Publié par Les Afriques N° 233 du 28
février 2013 sous le double titre :
UEMOA, un système bancaire à construire
Le rapport annuel 2011 de la Commission
Bancaire de l’Union Monétaire Ouest africaine (UMOA) vient d’être mis en ligne
sur le site institutionnel de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de
l’Ouest (BCEAO).
Déjà une bonne nouvelle et la
confirmation d’un paradoxe. La bonne nouvelle : les banques implantées
dans l’espace UMOA se portent relativement bien. Globalement, la situation est
saine et en conformité avec les règles prudentielles en vigueur dans l’espace
communautaire. Le paradoxe : les économies de l’Union se portent moins
bien que les banques qui sont censées assurer leur financement.
Le rapport de l’organe de supervision
est un document attendu chaque année par toute la communauté financière et le
monde des investisseurs qui s’intéressent à cette partie de l’Afrique. C’est
donc un document utile et nécessaire. Utile, par la nature et la profondeur des
informations diffusées. Notamment pour les développeurs et leurs chercheurs lassés
des ondulations et autres atermoiements des sources publiques. Nécessaire,
parce que c’est un guide, un document de travail. En un mot, c’est un outil de
référence dans la profession.
Cependant le rapport, cuvée 2011 à
l’instar des précédentes, présente certaines limites dont il convient de
mesurer l’importance afin d’en cerner la portée. Pour deux raisons. De notre
point de vue, une information financière de qualité doit revêtir un label « 2F ».
Fraîcheur. Les données contenues dans le rapport commencent à prendre un peu de
rides. Nous sommes en 2013 et les chiffres remontent à 2011 et, pour l’essentiel,
restent encore provisoires. A l’ère du « tout va vite », il faut
espérer un relèvement de la cadence. La tendance est déjà encourageante. Le
dernier rapport a été édité en septembre 2012. Fiabilité. Les statistiques
publiées portent en elles la crédibilité de l’honorable institution de contrôle.
Elles demeurent néanmoins une agrégation de l’information financière et
comptable produite par les établissements de crédit, sous la seule
responsabilité de leurs organes sociaux. Sans soumettre à la pesée la sincérité
de ces données, il y a lieu de s’interroger sur certaines variations erratiques
liées à l’activité de fin d’année, à cheval entre le dernier trimestre de
l’année qui s’achève et le premier trimestre de la nouvelle année.
Le court-termisme – la course
effrénée à la taille et au positionnement – a soumis à de fortes pressions
plusieurs établissements dont les dirigeants, pour faire bonne figure,
soumettent à un vrai lifting le bilan de leur entreprise. Ne lésinant pas sur la palette de maquillage
encore moins sur la dose. Dès le début du quatrième trimestre, ils sonnent
l’alerte générale. « Dame banque » est invitée aux grands soins. Tout
dépend de son état et des besoins induits par son faciès. La consigne affichée est de soigner les
chiffres de fin d’année. Les commerciaux et les recouvreurs se retroussent les
manches pour aller, qui à la conquête du business, qui au recouvrement des prêts
improductifs. Ces créances dites « en souffrance » font l’objet d’un
soin particulier pour leur permettre de retrouver une seconde vie. L’enjeu est
double. D’abord, éviter les prélèvements réglementaires sur le résultat
d’exploitation au titre des « provisions ». Mieux, améliorer la
trésorerie de la banque par des rentrées de cash, à défaut constituer des
dations de paiement (avec ou sans clause de réméré) pour procéder à des
« reprises de provisions » qui viendront soutenir les comptes, le
temps des décomptes. A l’affût, les tenants des comptes prennent la mesure de
l’enjeu. Ils mettent l’huile dans les rouages en primant les meilleures
performances lors de campagnes commerciales et de recouvrement, âprement disputées. Quelques mois après la clôture de l’exercice,
sinon dès le mois de janvier de l’année suivante, la banque
« liftée » est méconnaissable. Les dépôts ont fondu. Comme par
miracle. Les actifs prêtés se retrouvent une nouvelle taille, plus fine et plus
compacte. Plus surprenant. Le portefeuille en souffrance se reconstitue,
presque, à son niveau initial. En vérité, dans certains établissements, entre
fin décembre et fin mars de la nouvelle année, les données chiffrées subissent
une véritable cure d’amaigrissement tout à fait asymétrique de la situation qui
prévalait un trimestre plus tôt.
Il faut simplement espérer que dans
ce lifting d’un nouveau genre de certains prestataires financiers ne prévalent quelques
prescriptions qui puissent aboutir à la publication de fausse situation. Dans
son Rapport annuel 2010, la Commission Bancaire traitant de la problématique du
recouvrement, s’est d’ailleurs ouverte sur le sujet: «…Pour les établissements dont le taux de recouvrement ressort élevé, il
a été constaté [par les missions de vérification] l’inclusion des créances
restructurées dans les statistiques des créances recouvrées. » Alfred Sauvy
a peut-être raison « les chiffres sont
des êtres fragiles qui, à force d'être torturés, finissent par avouer tout ce
qu'on veut leur faire dire. »
L’exposition du système bancaire à ce
phénomène de « levure », même si elle existe, est circonscrite – nous
l’espérons - avec une ampleur encore soutenable dans notre sous-région. Le
« gendarme » des banques veille au grain. Avec les moyens du bord. A
la faveur d’une réorganisation, en vigueur depuis le 02 juillet 2010, le Secrétariat Général (SG) de la
Commission Bancaire, cheville ouvrière de l’organe de supervision, dispose d’une
entité rénovée, la Direction
de l’Inspection des Etablissements de Crédit et de Microfinance (DIECM) qui
« a en charge la mise en œuvre de
l’ensemble des contrôles de la situation individuelle des établissements de
crédit et de microfinance agréés. ». Cette entité animée par des
Inspecteurs aguerris et affranchis à toute pression et dont la compétence et la
moralité sont reconnues par toute la profession bancaire procèdent par des
contrôles Off site (sur pièces) et des inspections On site (contrôles sur
place).
Durant les cinq dernières
années, bien que le nombre des établissements de crédits agréés ait enregistré
une augmentation sensible, l’effectif de l’organe de supervision a connu une
baisse progressive. Les missions de vérification ont suivi la même tendance
même si un redressement a été opéré en 2011 en liaison, essentiellement, avec
la mise en œuvre de la première phase du relèvement du capital social minimum
des établissements de crédit.
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
Nombre d’agents du SG Commission Bancaire
|
109
|
96
|
89
|
87
|
Nombre de vérifications effectuées
|
42
|
36
|
15
|
26
|
Nombre d’établissements de crédits agréés dans
l’UMOA
|
116
|
118
|
118
|
121
|
Source : Rapport annuel de la Commission
Bancaire, 2008, 2009, 2010, 2011.
