lundi 27 octobre 2014

MALI-FMI : Le «droit de réponse» de Soumeylou Boubèye Maïga

(Publié par Financial Afrik le 18 octobre 2014)

Selon les informations de presse (source : Malijet), l’ancien ministre de la Défense et des Anciens combattants du Mali aurait rédigé, à l’adresse du Vérificateur Général, un rapport intitulé : Observations de Soumeylou Boubèye Maïga sur le Rapport Provisoire du Bureau du Vérificateur Général (BVG) relatif à la vérification de conformité et de performance de l’acquisition d’un aéronef et fournitures aux Forces Armées Maliennes de matériels d’habillement, de couchage, de campement et d’alimentation (HCCA), ainsi que de véhicules et de pièces de rechange. Ce document est disponible sur le site Malijet.

Avant de le commenter, prescrivons-nous deux observations principielles :

- Le rapport définitif du Vérificateur Général n’a pas encore été publié, conformément aux engagements du Gouvernement du Mali. Même si la presse malienne s’est fait largement échos de certaines parties présumées du rapport provisoire du Vérificateur Général, ce document doit être sous le sceau de la confidentialité en raison du « respect du principe du contradictoire » jusqu’à sa version définitive. En effet, la loi n° 2012-009 du 08 février 2012, abrogeant et remplaçant la loi n°03-30 du 25 aout 2003 instituant le Vérificateur Général dispose en son article 13 : « Dans l’exercice de leur mission, le Vérificateur Général, le Vérificateur Général Adjoint et les Vérificateurs sont tenus au respect du principe du contradictoire. Ils doivent communiquer aux agents et aux responsables des structures contrôlées les résultats de leurs investigations et leur impartir un délai d’un mois au moins pour requérir leurs réponses, par écrit avant la rédaction du rapport définitif de vérification. Ils doivent obligatoirement joindre au rapport les réponses des structures contrôlées. Ces réponses doivent être concises et s’inscrire dans les limites des résultats communiqués. »

- Parallélisme de forme oblige, la réponse du responsable de l’une des structures contrôlées, en l’occurrence du ministre de la Défense et des Anciens combattants au moment des faits, devrait aussi rester sous le sceau de la confidentialité.

Sous ces réserves, le « droit de réponse » de l’ancien ministre de la Défense et des Anciens combattants appelle de notre part les commentaires suivants :

1- La légalité de la vérification

Selon l’ancien ministre, les marchés ont été passés en application de l’article 8 du Code des marchés Publics. En effet, l’article 8 du Décret n °08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service du Code des Marchés Publics dispose « le présent décret ne s’applique pas aux marchés de travaux, de fournitures et de services, lorsqu’ils concernent les besoins de défense et de sécurité nationales exigeant le secret et pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’Etat est incompatible avec des mesures de publicité». Cette disposition est une reprise de l’article 9 de la Directive n° 04/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marches publics et des délégations de service public dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine qui dit que : « La présente Directive ne s’applique pas aux marchés de travaux, de fournitures et de services, lorsqu’ils concernent des besoins de défense et de sécurité nationales exigeant le secret ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’Etat est incompatible avec des mesures de publicité».

La définition du Secret-Défense au Mali ressort de l’article 36 de la Loi n°01-079 du 20 aout 2001 portant du Code Pénal qui dispose que : «Seront réputés secrets de la défense nationale pour l’application du présent Code : […] Les objets, matériels, écrits, dessins, plans, cartes, photographies ou autres reproductions, et tous autres documents quelconques qui, par leur nature, ne doivent être connus que des personnes qualifiées pour les manier ou les détenir, et doivent être tenus secrets à l’égard de toute autre personne, pouvant conduire à la découverte de renseignements appartenant à l’une des catégories visées à l’alinéa précédent ; […] »
Selon l’ancien ministre, la Loi n° 2012-009 du 08 février 2012 instituant le Vérificateur Général lui oppose le «secret-défense» dans le cadre de ses missions quand il dit à son article 15 que « Dans l’accomplissement de leur mission, à l’exclusion du secret de défense, aucun secret professionnel ne peut être opposé aux vérificateurs… ».

