L’émergentier
Cheickna Bounajim Cissé, auteur de « FCFA - Face Cachée de la Finance
Africaine » (BoD, 2019), analyse les enjeux et les contours de la future
monnaie unique de la CEDEAO. (4e partie du dossier "Les échos de l'ECO")
(Financial Afrik a publié le dossier complet. A lire avec le lien suivant : https://www.financialafrik.com/2019/07/21/les-echos-de-leco/)
L’ogre
nigérian fait peur. Et il y a de quoi. A l’échelle africaine, ses mensurations
donnent le tournis. Avec 191 millions d’habitants, le Nigéria concentre plus de
la moitié de la population de la CEDEAO, soit 318 fois celle du Cap-Vert et 12
fois celle du Sénégal. Avec un PIB de 376 milliards de dollars US réalisé en
2017, le Nigéria pèse près de 70% de la richesse communautaire, soit 370 fois
le PIB de la Gambie et près de 10 fois celui de la Côte d’Ivoire. Il est la
première économie du continent africain et en est le pays le plus peuplé. En 2050,
il doublera sa population actuelle pour atteindre 410 millions d’habitants. A cette
date, il sera le troisième pays le plus peuplé au monde, derrière l’Inde et la
Chine. Lagos, sa capitale économique, est actuellement l’une des dix villes les
plus peuplées de la planète, avec près de 20 millions de personnes (soit plus
que la population malienne). Cette ville en comptera 32 millions en 2050.
Autrement dit,
les 191 millions de Nigérians produisent en moins d’un semestre (167 jours
exactement) ce que les 176 habitants qui peuplent les 14 autres Etats membres
de la CEDEAO produisent pendant toute une année ! De façon plus ludique,
pour ceux qui peinent à comprendre ou à admettre cette réalité, une
illustration est nécessaire.
En français
facile, comme le dirait l’autre, un ressortissant sur deux de l’espace CEDEAO
est Nigérian. Sur chaque 10 francs produits par la CEDEAO, le Nigéria contribue
à lui seul pour 7 francs contre 3 francs pour les 14 autres pays de la
communauté.
Voilà les
chiffres. Dans aucune union économique et monétaire dans le monde, il n’existe un
tel niveau d’écarts. Dans l’Union Européenne (UE), l’Allemagne ne pèse que 21%
du PIB consolidé européen. Même en additionnant la part de la France, le « couple
franco-allemand » ne représente que le tiers de la richesse communautaire.
Dans l’UEMOA, la Côte d’Ivoire qui est généralement présentée comme la
locomotive de la zone ne représente que 37% du PIB agrégé.
Dans ces
conditions, comment appliquer le principe généreux égalitaire qui prévaut dans
la zone UEMOA (1 Etat membre = 1 voix) ? Où placer le curseur de la « solidarité » et
de la « complémentarité » sans corrompre la réalité ? Le Nigéria
peut-il avoir la même voix, au tour de la table, que la Gambie si l’on sait que
le géant ouest-africain produit en moins d’une journée (23 heures exactement) l’équivalent
d’un an de production de la population gambienne ? Aussi, la voix du Cap-Vert
peut-elle valoir autant que celle du Nigéria, quand il faut à ce pays
insulaire, temple de la bonne gouvernance en Afrique, plus de deux siècles (212
ans) pour réaliser seulement une année de production du Nigéria ? Il y a
donc lieu de ne pas se cramponner aux vieilles formules qui peuvent ne pas
résister aux soubresauts du temps. Par contre, il faut être très généreux en
termes d’innovation et de flexibilité afin d’éviter à la future union monétaire
de recevoir une volée de bois vert à l’occasion de la prise des premières
décisions stratégiques (choix des dirigeants et du siège, conduite de la
politique monétaire, etc.)
Mais
tout n’est pas rose au Nigéria ! Le pays c’est aussi des inégalités de
répartition de revenus très accentuées. Avec un PIB par habitant de 1 968 dollars
par an, il se situe dans le bas de laine au classement mondial du PNUD. Cette extrême
pauvreté d’une bonne partie de la population nigériane serait à l’origine de la
montée des extrémismes chez les couches les plus défavorisées (terrorisme, banditisme,
migration clandestine, etc). La secte Boko Haram qui sévit dans le pays depuis 2002
est le « groupe le plus féroce du monde » selon le qualificatif du Centre
international d'études sur la radicalisation et la violence politique (ICSR). Semant
la terreur et la désolation sur son passage, il a des ramifications dans les
pays limitrophes du Lac Tchad et a prêté allégeance à la branche internationale
du terrorisme (l'État islamique). Selon les chiffres officiels[1] publiés en 2018, ce groupe
terroriste a tué pas moins de 33 000 Nigérians depuis 2009.
Relativement
à la position du Nigéria par rapport au projet monétaire de la CEDEAO, son président
Muhammadu Buhari a déclaré : « En tant que plus grande économie
d'Afrique et pays le plus peuplé, nous ne pouvons pas nous permettre de nous
précipiter dans de tels accords sans une consultation complète et appropriée
avec toutes les parties prenantes.[2] »
Cheickna Bounajim Cissé, l’émergentier
Économiste et essayiste, il est le Président
de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE (Centre
Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un MBA de
l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur d’un
Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme de
l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une Maîtrise
en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études
supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme
MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Il se
définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de
l’Afrique. Il est contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications,
dont « Les défis du Mali nouveau » (Amazon, 2013, 269 pages), « Construire
l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016, 736 pages), « FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine » (BoD,
2019, 452 pages).
[1] https://afrique.latribune.fr/politique/2018-02-07/nigeria-en-neuf-ans-les-exactions-et-crimes-de-boko-haram-ont-fait-des-milliers-de-morts-et-de-refugies-767477.html
[2]
https://www.bbc.com/afrique/region-48911056
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