un mot pour tant de maux ? L’histoire, et celle qui s’invite à nos yeux et à nos oreilles sous d’autres cieux nous enseigne que partout où les fondements de la nation ont été menacés, la classe politique (majorité et opposition) a toujours fait bloc derrière l’autorité en place. Quoi qu’elle en pense et dise. Que des erreurs d’appréciation militaire ou politique aient été commises dans la gestion récente de Kidal ? Cela s’entend aux discours et peut s’admettre sur pièces.

Le gouvernement l’a même reconnu à "mot entier". Mais que l’on en fasse une fixation au point de ne pas nous unir face à l’adversité est tout au moins interrogatif. Chacun aura tout le loisir de méditer ces sages conseils de cet aîné : " il faut que les flèches restent dans leur carquois, que le venin reste dans les crochets et le tison loin du feu". C’est dans les moments de grande difficulté que la solidarité doit s’affirmer. Que les peuples se rassemblent pour trouver le chemin du renouveau. Le Mali a besoin de nous tous. Et nous avons tous besoin du Mali.

Et la société civile malienne ? Pour en parler, il faut que pouvoir et acteurs se mettent d’accord sur le contenu du concept. Tantôt compris par certains comme une force indépendante et apolitique. Tantôt par d’autres comme le creuset du "Conseil Economique et social", une des institutions de la République.

Or, je suis convaincu qu’après avoir tout essayé – ou presque – pour résoudre la crise dans le septentrion du pays, force militaire (Malienne, MINUSMA, SERVAL), partis politiques, communauté internationale (avec sa cohorte de Médiateurs), la "clé en or" pourrait bien être la société civile malienne. Pour cela, il faut deux choses : une volonté politique réelle et affichée, et une réorganisation totale et en profondeur de la société civile malienne. Les récentes œillades adressées par le premier ministre malien à la jeunesse de son pays vont dans le bon sens.
Dans ce monde en parfaite turbulence, tous les pays qui ont géré les conflits à leurs portes ou en leur sein ont joué à fond la carte de la Société Civile. Au Mali, il va falloir qu'on s'y essaye à "donf".

La paix des braves

Le diplomate malien, Maître Alioune Blondin Bèye, celui que son mandant et ancien Secrétaire général de l’ONU, Boutros-Boutros Ghali, surnommait "l’orfèvre du droit international", disait : " L’homme doit être une marmite pour se mettre entre le feu et l’eau : on doit avoir la patience, tout supporter pour servir de médiateur, de conciliateur entre des personnes si différentes que le feu et l’eau".

Malgré la situation extrêmement difficile où toutes les passions peuvent se libérer et se déchaîner, il faut appeler au calme et à la sérénité. Aux groupes armés : Libérez les otages et les lieux et venez à la table de négociation ! Au pouvoir central, ce sage conseil du charismatique président américain, John Fitzgerald Kennedy : " Le temps est un outil, pas un lit pour dormir".

Chaque Malien porte en lui une partie des autres. L'indien Maharishi Mahesh Yogi le dit autrement : " Chaque goutte de sève contient la plénitude de l'arbre". Il est très difficile de trouver une famille au Mali qui n’est pas métissée. Alors, faisons la paix des braves ! Pour que nos enfants et nos petits enfants puissent se parler, se fréquenter, s’aimer, jouer et construire ensemble le Mali de leur rêve et du nôtre : un Mali fort, uni, solidaire et riche de sa diversité plurielle.

Le Mali ne peut plus se payer le luxe d'un nouvel affrontement interne à l'issue duquel tout le monde est perdant : les Maliens certes, mais la communauté internationale aussi.

Conclusion

Dans une de mes tribunes intitulée "Mali : anatomie d’un crash et thérapie de choc" publiée en août 2013 sur ce site, je "chutais" ainsi : "Le choix du Mali n’est pas entre le changement ou le refus du changement. Le choix pour le Mali réside entre changer, par la volonté de son peuple ou être changé, par le pouvoir des puissances étrangères, démocratiques ou terroristes". Presque une année après, je n’ai pas changé d’avis.


Cheickna Bounajim Cissé

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire