lundi 27 octobre 2014

Alerte au Burkina: le médiateur a besoin d'un médiateur!

(Publié par Le Huffington Post le 27/10/2014) 

Décidément, les crises en Afrique ne finissent jamais. A la vie comme à la mort. Des urnes à la machette. Elles arrivent toujours à enfanter d'autres plus stupides et désopilantes. Et la région ouest-africaine, version UEMOA, s'offre au continent africain et au reste du monde, comme un laboratoire à ciel ouvert de la mauvaise gouvernance. A nouveau, les feux des projecteurs médiatiques se braquent sur cet espace, grand comme six fois la France. Et ce n'est point la maladie à virus Ebola qui a l'exclusivité de la psychose, c'est le pouvoir à accès constitutionnel qui « abole » la classe politique et tient en « basse estime » le peuple. Après la Côte d'Ivoire, le Mali, la Guinée-Bissau, est-ce le tour du Burkina Faso de se faire inviter à la table des crises ouest-africaines ?

Le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, Médiateur désigné et reconnu dans plusieurs conflits de la sous-région, fait face à une vraie crise politique interne depuis le début de l'année. En cause, son souhait de se représenter à sa propre succession, en contradiction des dispositions actuelles de la Constitution de son pays qui limitent à deux le nombre de mandats présidentiels. Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 1987 (27 ans !), veut briguer un troisième mandat. Pour les partisans du président, la révision de la Loi Fondamentale par voie référendaire est légale, souhaitable et même nécessaire pour permettre à leur candidat de se présenter aux élections présidentielles de 2015. Les opposants politiques crient au « coup d'Etat constitutionnel » et appellent la population burkinabè à la désobéissance civile permanente jusqu'au « retrait immédiat et sans condition » de cette initiative.

Ce qui est inquiétant dans le cas burkinabè c'est qu'on l'a vu venir et on a rien fait pour l'empêcher. Qui n'a pas senti, ces derniers mois, l'amoncellement de l'orage politique burkinabè ? Les intentions plus ou moins affirmées du président burkinabè dans les médias devraient éveiller les soupçons. Au moins deux actes posés par le dirigeant burkinabè étaient annonciateurs des soubresauts actuels :
  • Acte 1 : A la veille des funérailles de Nelson Mandela, le président burkinabè était l'invité de l'émission « Internationales » le 8 décembre 2013 sur RFI, TV5Monde et Le Monde. Interrogé sur sa succession, Blaise Compaoré n'a pas fait mystère - certes avec des mots choisis - de sa candidature éventuelle en 2015. Ses opposants qui s'étaient procurés, fort longtemps, le « décodeur politique » avaient décrypté son message et ne se sont fait pas fait prier pour manifester leur inquiétude et leur colère.
  • Acte 2 : Le président américain a déclaré à Accra que l'Afrique n'avait pas besoin d'hommes forts mais d'institutions fortes, en manifestant une réelle répulsion pour ses homologues africains qui s'adonneraient à la révision constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir. Barack Obama a remis le couvert, lors du sommet USA Afrique de Washington, en déclarant : « Lorsque des dirigeants s'éternisent au pouvoir, ils empêchent du sang nouveau de s'exprimer, ils empêchent le renouvellement et le risque c'est qu'à la longue, les gens œuvrent plus pour durer que pour le bien de leur peuple ». A cette mise en garde, la réaction du président burkinabè ne s'est pas fait attendre. Elle a été sans équivoque au micro de la radio française, RFI, le 7 août 2014 : « Barack Obama nous parle de l'histoire de l'Amérique. Nous, nous avons notre histoire du Burkina. L'histoire de chaque pays africain, c'est différent. Il n'y a pas d'institution forte s'il n'y a pas, bien sûr, d'homme fort ».
  • Acte 3 : Récemment, dans une interview à BBC et à Africa N°1 le 23 octobre dernier, le président burkinabè a confirmé sa position : « Vous ne verrez pas le Burkina aller se mêler de comment on organise la vie politique en France, aux USA. Ce que nous souhaitons, c'est la liberté d'organiser la vie politique de notre pays. On ne va pas se mêler des lois américaines, françaises et autres, nous Africains. Je comprends difficilement qu'on soit toujours prompt à nous dire où il faut aller, où il ne faut pas aller, qu'est-ce qu'il faut faire ». Dont acte ! Les sages africains conseillent de ne jamais mordre la main qui nourrit.
Pourquoi les autres dirigeants de la sous-région, l'UEMOA, la CEDEAO et l'Union Africaine restent-ils silencieux face à une situation potentiellement explosive au Burkina Faso ? Et la communauté internationale et son « organisation faîtière » l'ONU aussi habituée à envoyer des représentants et envoyés spéciaux aussi onéreux qu'inefficaces ? Ou bien on attend que tout s'embrase avant de réagir en mettant en place des « missions onusiennes » d'interposition ? Il nous revient que la reine Mathilde de Belgique, dans le cadre de ses activités pour l'Unicef, a reporté sine die son déplacement prévu en novembre prochain au Burkina Faso. Le ministère belge des Affaires étrangères vient d'émettre un nouvel avis en appelant ses ressortissants résidant ou visitant le Burkina Faso à « éviter les manifestations et rassemblements, de suivre la couverture médiatique et de s'informer sur les développements actuels ».