Le
niveau faible des interventions sur le terrain est quelque peu contrebalancé
par la fermeté de l’autorité de supervision chaque fois qu’il s’agit de
sanctionner les banques ou leur management pour entorse aux dispositions
légales et réglementaires. L’objectif est de garantir aussi bien la stabilité
que la pérennité du système financier.
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
Mesures administratives
|
|
|
|
|
Injonctions
|
2
|
16
|
9
|
7
|
Mises en garde
|
0
|
16
|
0
|
6
|
Sanctions disciplinaires
|
|
|
|
|
Audition des dirigeants
|
5
|
11
|
6
|
32
|
Avertissement
|
0
|
0
|
5
|
13
|
Blâme
|
3
|
4
|
4
|
18
|
Démission d’office des
dirigeants responsables
|
3
|
0
|
0
|
0
|
Retrait d’agrément
|
1
|
1
|
1
|
1
|
Source : Rapport annuel de la Commission
Bancaire, 2008, 2009, 2010, 2011.
En
réalité, si on appliquait strictement la réglementation, les 21 banques qui ne
respectent pas le capital minimum de 5 milliards FCFA, en vigueur depuis le 01
janvier 2011, devraient être fermées. Si après trois ans de délai de grâce
accordé par la BCEAO en 2008, elles n’ont pas pu se conformer, il y a donc tout
lieu de s’interroger sur la viabilité de leur présence. Les 26 missions de
vérification effectuées durant l’année 2011 par l’organe de contrôle ont permis
de faire le diagnostic et de prendre les mesures correctives nécessaires. C’est
ainsi que la Commission Bancaire a convoqué près du tiers des dirigeants des
établissements de crédits ; auditions à la suite desquelles elle a infligé
18 blâmes et 13 avertissements. Un niveau record dans le livre des sanctions de
l’institution.
Les grandes tendances du secteur bancaire de l’UMOA
Au 31
décembre 2011, le paysage bancaire de l’UMOA était composé de 108
établissements de crédit (99 banques et 9 établissements financiers) avec des
actifs totalisant 15 361 milliards FCFA. Il emploie 19 725 personnes
qui servent près de 8 millions de comptes dans 1853 points de vente.
1-
Un
secteur en profonde mutation
L’année 2011 fut un excellent
millésime pour les établissements de crédits de l’UMOA, en confirmation de leur
double résilience. D’abord, face à une conjoncture économique atonique marquée
par une croissance presque nulle dans l’espace communautaire. Ensuite, et ce
n’est plus un fait nouveau, face à une récession qui perdure sur le continent
européen, principal partenaire de l’UMOA. Cette embellie sous-régionale a
incité depuis peu les « rentiers » à mettre les bouchées doubles en
embauchant à tour de bras des jeunes commerciaux embusqués à l’affut du premier
prospect, et le « printaniers » à débaucher à prix d’or les jeunes
vedettes de la profession, promus comme précurseurs du miracle de demain. Tout
cela dans un environnement de plus en plus incertain marqué par la persistance des
risques politico-sécuritaires dans la sous-région. Pour Igor Ansoff,
l’incertitude croissante entraîne des surprises stratégiques et celles-ci
obligent à rechercher des moyens de riposte. Quand les futurs ne sont plus
lisibles, on se réfugie dans les présents qui durent. A l’évidence, il souffle
un vent à faire décorner les buffles et chaque acteur calfeutré dans des
tranchées calfatées soigne son habitus. En se démarquant de l’intermédiation
classique, certaines banques se sont redéfinies comme de véritables
gestionnaires de risque. De ce point de vue, le risque a été mis en conserve
comme des tomates. La banque a donc acheté le risque à bon marché, et l’a
revendu plus cher, sans en assumer elle-même aucun sinon peu.
Des activités en nette progression
Selon le Rapport annuel de la
Commission Bancaire, à fin décembre 2011, les crédits à la clientèle ont enregistré
une croissance de 14,5% en se fixant à 8 465 milliards FCFA. Les crédits à
court terme se renforcent sensiblement de 16,5% en s’établissant à 4 733
milliards. Ils gagnent 2,2 points par rapport à leur niveau un an auparavant.
Les crédits de campagne, contrairement à la tendance haussière entamée depuis
deux ans, se sont contractés de 9,1%. Les crédits à moyen terme avec un encours
de 2 864 milliards ont augmenté de 14,7% contre 12,8% en 2010. Les crédits à
long terme affichent un encours de 304 milliards, enregistrant une croissance
de 9,3% presque le même niveau (9,6%) de l’année précédente. « Les
engagements de crédit-bail se sont réduits de 41,9%, pour s’établir à 38,0 Mds.
Ils sont portés par les établissements de grande et de petite tailles
respectivement à hauteur de 95,0% et de 3,8%. Ces financements demeurent
majoritairement octroyés en Côte d’Ivoire, dans une proportion de 56,1%, contre
78,5% en 2010 » poursuit le rapport.
Au titre des ressources du système
bancaire de l’UMOA, les dépôts et emprunts se sont fixés à 11 173 milliards à
fin décembre 2011, suite à une augmentation de 13,0%. Les dépôts à vue ont
progressé de 3 points en pourcentage pour atteindre 5 783 milliards, tandis que
les ressources à terme se sont établis à 5.391 Mds après un relèvement de 6,9%.
Pour l’institution de supervision, à la faveur notamment de la poursuite de la
recapitalisation des établissements de crédit et d’opérations de
restructuration financière, les fonds propres nets du secteur financier sont
évalués à 1 308 milliards, soit une nette augmentation de 12,8%. Le rapport
poursuit que « cet accroissement s’observe au niveau de la quasi-totalité
des pays de l’Union à l’exception de la Côte d’Ivoire (-4,7%). Les
contributions les plus importantes sont localisées au Burkina (36,2%), au
Sénégal (22,0%), au Bénin (15,9%) et au Mali (14,1%).
Dans ces conditions, le rapport
ajoute que « le produit net bancaire (PNB) s’est accru de 13,1% à
l’échelle de l’Union contre 10,3% en 2010, pour ressortir à 969 milliards.