Ainsi, poursuit l’ancien ministre, « une limite objective se trouve être posée aux missions du Vérificateur, les transactions effectuées sous le statut du secret-défense étant exclues de son champs d’investigations, en ce qu’il ne peut pas et ne doit pas avoir accès aux informations y ayant trait ». Il conclut que le Vérificateur Général « n’a pas l’attribution d’interpréter des dispositions législatives, surtout quand celles-ci sont « obscures » ou « imprécises ». Cette mission relève de la Chambre Consultative de la Section Administrative de la Cour Suprême. Cette violation de la Loi vicie et corrompt tout son rapport, lequel est fait par une structure qui n’en a pas la compétence légale. Or en droit, lorsque la compétence est violée, le fond ne peut être validé. C’est là une exception de taille. »

En résumé, pour l’ancien ministre, le Vérificateur Général, bien que mandaté par le premier ministre pour faire un audit de conformité et de régularité des contrats querellés, n’a pas compétence à investiguer dans ce domaine au double motif du secret –défense, à l’abri duquel les contrats incriminés ont été conclus et qui plus est se trouvent hors de son périmètre d’investigations défini par la loi l’instituant.

2- A propos de la surfacturation

Le rapport provisoire du Vérificateur Général indiquerait des surfacturations de FCFA 29 311 069 068.

Dans son droit de réponse, l’ancien ministre récuse sa méthode de détermination : « Il convient de préciser que le Protocole d’Accord a été signé avec le fournisseur et non avec les fabricants. En conséquence, il n’est pas logique de procéder à une comparaison entre les factures des Fabricants et celles du Fournisseur. Les prix usine et les prix livraison ne sont les mêmes nulle part et sur aucun produit, même si c’est le fabricant qui livre. A ce propos, il y avait lieu pour l’équipe de vérification de prendre en compte toute l’information disponible et de constater que les paiements en question ne sont pas effectués à vue, notamment parce que :
· Si le fabricant est réglé au comptant, le fournisseur quant à lui assume toutes les charges liées à la mobilisation immédiate des ressources nécessaires au paiement du fabricant.
· Le protocole prévoyait un paiement étalé sur trois ans. A charge pour le fournisseur de s’endetter à ses frais sur la durée de règlement.
· Le règlement du fournisseur devant être effectués sur TROIS (3) ANS dont UN (1) AN DE DIFFERE, il lui fallait intégrer à son prix de vente les frais financiers, les frais d’assurance et autres charges qu’il avait à supporter du fait des conditions de règlement conclues avec lui.
Le Vérificateur Général n’indique aucunement dans ses travaux, le RAPPROCHEMENT entre les factures, les bordereaux de prix unitaires, le montant inscrit au protocole ou les bons de commandes. De plus, le Vérificateur Général n’émet pas de preuves relatives à une circularisation des fournisseurs pour justifier qu’il s’agit réellement de surfacturation. Il n’est également fait aucune référence à un entretien avec le fournisseur pour expliquer ces écarts. Un écart peut, il est vrai, être constaté, mais il devait obligatoirement être l’objet d’investigations sérieuses par le Vérificateur Général, avant de conclure à une éventuelle surfacturation. Cette façon d’accuser à tort démontre une défaillance notoire du respect par le Vérificateur Général de son obligation de moyens dans la mise en œuvre de ses investigations. » conclut l’ancien ministre.