La psychose est nettement moins grave que cette forme de déni dans laquelle les pays limitrophes et lointains du Burkina Faso s'installent.

Après la Côte d'Ivoire, le Mali, la Guinée-Bissau, est-ce le tour du Burkina Faso de se faire inviter à la table des crises ? Et le paradoxe n'est pas dans la question. Le président burkinabè, désigné par ses pairs et adoubé par la communauté internationale comme Médiateur de la sous-région, a aujourd'hui, réellement et urgemment, besoin d'un médiateur pour ne pas entacher sa réputation, la crédibilité des institutions de la sous-région et éviter de faire sombrer son pays, le Burkina Faso et la sous-région, l'UEMOA dans une nouvelle spirale de violences.

Au-delà du juridisme autour de la révision de la Constitution, quel enjeu pour le président burkinabè après plus d'un quart de siècle au pouvoir ? Et quel coût politique, social, financier, sécuritaire et immatériel pour le Burkina Faso et la sous-région ?

Le scénario « Tandia » au Niger pointe-t-il à l'horizon ? Pourtant, les conseils du président burkinabè à ses anciens pairs qui tentaient de torpiller et de tripatouiller les lois de leur pays ont toujours été prémonitoires. Il semble qu'il avait déconseillé à Mamadou Tandia de passer en force pour se maintenir au pouvoir. L'ex-président nigérien ne l'a pas écouté. La suite est connue. Blaise Compaoré avait aussi conseillé son homologue ivoirien de l'époque, Laurent Gbagbo, de se retirer dans la paix. L'ex-chef d'Etat ivoirien n'en a eu cure. Il est aujourd'hui derrière les barreaux à la CPI. Et on peut poursuivre les prophéties du président burkinabè qui se sont avérées vraies. Diantre ! Comment celui qui est capable de lire dans une boule de cristal, de conseiller ses homologues à éviter tout entêtement pour se maintenir au pouvoir, fait exactement ce qu'il déconseillait ?

La réponse est aussi triviale que la question. Mais une précision s'impose avant de poursuivre. Sur le plan purement juridique, du point de vue du droit interne, il est difficile de reprocher grand-chose au président burkinabè. Sous ce prisme, la démarche dans laquelle il s'inscrit est parfaitement légale. La révision de la Constitution burkinabè, par voie législative et par voie référendaire le cas échéant, est parfaitement autorisée. Mais la question n'est pas simplement juridique. Il y a l'éthique politique, ce que d'autres qualifient de morale, qu'on peut ramasser en une seule question. Comment un dirigeant qui a déjà passé 27 ans au pouvoir sans discontinuité peut-il justifier à son peuple, pour rester dans un chauvinisme primaire, qu'il a encore besoin de cinq ans pour terminer ses « projets » ?

Le bocal de miel

Pour les hommes politiques africains au pouvoir, de façon consciente et délibérée, la Constitution n'est pas immuable. Aucune des dispositions de la Loi fondamentale n'est imprescriptible même si c'est écrit sur l'airain. Pour caricaturer et faire simple, la constitution est une chemise qu'on peut changer à sa guise et même s'affranchir de porter ou de supporter. « C'est moi le Chef ! La constitution n'est forte que je suis fort ».

Derrière les manœuvres pour le moins maladroites de certains chefs d'Etat africains, parfois iniques et très souvent illégitimes, à se maintenir au pouvoir, il y a une autre réalité. Dans leur tréfonds et celui de leur entourage, l'alternance est souvent synonyme de tracasseries judiciaires : interpellation, arrestation, emprisonnement ou exil. Et il ne manque pas de référents. Cela est d'autant plus anxiogène pour eux lorsque le « successeur » n'est pas du camp présidentiel. En clair, s'il n'a pas été choisi dans la coterie.