Cette évolution est principalement induite par la hausse des produits bancaires
de 139 Mds (+10,8%), supérieure à celle de 26 Mds (+6,2%) des charges
correspondantes. Pour sa part, la moyenne des taux de base bancaire
poursuit une lente décrue de 0,97 point de base en 2011, après 0,59 point de
base en 2010, pour se fixer à 6,97%. La marge sur les opérations avec la
clientèle est apparue en baisse de 7,3%, contre 7,9% en 2010, en liaison avec
le taux de rendement moyen des crédits de 9,6% et un coût des comptes
créditeurs de 2,2%. Le résultat brut d’exploitation augmente de 30,2% pour
ressortir à 337 Mds en liaison avec l’amélioration du coefficient net
d’exploitation de 75,3% à 70,5%, malgré l’augmentation du nombre d’agences de
165 unités. Le résultat d’exploitation ressort à 247 Mds contre 109 Mds en
2010. Cette évolution reflète une hausse de 117 Mds du produit global
d’exploitation et un repli de 60 Mds des provisions nettes sur risques,
qu’absorbe la hausse des frais généraux de 35 Mds. L’effort net de
provisionnement fléchit en effet à titre provisoire de 31 points de pourcentage
pour se fixer à 27,4%. Le résultat net provisoire ressort ainsi bénéficiaire de
183 Mds contre 70 Mds à titre définitif pour l’exercice 2010, en liaison avec
la hausse importante du résultat d’exploitation. »
Un secteur bien
réglementé et mieux régulé
La situation prudentielle du système bancaire de l’UMOA
est relativement satisfaisante à fin décembre 2011. Globalement, les banques
sont solvables et liquides. A des grosses nuances près. Solvabilité. A fin décembre 2011, 82 banques sur la centaine que
compte le système bancaire de l’Union satisfont à la norme de couverture des
risques par les fonds propres effectifs, fixée à un seuil de 8%. Simplifié,
cela veut dire que pour 100 FCFA de
financement accordé, une banque doit avoir au minimum, en contrepartie – sous
forme de garantie implicite – 8 FCFA de fonds propres. Autrement, pour que cela
se tienne pour définitivement dit, les banques ne prêtent que les dépôts de
leurs clients. Plus exactement, la réglementation les autorise en tant que
financeurs de recourir aux ressources collectées auprès de leurs déposants
jusqu’à 92% du montant des prêts octroyés à leurs clients. Cette
intermédiation, sur la base 100, coûtera à ses actionnaires au moins 8.
Liquidité. Cette norme requiert des banques des disponibilités suffisantes ou
des emplois dont la durée résiduelle n’excède pas trois mois pour couvrir, à
concurrence d’au moins 75%, leurs exigibilités de même maturité. A cet
exercice, 69 banques concentrant 74,9% des dépôts à fin décembre 2011 satisfont
à cette exigence. Ces deux ratios font partie de la batterie de normes édictées
pour l’exercice de la profession bancaire dans l’UMOA. Elles constituent ce que
la Banque Centrale désigne sous le vocable de « Situation
prudentielle » ou de « Dispositif prudentiel ».
La Banque Centrale à travers son organe de contrôle, la
Commission Bancaire, veille au strict respect des ratios prudentiels afin
dit-elle de garantir la bonne santé des établissements de crédit dont elle autorise
l’installation et l’exercice.
A la lecture
de ce tableau, au-delà des deux ratios sus mentionnés, une autre norme a retenu
notre attention. Il s’agit du ratio de structure de portefeuille qui s’appuie
sur le dispositif des accords de classement de la Banque Centrale. D’après le
Rapport, l’objectif final est d’inciter les banques à détenir des actifs sains
pouvant servir de support aux refinancements de la Banque Centrale et de mettre
à leur disposition un outil de suivi qualitatif de leur portefeuille de crédit.
Ainsi, les établissements de crédit sont tenus de respecter la règle fixant un
rapport minimal de 60% entre les encours sains de crédits bénéficiant d’accords
de classement de la Banque Centrale et le volume total de leur portefeuille. A fin
décembre 2011, aucune banque ne respecte ce ratio, soit une situation inchangée
par rapport à 2010.
Certes
l’objectif est noble mais les moyens d’y parvenir restent contraignants si on
en juge les statistiques peu flatteuses de l’application de cette norme
prudentielle.
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
Nombre total de banques UMOA en
activités
|
93
|
96
|
97
|
95
|
100
|
99
|
Nombre de banques respectant le
Ratio de structure de portefeuille
|
2
|
1
|
1
|
2
|
0
|
0
|
Source : Commission Bancaire,
Rapport annuel, de 2006 à 2011.
Il y a lieu de s’interroger sur la persistance de la
Commission Bancaire à maintenir dans le dispositif prudentiel, une norme qui
n’a jamais été respectée et dont l’inobservance n’appelle pas de sanctions
positives plus enclines à infléchir la tendance. Selon l’organe de contrôle,
« les établissements de crédit justifient le non-respect de cette norme
d’une part par les difficultés qu’ils éprouvent à disposer des états financiers
de leur clientèle et d’autre part la situation financière jugée peu satisfaisante
de la plupart des signatures. »
Un marché bancaire de plus en plus « africanisé »
Le marché bancaire de l’UMOA reste
dominer par 20 groupes bancaires qui concentrent 44 de la centaine de banques
opérant dans l’espace communautaire. Ils détiennent 63,9% des actifs, emploient
60,2% des effectifs, couvrent 59,3% du réseau bancaire et servent 49,1% des
comptes-clientèle.
Parmi cette catégorie, 8 établissements
font figure de « grands groupes bancaires ».
La percée des groupes bancaires régionaux, d’origine
subsaharienne (Ecobank, UBA, pour ne citer que ceux-ci) ou maghrébines (BSIC, Attijariwafa
bank, BMCE avec le label BOA et récemment la Banque Populaire à travers AFG),
tend à réduire le poids des banques françaises. La part de marché des groupes
de l’hexagone dans l’UMOA est passée de
29% en 2004 à 18% en 2011. En Afrique Centrale (CEMAC), les banques françaises
ont considérablement réduit la voilure. Leur contribution dans le système
bancaire a été divisée en deux durant la période en passant de 47% à 23%.
Néanmoins, le Groupe Société Générale fait toujours partie du tiercé gagnant
dans la zone UMOA. Dans le dernier classement des banques établi par la
Commission Bancaire, la banque au « carré rouge et noir » a réussi à
placer deux de ses filiales sur le podium sous régional, à savoir la SGBCI en
Côte d’Ivoire et la SGBS au Sénégal, respectivement à la 1ère et à
la 3ème place. A deux, elles pèsent, en actifs, près de 1 400
milliards de FCFA, soit l’équivalent du budget annuel cumulé du Niger et de la
Guinée-Bissau. Quant à la BNP, elle compte deux représentants dans le TOP 15
sous régional, la BICICI en Côte d’Ivoire et la BICIS au Sénégal respectivement
classés au 11ème et au 15ème rang. C’est dire que si les
« capitaux français » sont en retrait dans l’assiette communautaire,
il n’en demeure pas moins que leur présence en Côte d’Ivoire et au Sénégal
reste relativement forte.
La stratégie
bancaire de la zone UMOA se décide de plus en plus en Afrique, à travers la
montée en puissance des groupes bancaires d’obédience régionale. Et il est
heureux que la tendance se poursuive.