3- Mises au point conclusives de l’ancien ministre

Nous reproduisons in extenso cette partie du « droit de réponse » attribué à l’ancien ministre de la défense et des anciens combattants :
« · Dans la mise en œuvre de ces contrats, il y a eu une information et un accord du Président de la République, Chef Suprême des Armées, à chaque étape.
· Le choix du conseiller du Gouvernement pour l’acquisition de l’avion, en la personne de Monsieur Gaffa Joli, a également été établi sur la base de l’accord préalable du Président de la République.
I. Le Président de la République, Chef Suprême des Armées, a donné mandat le 5 novembre 2013 à Monsieur Sidi Kagnassy, ainsi qu’à toutes les sociétés qu’il représente, pour faciliter l’acquisition des besoins des forces armées. C’est sur cette base qu’a été signée le 13 Novembre 2013 une convention entre le MDAC et la Société Guo-Star, au terme de laquelle celle-ci acceptait de procéder au règlement des fabricants après livraison et d’attendre deux (2) à trois (3) ans pour être payée par le MDAC à partir des ressources programmées dans le budget national.
La Convention avec Guo-Star a respecté le modèle adopté depuis 2012, sur instruction du Président de la République de l’époque, entre les Départements de la défense et des finances à la suite du déclenchement des hostilités au Nord. Et son cheminement a suivi toutes les étapes prévues dans ce cadre.
· Pour contourner les difficultés liées à l’impossibilité légale pour la banque de financer du matériel létal, il a été convenu de loger sous la rubrique « frais d’approche » le cout des armements et munitions devant équiper la centaine de véhicules blindés et dont la vente a été autorisée par les structures françaises compétentes.
I. Le Gouvernement ayant décidé d’acquérir l’avion présidentiel sur le même schéma que les commandes spécifiques du MDAC (à la différence que celles-ci étaient adossées aux ressources budgétaires programmées et selon des paiements pluriannuels objet d’échange de lettres avec le Ministère de l’Economie et des Finances), avait envisagé dans un premier temps de procéder au paiement par le biais de la même banque accompagnant Guo-Star. D’où la garantie autonome de
100 milliards de FCFA émise alors que la convention du MDAC couvre un montant de 69 milliards.
· A l’évidence, l’on ne peut pas demander à Guo-Star, qui mobilise le financement, en supporte tous les frais y afférents, pour payer les fabricants à la livraison, de présenter les mêmes factures que ceux-ci alors que son propre règlement est étalé sur trois (3) ans dont un (1) an de différé.
I. Au jour d’aujourd’hui, toutes les commandes ont été livrées conformément à la programmation qui avait été établie. Il reste 14 blindés bastion dont la livraison a été planifiée pour le mois de décembre.
· Ces acquisitions contribuent à renforcer les capacités opérationnelles de nos forces et nos hommes bénéficient pour la première fois d’effets d’habillement et de couchage, en cours dans toutes les armées modernes, qui leur rendent leur identité et leur dignité.
· Certaines des critiques qui se sont exprimées ne peuvent pas nous opposer l’exemple d’une seule armée, à fortiori en guerre, qui organise de la publicité sur ses acquisitions. Et quand on sait que nombre de nos partenaires ne souhaitent pas en réalité que nous ayons une armée forte, il est à craindre que la médiatisation orchestrée autour de ces dossiers, sur lesquels l’Etat n’a occulté aucune information dans le cadre de ses relations avec les institutions et sur lesquels il a d’ailleurs assuré être prêt à suivre les différentes recommandations, ne vise au fond à inhiber notre autonomie de décision et nous faire passer désormais sous des fourches caudines à propos d’une question fondamentale de souveraineté. »

Conclusion

En attendant la publication du rapport définitif du Vérificateur Général, sur la base des informations disponibles, il faut noter des différences d’approche et de résultats entre les deux structures, la Cour Suprême et le Vérificateur Général, mandatées par le Chef de Gouvernement malien pour procéder à l’audit de conformité et de régularité de l’aéronef présidentiel et de certains marchés d’équipements et matériels militaires.