Et le pire ? C'est l'arrivée au pouvoir de l'opposant qui a fulminé sa « vengeance » pendant de très longues années. Ou même de ce « Monsieur propre », pattes blanches en avant, qui veut nettoyer les écuries d'Augias. Dans ces cas, et à l'idée simplement d'y penser et de l'envisager, il n'y a pas d'autre posture qui vaille pour certains de nos dirigeants que celle de « dame Fourmi » : mourir dans le bocal de miel que d'en sortir. Et à y voir de près, la réalité n'est pas loin de cette allégorie : mieux vaut mourir au pouvoir illégalement ou être renversé par un coup d'Etat ou par un soulèvement populaire, que de céder le « fauteuil présidentiel » légalement en sortant par la « grande porte ». Et l'entourage joue un grand rôle, pour ne pas dire le principal rôle, dans cette obstination de nos dirigeants : des shows à la télévision publique sont organisés régulièrement avec une mise en scène autour du Prince du jour.

Quelques badauds sont mobilisés çà et là au passage du cortège présidentiel et le dirigeant, débout dans une limousine dont l'allure ne se prêtant guère à l'état des routes empruntées, s'offre un « bain de pouvoir » en saluant la foule des grands jours, la confondant du coup avec le peuple. « Vénéré Président, le peuple vous aime. Il vous adore. Il vous réclame jour et nuit. » Les banderoles et les affichettes en font foi. Certains thuriféraires n'hésitent pas à faire des montages télévisuels grossiers et grotesques. Sur le petit écran, on voit le « père de la nation » sortir des nuages et apparaître au peuple comme un messie. Au-delà de ces absurdités, autorisons-nous un peu d'arithmétique de bons sens : Comment peut-on confondre quelques centaines voire même quelques milliers de personnes amassées dans un stade (transportées, restaurées aux frais du Prince et en vérité du contribuable avec à la clé un perdiem symbolique pour chacun) et le peuple composé de plusieurs millions de personnes qui croulent sous la pauvreté dans l'indifférence totale ? On peut ne pas être féru des mathématiques et même avoir de l'aversion pour cette matière mais on ne peut pas s'affranchir d'un minimum de lucidité et de raison quand on aspire diriger ou rester à la tête d'un pays. Winston Churchill a raison : « L'un des problèmes de notre société aujourd'hui, c'est que les gens ne veulent pas être utiles, mais importants ».

Le miel sans le bocal

Pour éviter cet engrenage, il y a des évidences à partager. Il faut que nos chefs d'Etat comprennent qu'ils ont été portés au pouvoir par un mandat du peuple souverain. Et que le mandant est en droit d'attendre de son mandataire des comptes. Après, ils doivent se résoudre qu'il y a une autre vie après le pouvoir, celle d'un civil, d'un justiciable, presque comme tous les autres. Si cela est compris de nos gouvernants, cela doit se manifester dans les actes au quotidien qu'ils posent au nom et pour le compte du peuple. Cela s'appelle de l'exemplarité et de la responsabilité : servir et non se servir. Et, ils doivent tenir pour dit cet adage de bon sens : « Qui boit sans soif vomira sans effort ». Il faut juste avoir le courage de comprendre et de faire comprendre.

La vengeance, la revanche et les règlements de compte doivent être bannis de la conquête du pouvoir. C'est aussi un gage d'une alternance renouvelée, apaisée et efficace. Les élus du peuple doivent se rappeler sans cesse cette maxime d'Henri David Thoreau : « Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l'homme juste est aussi en prison ». Sinon ce sera un éternel recommencement : « Je ne cherche pas le pouvoir pour servir le peuple mais pour me venger des affronts de l'ancien dirigeant ». Nos pays ne sont la propriété (usus, fructus, abusus) ni de nos dirigeants, ni de leurs opposants encore moins de forces extérieures apparentes ou dissimulées. Nos pays appartiennent à leur peuple. Et « Marhaba bibouk ! » à tous ceux qui veulent commercer avec nous, sans pression ni misérabilisme, avec équité, dignité et respect.

En Afrique, il est temps - et même grand temps - que nous travaillons dans la durée. Dans tous les domaines, on enregistre de bons démarrages mais la finition laisse toujours à désirer. Autrement dit, on a des excellents athlètes marathoniens, les meilleurs du monde. Mais, malheureusement, on a des dirigeants sprinters, les moins endurants de la planète. Or, comme les sages africains le disent : « la vitesse n'a jamais réduit la distance à parcourir ».

Conclusion
 
Le Burkina Faso, l'un des rares pôles de stabilité dans la sous-région, est-il en train de basculer vers l'instabilité et emporter dans son sillage ce qui reste de paix et de sécurité dans la zone UEMOA ?

Même si le temps n'a pas la même allure pour tout le monde, faisons lui confiance. Il semble, d'après Euripide, qu'il révèle tout « c'est un grand bavard qui parle sans être interrogé ». Dans cette cavalcade burkinabè, où chacun parle pour sa paroisse, « attendre d'en savoir assez pour agir en toute lumière, c'est se condamner à l'inaction » prévient l'académicien français Jean Rostand. Le pouvoir est-il si mauvais conseiller ?

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