Il faut se rendre à
l’évidence que la taille du marché bancaire sous-régional reste encore très
modeste. En 2011, l’ensemble du système bancaire de l’UMOA (108 établissements
de crédit) ne représentait que 2% des actifs du Groupe Société Générale. Que
dire alors du poids des filiales de la banque au « carré rouge et
noir » ? Son implantation en Côte d’Ivoire, la SGBCI, par ailleurs la
première banque de l’UMOA avec un total bilan de 794 milliards de FCFA ne pèse
que 0,1% dans son Groupe. Celui-ci a réalisé en une année (2011), un résultat
d’exploitation de 4 270 millions d’euro soit l’équivalent de 4 fois la
taille de sa filiale en Côte d’Ivoire. Le même exercice peut être fait sur la
BNP Paribas, la plus grande banque du monde qui emploie plus de 200 000
personnes, l’équivalent de la moitié de la population de la capitale de la Guinée-Bissau
et 10 fois l’effectif du système bancaire de l’UMOA. La banque à la
« courbe d’envol » a des actifs consolidés de 1 965 milliards
d’euro à fin 2011. C’est dire que aussi grandes soit les filiales des groupes
bancaires français sur l’échiquier africain, il y a peu de chances qu’elles
apparaissent sur le radar de contrôle de l’état-major de leur maison-mère. Non
pas qu’elles ne soient pas suivies ou appuyées, mais dans la gestion du
management des groupes, la taille, le poids et autres mensurations sont un
élément central du pilotage stratégique.
Donc ne nous leurrons
pas. Personne ne ferra le développement de l’Afrique à la place des africains.
Cela n’est plus une question de conviction. C’est une nécessité. Et, il y a
tout lieu que le politique africain encourage et appuie, par des actions
concrètes et en toute transparence, les groupes bancaires panafricains qui ont
pris le risque de commercer avec leur continent et aussi, d’inciter les autres,
sud-africains notamment, à mieux s’ouvrir en s’inscrivant dans la même
dynamique. A l’heure où tous les ensembles régionaux de par le monde se serrent
les coudes en intensifiant leurs liens économiques, l’Afrique ne commerce avec
elle-même qu’à hauteur de 11% contre 72% pour les échanges intra-européens et
52% pour le commerce intra-asiatique. Ce chiffre ridicule du commerce
intra-africain n’est pas à la hauteur de la qualité de l’excellence des
relations politiques entre dirigeants africains et encore moins –hélas !-
des attentes des pauvres populations africaines qui peinent à accepter
l’acharnement du sort à leur égard. Il est temps que les africains créent les
conditions suffisantes et pérennes d’une croissance endogène et
auto-entretenue.
Mais attention, loin de nous
l’idée de mordre la main qui nous nourrit. La dépendance de l’Afrique à l’aide
extérieure est encore trop forte. Bien au contraire, il s’agit d’optimiser
l’appui des partenaires pour qu’il puisse servir réellement le développement de
l’Afrique dans un élan de complémentarité, de cohérence et d’efficacité.
2-
Un
secteur bancaire concentré
Le système bancaire de l’UMOA est très concentré
avec la prédominance de 25 établissements de crédit qualifiés de “grandes
banques” dans la stratification retenue dans le rapport de la Commission Bancaire. Les 25 “Sumo” ont chacun un total bilan
dépassant les 200 milliards FCFA. Ils concentrent 61,6% des actifs bancaires,
détiennent le tiers des comptes de la clientèle et animent 52,4% du réseau de distribution avec 51,2% des salariés du secteur.
« La présence de grandes banques ne constitue pas en soi une contrainte,
car des études ont montré que les banques de grande taille sont plus efficaces
dans l'intermédiation financière. Cette situation est toutefois porteuse de
risque de comportement oligopolistique se traduisant par une faiblesse de la
concurrence interbancaire, avec une tarification relativement forte des
services bancaires et une importante marge d'intérêt. » note la Banque
Centrale, dans une thématique consacrée à la problématique du financement (Rapport
2012 sur les Perspectives économiques des Etats de l’UMOA).
Presque la moitié des banques de l’Union (48 exactement en
2011) sont de petite taille avec un total bilan ne dépassant guère les 100
milliards de FCFA. Il y a lieu d’engager la réflexion sur leur dynamique à
créer de la valeur suffisante leur permettant d’acquérir une taille critique,
apte à insuffler une véritable croissance organique. Il sera indiqué de procéder au cas par cas du
fait que certains pays comme le Niger dispose de plus de la moitié de ses
banques qui répondent à ce critère. Le cas de la Guinée-Bissau est plus
singulier. La totalité de ces établissements bancaires (soit 4) ont une taille
inférieure à 100 milliards de FCFA. Pour le financement correct de nos
économies, il est nécessaire de disposer d’établissements bancaires forts,
solides justifiant d’un tour de taille d’au moins 100 milliards de FCFA.
3-
Un
faible niveau de bancarisation
Dans l’espace
UMOA, plus de 150 ans après la création des premières banques de l’ancien réseau
BIAO, 9 personnes sur 10 ne disposent pas de compte bancaire. La majorité des
personnes desservies vivent en milieu rural. Au Maroc, plus de la moitié (55% à
fin 2012) de la population est bancarisée. En France, il y a plus de comptes
bancaires que d’âmes qui y vivent.
Selon la
Commission Bancaire, le taux de bancarisation de l’UMOA, calculé sur la base
des statistiques provisoires, était estimé en moyenne à 7,9% en décembre 2011.
Il varie de 1,7% pour le Niger à 13,4% pour la Côte d’Ivoire. Ce fonctionnement
à double vitesse traduit le niveau général de développement économique disparate
au sein des pays membres de l’Union.
Deux pays, la
Côte d’Ivoire et le Togo, ont des taux de bancarisation à deux chiffres,
supérieurs à 10%. Le Mali, le Sénégal et le Bénin améliorent leur
positionnement avec un niveau de bancarisation bas mais au-dessus de 7%. Le
Burkina Faso, la Guinée-Bissau et le Niger ferment la marche avec des taux
extrêmement bas, en dessous de 5%.
Nous allons
affiner ces analyses par deux tableaux pour apprécier la pénétration
démographique (proximité) et la couverture géographique (densité) des
implantations bancaires. Ces deux autres critères complètent le modèle retenu
par la Commission Bancaire pour mieux jauger du niveau de pénétration des services
bancaires.
Pénétration démographique
|
Bénin
|
Burkina
|
Côte d’Ivoire
|
Guinée-Bissau
|
Mali
|
Niger
|
Sénégal
|
Togo
|
UMOA
|
Nombre de guichets
|
175
|
199
|
513
|
21
|
347
|
93
|
336
|
169
|
1.853
|
Population
(millions hbts)
|
9,1
|
16,2
|
23,5
|
1,5
|
15,6
|
15,3
|
12,6
|
6,0
|
99,9
|
Ratio de pénétration
|
52.000
|
81.407
|
45.809
|
71.429
|
44.957
|
164.516
|
37.500
|
35.503
|
53.913
|
La norme
généralement admise sur le plan international est d’un guichet bancaire pour
5 000 habitants. En France, elle est moins de 2500 personnes pour une
agence bancaire.