S’agissant de la légalité de l’engagement des dépenses incriminées

- Le Rapport de la Cour Suprême constate, sans le contester, que les marchés sus visés ont été conclus sous l’empire de l’article 8 du décret n° 08-485/P-RM du 11 août 2008 portant code de marchés publics (CMP) au Mali. Toutefois, le rapport note que « le décret reste muet sur la conduite à tenir et aucune étude n’a été réalisée pour combler ce vide juridique »
- Or, il semble à en croire le « droit de réponse » de l’ancien ministre, que le Vérificateur Général ait une autre approche des faits quand il lui est attribué dans son rapport provisoire : « Le vide juridique ne peut aucunement constituer une source législative ou réglementaire. Tout recours aux dispositions de l’article 8, en l’absence de dispositions spécifiques est illégal…le recours à l’article 8 du CMP ne déroge pas à l’application des autres dispositions régissant les Finances Publiques […]à l’analyse, l’équipe de vérification retient que les termes de l’article 8, constituent une disposition qui indique des marchés qui, bien que remplissant les conditions juridiques de définition d’un marché public, sont exclus du champ d’application du CMP ; exclusions légalement justifiées par la spécificité des domaines et des situations concernées. L’exigence de secret qui justifie cette exclusion concerne uniquement la protection du secret ainsi que des informations ou des intérêts relatifs à la défense nationale, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat… […] en l’absence de textes législatifs et/réglementaire complétant les exclusions de l’article 8 du CMP par des dispositions spécifiques qui citent et traitent des contrats de marchés de la défense et sécurité nationales exigeant le secret, l’équipe de vérification est en droit de construire et fonder ses travaux sur la base des dispositions du CMP »
- Or, s’agissant du fameux article 8, ses insuffisances ont été constatées par le Gouvernement du Mali qui, avec l’assistance des équipes techniques du FMI, a procédé à sa révision. Une question de bon sens : Cette nouvelle disposition (article 8 nouveau) s’applique-t-elle avec effet rétroactif sur les contrats incriminés ?
Il faut aussi rappeler que la Cour Suprême, institution de la République et la plus haute juridiction au Mali, dans son rapport définitif d’audit de conformité et de régularité du 15/09/2014 sur les contrats querellés, a conclu ainsi son rapport:
« Les opérations d’acquisition de l’aéronef, des équipements et matériels militaires :
- sur le plan de la légalité, sont sous-tendues par des textes en vigueur en République du Mali ;
- Cependant, sur le plan réglementaire, les dispositions de certains textes sont violés à savoir l : les paiements sans ou avant ordonnancement, l’emprunt et le visa du Contrôle financier
D’une manière générale, note le rapport de la Cour Suprême, la mission a constaté que certains régissant les finances publiques souffrent de l’existence d’un vide juridique, à savoir :
- L’absence d’orientation sur les textes complémentaires à prendre ;
- L’absence de prise ou de prise avec beaucoup de retard des textes d’application assortis des lois et décrets. »

S’agissant de la surfacturation de 29 milliards

- Toujours à en croire le « droit de réponse » de l’ancien ministre de la défense et des anciens combattants, le rapport provisoire du Vérificateur Général mentionnerait une surfacturation de FCFA 29 311 069 068. Ce que l’ancien ministre conteste.
- Comme indiqué dans mon précédent article, la Cour Suprême ne fait cas nulle part dans son rapport définitif de surfacturation, encore moins de fraude ou de détournement. Avec cette réserve de précaution, et en tant que la plus haute juridiction du pays, la Cour Suprême s’est-elle volontairement abstenue de qualifier les faits, laissant le soin aux juridictions compétentes de le faire suivant les règles de droit ?

A l’évidence, un long feuilleton juridico-politico-médiatique, à l’allure d’un sprint, est entrain de s’engager au Mali sur les marchés incriminés dont personne ne peut présager ni de l’endurance des acteurs, ni de la patience des spectateurs, ni de l’issue finale de la course. Et le danger ? C’est de transformer les colonnes de la presse en prétoire. Mon père, magistrat de classe exceptionnelle qu’il fût, aimait me dire : « Va doucement, je suis pressé ! ». Les sages africains acquiescent : « La vitesse ne supprime jamais la distance à parcourir ».

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