Pénétration géographique
|
Bénin
|
Burkina
|
Côte d’Ivoire
|
Guinée-Bissau
|
Mali
|
Niger
|
Sénégal
|
Togo
|
UMOA
|
Nombre de guichets
|
175
|
199
|
513
|
21
|
347
|
93
|
336
|
169
|
1.853
|
Superficie
(km²)
|
115.762
|
274.122
|
322.463
|
36.125
|
1.240.192
|
1.267.000
|
197.161
|
56.785
|
3.509.610
|
Ratio de couverture
|
661
|
1.377
|
629
|
1.720
|
3.574
|
13.624
|
587
|
336
|
1.894
|
A l’arrivée,
le contraste des performances au sein de l’espace UMOA est assez frappant.
La Côte
d’Ivoire a le meilleur taux de bancarisation de la sous-région (13,4%), selon l’estimation
de la Commission Bancaire. La densité et la capillarité du réseau de
distribution de ses banques ne sont pas encore performantes avec, en moyenne,
un guichet bancaire pour 45.809 habitants à chaque 629 km².
Le Togo offre
la meilleure pénétration des services bancaires. Il dispose en moyenne d’un
point de vente pour 336 km² avec près de 11% de sa population qui a accès aux
services bancaires. Ce bon résultat est rendu possible par une plus grande proximité
du réseau bancaire, en raison d’une implantation pour 35.503 personnes.
Le Sénégal,
en milieu de tableau avec seulement 7,8% de taux de bancarisation, dispose d’un
bon alliage géo-démographique grâce à la capillarité de son réseau bancaire,
l’un des plus anciens d’Afrique et l’un des plus denses de la sous-région. Le
maillage de son territoire est bien servi avec un guichet bancaire pour 587
km².
Le Burkina et
la Guinée-Bissau, bien que n’ayant pas de similitudes géographique et
démographique, présentent les mêmes traits de bancarisation, en queue de
peloton soit respectivement 4,6% et 3,8%. Le cas de la Guinée-Bissau est
spécifique. Jusqu’en 2004, ce pays ne disposait que d’une seule banque. Elle en
compte aujourd’hui 4 avec un réseau de 21 agences bancaires.
Le Niger, avec
une marge de bancarisation de plus de 98% ferme la marche. Ce pays ne dispose
que d’un compte pour 164 516 habitants avec une densité d’un point de vente aux
13 624 km², l’équivalent du territoire de la Flandre, en Belgique, qui
compte 5 317 agences bancaires à fin 2010 et 35 fois la superficie de
Casablanca qui abrite plus d’un millier de points de vente.
Les agences
auxiliaires de la BCEAO sont peu nombreuses et ne couvrent pas suffisamment le
territoire des pays de présence. Cette limitation freine la politique
d’extension de réseau des banques secondaires. Récemment, avec les crises
survenues dans la sous-région, notamment en Côte d’Ivoire, au Mali et en
Guinée-Bissau, la nécessité pour la BCEAO d’étendre ses représentations à
l’intérieur de certains territoires reculés des pays membres s’est faite de
plus en plus pressante. Du fait que les options de « repli » sont
pratiquement inexistantes pour les banques dans ces zones. Au Mali, il y a
quelques mois suite à la crise politico-sécuritaire, les banques maliennes installées dans le nord
du pays ont enregistré d’importants sinistres. Presque tout a été perdu, du
fiduciaire jusqu’au mobilier sans oublier le client avec à la clé le personnel
en poste sous les bras. Et sans aucune possibilité de se dédommager. Les
compagnies d’assurance se sont réfugiées derrière la sacro-sainte clause « cas
de force majeure ». Dès lors, comment voulez-vous que les établissements
de crédit aillent s’installer dans les régions défavorisées des pays d’accueil,
puisque dépourvues d’infrastructures de base nécessaires à l’exercice de l’activité
bancaire ? Il faut se le dire de bon, les banques sont d’abord des
entreprises commerciales. Elles n’ont pas vocation d’assurer une politique de
bancarisation de masse. Et la puissance publique (Etat, BCEAO), dont c’est la
responsabilité, n’arrive pas à assumer correctement cette mission.
Faut-il donc exclure du service bancaire une frange
importante de la population pour le simple fait de son lieu de résidence ?
Certes les
indicateurs de bancarisation sont au rouge dans l’espace UMOA. Mais tout n’est
pas sombre. Depuis cinq ans, il y a une réelle dynamique de massification et de
démocratisation des services bancaires qui est en cours et qui laisse présager,
pour la future décennie, un infléchissement important de la tendance actuelle.
Les trois grands groupes bancaires marocains, présents dans la zone, ont déjà
annoncé la couleur en « exportant » leurs modèles qui ont déjà fait
recette dans le royaume. Leur prochaine bataille sera celle du réseau
subsaharien. D’autres groupes de taille plus modeste comme BSIC et Oragroup ne
manquent pas aussi d’ambition.
Il faut
maintenant s’interroger sur la qualité de ce niveau de bancarisation. A y
regarder de très près, les agences bancaires sont implantées, principalement,
dans les capitales et les grandes villes des pays de l’Union. Et même dans ces
villes, la concentration reste marquée dans les quartiers d’affaires et dans
une moindre mesure dans les lieux à forte concentration humaine. Le milieu
rural est le grand oublié de la promotion de la bancarisation. Ce sont en général des « clients
saisonniers » des banques qui se manifestent pendant deux principales
périodes de l’année dans les agences des centres urbains : au début de la
campagne de production (achats d’intrants et de semences) et à la clôture de la
campagne de commercialisation (remboursement des crédits de campagne). En
dehors de ces périodes de pointe, les
circuits informels, véritables banques ambulantes, prennent le relais
dans les lieux de vie des paysans. Leur prolifération et leur développement
anarchique s’expliquent par la proximité de leurs services et par leur mode
d’animation basé sur la confiance et l’estime.
Vu sous un
autre angle, la qualité de la bancarisation peut aussi laisser à désirer
notamment au niveau de la qualité du service bancaire.
Parlant
de qualité de service, souffrez que je vous livre l’aventure audacieuse de ce
jeune jardinier contée si habilement par Christian Godefroy :
Un
jour, le dirigeant d’une grande société engage un jeune jardinier indépendant.
A la fin du travail, le jeune homme demande au propriétaire l’autorisation de
passer un petit coup de fil. Par mégarde, le dirigeant surprend la conversation
du jeune homme…
Le
jeune homme s’entretient avec une femme :
-
Vous avez besoin d’un jardinier ?
-
Non, j’en ai déjà un.
-
Mais moi, en plus de faire le jardin, je ramasse les
ordures, souligne le jeune homme.
-
C’est tout à fait normal, mon jardinier aussi fait
cela, répond la femme.
-
Je lubrifie tous les outils à la fin de mon service,
ajoute le garçon.
-
Mon jardinier aussi, rétorque la propriétaire un peu
agacée.
Dans
une dernière tentative pour persuader son interlocutrice, le jeune homme
lance :
-
Je suis rapide, jamais en retard et mes tarifs sont
imbattables !
-
Désolée, mais le prix de mon jardinier est également
très compétitif, répond la femme avant de raccrocher.
-
Mon garçon, je crois bien que tu viens de perdre une
cliente, dit le patron.
-
Bien sûr que non, c’est moi son jardinier ! j’ai
fait cela seulement pour savoir si elle est vraiment satisfaite de mes
services.
Connaissez-vous beaucoup de prestataires
financiers qui oseraient se prêter à cet exercice frontal, sans farce ni
censure ? En évaluant la qualité de leur service avec une telle audace. La
« fumée blanche » n’est certainement pas pour si tôt. Roland Topor
nous le rappelle, fort humoristiquement : « Les journaux regorgent d’histoires de braves gens pris en otages à la
banque par des gangsters, mais ils restent muets sur les cas, pourtant plus
fréquents, de clients pris en otages par leur banquier. » Pour s’en
convaincre, il suffit de vaincre son emploi du temps en visitant les guichets
de certaines banques en début ou fin de semaine de travail. Vous ferez la
connaissance du rêve de ces dizaines de clients endormis par la douceur
conditionnée des brasseurs d’air des halls d’accueil et l’irritation de ces
autres, éveillés par une si longue attente. Les guichets des banques sont
toujours engorgés. Pourtant ! Et, pour autant, voilà bien un terrain
vierge qui mériterait d’être préempté par les dirigeants de banque pour ne pas
se laisser abuser par des commerciaux et des qualiticiens plus soucieux de complaire
que de déplaire. L’autorité de tutelle, garante de la vie contractuelle et les
associations de consommateurs devront sérieusement s’y pencher. Et les banques
y gagneront à coopérer. Pour recruter de nouveaux clients et fidéliser leur
portefeuille.
Pour revenir,
spécifiquement à la bancarisation, les solutions existent. Des initiatives
vigoureuses ont été prises sous d’autres cieux qui ont donné de bons résultats.
•
l'approche
française: elle est basée sur un arsenal juridique fourni et évolutif pour
obliger les populations à ouvrir un compte en banque. L'obligation du règlement
des salaires en monnaie scripturale et le droit au compte en sont des exemples;
•
l'approche
américaine: Les Etats-Unis, à travers le Community
Reinvestment Act (CRA), ont mis en place un système de jeu à somme nulle «
play or pay » qui oblige les banques à financer les ménages les plus
vulnérables. Les établissements de crédit qui ne jouent pas le jeu devront
payer ceux qui ont accepté d’appliquer les règles.
•
l'approche
sud-africaine: Dans le pays de Nelson Mandela, l’Etat a prévu des comptes spécifiques
sans frais dénommés « Mzansi » pour
les populations les plus démunies
•
l’approche
marocaine est une combinaison de plusieurs initiatives qui ont fait recette. On
peut citer les comptes « Bikher » et
les « souk bank » qui épousent et
font corps avec les réalités socio-culturelles des populations adressées.
Au-delà de
ces initiatives, fort heureuses et efficaces, quelques mesures simples
pourraient faire décoller, nettement, le taux de bancarisation dans la zone
UMOA. Au nombre desquelles, la création de zones franches bancaires dans les
régions défavorisées de certains pays. Les banques pourront être incitées à s’y
installer moyennant une défiscalisation – totale ou partielle – de certaines de
leurs opérations. En contrepartie, elles s’engagent à recruter des clients
résidant dans ces zones en leur ouvrant des comptes « franco », sans
frais de tenue et à leur consentir un abattement substantiel dans le coût de
financement de leurs activités. Un tel projet peut être piloté, à l’échelle
communautaire, par la Commission de l’UEMOA en étroite relation avec la BCEAO.
Pour son financement, les bailleurs de fonds dans le cadre du programme de
restructuration du secteur financier, pourront être mis à contribution. Et afin
d’assurer le succès d’une telle opération, les « embouteillages » des
agences bancaires dans les quartiers de certaines grandes villes pourront être
limités. Par exemple, par un système de 2 pour 1 : 2 agences créées en
milieu urbain pour 1 agence créée en zone rurale. C’est une réflexion qui pourrait
être nourrit par des mains plus expertes.
4-
Le
poids des créances en souffrance
2011 a été sans nul doute la
confirmation d’une nouvelle ère de révélation des lézardes d’un système
bancaire sous-régional en pleine mutation. Depuis une décennie, la bulle
spéculative et fortement concurrentielle des « grandes entreprises »
menace d’éclater à force d’étirement et de replis. Les anciennes poules aux
œufs d’or, véritables coqs en pâte, ont laissé des coquarts en héritage aux
banques. Elles représentent l’essentiel des provisions constituées par les établissements
de crédit aux dépens d’une rentabilité mise à mal par un coût de risque anormalement
élevé. Pour ces gros débiteurs qui ont déjà fêté pâques avant les rameaux,
c’est l’affirmation de l’adage « mourir
maigre, mourir gros, la différence est pour les porteurs ». Au petit jeu de la séduction, tel est pris qui
croyait prendre.
|
31/12/2007
|
31/12/2008
|
31/12/2009
|
31/12/2010
|
31/12/2011
|
Provisions nettes
sur risques
|
124.543
|
198.362
|
73.531
|
152.603
|
93.099
|
- Dotations aux
provisions et pertes sur créances irrécupérables
|
224.689
|
359.077
|
296.135
|
328.927
|
295.613
|
+ Reprises sur
provisions
|
100.146
|
160.715
|
222.604
|
176.324
|
202.514
|
Source : Commission Bancaire,
Rapport annuel 2011.
A force de porter et surtout de
supporter, certaines banques sont à bout de souffle. Leur cheminement s’apparente
à un véritable « steeple Chase » (la formule est empruntée au talentueux
journaliste malien, Gaoussou Drabo), une course d’obstacles au cours laquelle
les mises en cause ont tout juste le temps, après une énième défaillance de
leurs « gros clients », de reprendre leur souffle avant d’aborder
l’étape suivante. A ce rythme, il faudrait surtout craindre la perte de
tonicité voire la défaillance de ces établissements de crédit qui ont bâti
durant des décennies toute leur stratégie sur des solutions de rente et qui
n’arrivent plus à s’en démarquer. Mort Meyerson, ancien patron d’EDS cité par
Fahey et Randall, conseille que le voyage pour se réinventer n’est pas aussi
effrayant qu’on le dit…il est pire ! C’est dire que le risque systémique
n’est pas encore écarté. Et le pire c’est de fermer les yeux, et de croire au
lever du soleil. Pour Thierry Viquerat, il ne faut pas faire le mort et espérer.
Dans ce cas, on subit plus qu’on agit, on exécute plus qu’on ne gère. Traduit
en langage boursier, cela veut dire se livrer à la pire des spéculations. Un
ancien Administrateur Provisoire d’une banque malienne, lors d’une fête à
l’honneur des seniors, s’est adressé à son auditoire en ces termes :
« La banque est le carrefour de
toutes les tentations ».
L’institution de supervision n’hésite
pas à avoir la main lourde. Les études prouvent que de 1980 à 1995, 27
établissements de crédit ont été fermés dans l’espace sous-régional, dont 15
sont à capitaux publics.
|
Bénin
|
Burkina
Faso
|
Côte
d’Ivoire
|
Mali
|
Niger
|
Sénégal
|
Togo
|
Total
|
Faillite de banques
|
4
|
1
|
8
|
0
|
3
|
7
|
4
|
27
|
(dont banques d’Etat)
|
2
|
1
|
6
|
0
|
2
|
3
|
1
|
15
|
Durant le dernier quinquennat, la
Commission Bancaire a procédé, au moins, à un retrait d’agrément par an. Dans ces conditions, les produits classiques
destinés aux grandes entreprises, plus connus sous le nom galvaudé de
« produits corporate », se
vendent comme des « cercueils à deux places ». Certains observateurs
peuvent même s’interroger sur l’existence de phénomènes de « ventes à
perte » sur ce segment. En tout cas, la pression de la concurrence qui s’y
exerce est en cause. La messe est déjà dite : « …Beaucoup traitent un prêt comme une aubaine et mettent dans la
gêne ceux qui les ont aidés. Avant de recevoir, on baise les mains du prêteur. Au
jour de l’échéance, on tire en longueur. On s’acquitte en récriminations, on
s’en prend aux circonstances. A-t-on les fonds pour s’acquitter ? A peine
le prêteur recevra la moitié de son argent, et il pourra s’estimer heureux. Dans
le contraire, il aura, sans l’avoir mérité, un ennemi de plus qui s’acquitte en
malédictions et en injures. Et qui rend des outrages en guise de révérence… »
La longue procession s’achève sur ce texte biblique, non sans mécomptes et
même avec des cicatrices, fort heureusement pour les banques qui ont pu panser
leurs plaies. La mollesse et la complaisance – son pendant, le laxisme – dans
la gestion des risques ne peuvent que mener à la catastrophe. Presque, tous les
banquiers le comprennent. Mais, certains peinent à s’en convaincre. Rien que
pour la seule année 2011, les banques de l’UMOA ont comptabilisé, en charge,
des provisions à hauteur de 295 milliards FCFA. Avec ce montant, les intermédiaires
bancaires auraient pu étoffer leur réseau de distribution de la création de près
de 3 000 agences (une fois et demi le niveau actuel), en raison d’un
investissement unitaire surestimé à 100 millions de FCFA. Sur la base de cette
hypothèse, le taux de bancarisation projeté sera de 20% (contre 7,9%
actuellement) avec une pénétration démographique de 20 793 personnes par
guichet bancaire contre un niveau actuel de 53 913. Ces extrapolations ont
un intérêt pédagogique. Elles permettent d’attirer l’attention des autorités
publiques et monétaires ainsi qu’au premier chef, les dirigeants de banque et
leurs partenaires du monde des affaires sur les conséquences négatives de la
toxicité du portefeuille des établissements de crédit et son impact négatif sur
l’économie. Dans un rapport de Standard & Poor’s publié en mai 2011, l’agence
de notation donne son appréciation sur l’état du système bancaire de l’UMOA: « Nous considérons que les risques liés aux
systèmes bancaires de l’UEMOA sont élevés. Le taux de créances douteuses est
important et le taux de couverture par les provisions reste modeste, compte
tenu du niveau de capitalisation des banques et des risques inhérents aux
conditions d’opérations dans ces pays. » Une mission plus récente du FMI
est arrivée à la conclusion que les crédits compromis « reflétaient, dans une certaine mesure, les problèmes chroniques et la
réticence des banques à réduire la valeur des actifs de peur que cela n’entrave
les possibilités de reprise ».
En effet, le niveau de sinistralité est très élevé dans certains compartiments des
créances en souffrance notamment les « douteux et litigieux »
communément appelées « contentieux ». Certaines de ces créances
continuent de figurer à l’actif des anciennes banques alors qu’elles constituent
des « non valeurs » car sans espoir de recouvrement. Elles sont
portées, depuis plus d’un quart de siècle par des entreprises liquidées ou des
débiteurs qui ne sont plus en activités. La décision de les faire sortir du
patrimoine de la banque n’est toujours pas une décision facile à assumer par
les organes sociaux.
Jean-Jacques Rousseau a raison :
« Qui croit fermer les yeux sur
quelque chose se voit bientôt forcé de les fermer sur tout. » A
l’évidence, tout est en le dirigeant pour autant qu’il sache se couvrir et se
découvrir. Barsoux aurait prévenu : « Le dirigeant qui plonge la tête la première dans les eaux d’une
entreprise doit rester attentif à la hauteur des vagues. Plus encore, il lui
faut bien évaluer la profondeur et la force du contre-courant, généralement
imperceptible, car la survie en dépend. »
L’autorité monétaire et de contrôle,
loin de s’immiscer dans la stratégie commerciale des entreprises de son domaine
de supervision, les incite fortement à la déconcentration de leur portefeuille.
Une dilution au profit de segments, certes moins rentables mais moins risqués.
Il se justifie dès lors un redéploiement de l’action commerciale des
établissements bancaires en direction des autres secteurs institutionnels
notamment le segment des ménages comme véritables alternative au choix
cornélien opéré. A l’évidence, dans la zone UEMOA, la concurrence sur le
segment du « retail » (une
autre expression à la mode signifiant les particuliers et les entreprises
individuelles), haute comme trois pommes à genoux, ne fait pas l’ombre d’un
cheveu. Il est donc de peu d’utilité de comparer les banques entre elles
puisqu’il y a tout lieu de penser que l’équilibre s’établit sur ce marché au
terme de modalités de fonctionnement très différenciées. Cela est d’autant plus
constant qu’à l’analyse, la virginité de l’offre qualitative est presque
évidente. La différence entre les offres des banques ne s’apprécie qu’à travers la pertinence du support
communicationnel utilisé. Depuis peu, à grands renforts de publicité (spots TV,
panneaux,…), toutes les banques se mettent dans la séduction des particuliers
jouant tantôt sur l’affectif (esprit de famille) que sur l’émotionnel
(réalisation de rêves) en passant par l’événementiel (animation d’espace de
vente) ou même à flirter avec la banalisation (kiosques de pré-ouverture de
compte). De toutes ces tentatives, les produits dans leur forme classique
demeurent. Il a été prouvé que nous sommes plus en présence de produits
« réchauffés » que réellement de nouveaux produits. Ils sont
simplement bien présentés, mieux habillés et plus encadrés. Mais
attention ! Quand vous vous habillez, vous ne changez pas; vous changez
simplement la façon dont on vous regarde. Or, il est admis que « ce n’est
pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité ».
D’autre part, le questionnement du
mode de financement mérite aussi d’être
analysé sous l’angle de l’adéquation emplois/ressources.
5-
Le
niveau de financement de l’économie reste faible
Le tableau et le graphique ci-dessous retracent la contribution du système
bancaire dans le financement des économies des pays de l’UMOA.
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
PIB
|
27 320
|
30 486
|
32 608
|
34 808
|
36 361
|
Crédits à l'économie
|
4 904
|
5 627
|
6 116
|
6 809
|
7 814
|
Ratio (crédits à
l'économie/PIB)
|
18%
|
18%
|
19%
|
20%
|
21%
|
Source:
BCEAO
|
|
|
|
|
|
Le financement bancaire représente 21% du PIB de la zone UMOA. Il est de
34% au Nigeria, 77% au Maroc et 145% en Afrique du Sud. Et les coûts d’accès au
crédit bancaire demeurent relativement élevés dans l’UMOA. Le taux d’intérêt
réel moyen des prêts bancaires est ressorti en 2010 à 13,0% dans l’Union contre
9,4% au Nigeria et 1,6% en Afrique du Sud.
S’agissant de la
répartition sectorielle des crédits à l’économie, l’analyse se fait sur la base des utilisations de
crédit déclarées à la Centrale des Risques à la BCEAO.
D’une façon
générale, l’encours des financements bancaires est mal reparti entre les
différents acteurs économiques de l’UMOA. La faiblesse du financement des
secteurs clés de l’économie comme l’agriculture, les BTP, les transports
est réelle. Tout comme l’absence de réponses adéquates aux besoins prioritaires
des pays de présence. Tenez ! À l’heure des délestages et du coût exorbitant
du kilowattheure pour les particuliers autant pour les entreprises, le secteur énergétique
ne bénéficie que de 3% des concours bancaires. Les activités agro-sylvo-pastorales,
principales contributrices de la richesse communautaire, sont à la même
enseigne avec seulement 3% des financements
consentis. C’est le commerce (achat et revente à l’état avec peu de création de
valeur ajoutée) qui se tire à « bons comptes » avec le tiers des prêts
octroyés par les banques. Au Maroc, ce secteur ne représente que 6,2% des
crédits bancaires contre 28% pour les ménages, dont une bonne partie sous forme
de prêts acquéreurs au logement. Dans la zone UMOA, les prêts aux particuliers
(sous la rubrique des « services divers ») avec un encours de 474
milliards FCFA à fin décembre 2011, dont 70% de crédit à moyen et long terme,
ne représentent que 7,4% du total des financements bancaires.
Peut-on dire
que les banques sont frileuses ? Pas si sûr. Il leur est reproché une
intervention trop prudente voire timorée en gardant par devers elles de stocks
importants de liquidités au lieu d’assumer leur mission première de prise de
risques notamment en assurant la couverture des besoins financiers du tissu
productif. Et lorsqu’elles se décident à financer, leur confiance est accordée
à des secteurs, à faible valeur ajoutée, comme le « commerce
général ». Cette appréciation, somme toute légitime, n’est pas aussi
exempte de reproches. Dans une sous-région en proie à une instabilité
politico-sécuritaire depuis plus de cinq ans, notamment en Côte d’Ivoire, en Guinée-Bissau
et au Mali, et dans une moindre mesure les mouvements pré-electoraux au Sénégal
et le coup d’Etat intervenu en fin 2010 au Niger, beaucoup d’établissements de
crédit se sont aventurés au-delà des limites réglementaires. C’est ainsi que plus
du tiers des banques en activités ne respectent pas le ratio dit
de « transformation » (couverture des emplois à moyen et long
terme par des ressources stables). En d’autres termes, 38 banques de la
centaine que compte l’Union ont financé des opérations d’investissements avec
des ressources volatiles au-delà de la limite réglementaire autorisée. Par
exemple, le taux de transformation des comptes d’épargne est limité à 25% de leur
stock. Pour s’être hasardés au-delà du raisonnablement admis, ces
établissements de crédits exposent l’équilibre de leur structure financière aux
aléas de la profession.
L'analyse de la répartition sectorielle des crédits à
l'économie montre que le financement bancaire bénéficie à hauteur d'environ 70%
au secteur tertiaire dont la contribution dans la formation du PIB reste
relativement modeste. Le secteur primaire ne bénéficie que de 5% des concours
bancaires alors qu’il est le principal contributeur de la richesse
communautaire et qui emploie près de 80% de la population active dans l'Union.
Le tissu productif dominé par les PME/PMI, véritable socle du développement,
est insuffisamment financé. Des études révèlent qu’au Mali, 83% des micro-entreprises et 72% des petites
entreprises font face à des contraintes de financement. Au Sénégal, cette
proportion s’élève respectivement à 92% et à 90%.En outre, les emplois durables (crédits à moyen et long terme), essentiels
au financement des investissements, ne représentent que 39% en 2011 des financements
accordés.
En cause, pour beaucoup d’acteurs, la liquidité
abondante des banques qui n’est pas utilisée pour le financement adéquat de
l’économie des pays de la sous-région.
Selon le rapport de la Commission Bancaire, la trésorerie cumulée des
banques de la zone UMOA reste excédentaire à hauteur de 1 027 milliards,
en dépit d’une contraction de 107 milliards FCFA par rapport à son niveau de
l’année précédente. Tous les pays de l’Union sont contributeurs positifs à
l’exception du Bénin (-76 milliards) et du Niger (-4 milliards). Cette année
encore le niveau des encaisses oisives détenues par les banques représente
40,8% de la liquidité globale, le reliquat se retrouve en écritures
scripturales à la BCEAO et chez les correspondants bancaires. Les dépôts placés
chez l’Institution d’émission dépassaient largement le niveau réglementaire
requis pour la constitution des réserves obligatoires.
Les obstacles au financement adéquat et durable de
l’économie par le secteur bancaire sont multiples. Au nombre desquels, il faut
citer :
-
La structure des ressources
des banques dominée par les dépôts à vue de la clientèle
-
Le dispositif
prudentiel qui encadre la transformation (la couverture des emplois à moyen et
long terme par des ressources longues) sous peine de sanctions
-
La faiblesse des
fonds propres des banques
-
L’insuffisance de
projets « bancables » des acteurs du secteur productif, à même de
répondre aux critères d’appréciation des banques
-
L’expertise des
intermédiaires bancaires à se lancer dans le financement de certaines
industries qui nécessitent des compétences techniques spécifiques pour
maîtriser le risque transactionnel et suivre la bonne marche du proche sur des
maturités souvent très longues
-
Les contraintes
liées à l’environnement des affaires et au cadre juridique et judiciaire
La Banque Centrale, estime que des mesures correctives
nécessaires doivent être prises pour « permettre
au système bancaire de jouer le rôle de principal acteur du financement de
l’activité dans l’Union et de canal de transmission des impulsions monétaires
au secteur réel de l’économie. »
Cheickna Bounajim Cissé