L’émergentier
Cheickna Bounajim Cissé, auteur de « FCFA - Face Cachée de la Finance
Africaine » (BoD, 2019), analyse les enjeux et les contours de la future
monnaie unique de la CEDEAO. (1ère partie du dossier "Les échos de l'ECO")
(Financial Afrik a publié le dossier complet. A lire avec le lien suivant : https://www.financialafrik.com/2019/07/21/les-echos-de-leco/)
En optant pour le démarrage de la monnaie unique en 2020 assorti d’une
approche graduée, les dirigeants de la CEDEAO font courir le risque de faire
jouer les prolongations au franc CFA. Et en ces temps de foot, ce ne sera guère
surprenant. Ceux qui pensaient que l’annonce de la nouvelle monnaie unique de
la CEDEAO mettaient le franc CFA à la Saint-Glinglin, sont invités à la plus
grande prudence.
Paris est
en passe de réussir son pari, une énième fois : partir tout en restant. Même
si on imagine mal l’ogre nigérian accepter de s’aligner sur la ligne de départ en
2020 sans la rupture monétaire préalable des pays de l’UMOA avec la France. Il
susurre même dans les coulisses[1] qu’il aurait réclamé le « certificat
de divorce » avec le Trésor public français lors des négociations. Les communiqués
officiels n’en font pas mention. En creux, on devine aisément toute la bataille
qui promeut entre pro-FCFA et anti-CFA.
Entre la certitude d’une union monétaire
stable, solide, solidaire (ce que j’ai baptisé dans mon dernier livre les « 3
S »[2]) et l’aventure monétaire
que constitue l’ECO, les artisans et partisans du franc CFA ont vite fait de se
mettre à l’abri.
Aussi
surprenant que cela puisse paraître, le communiqué final[3] de la 21e session
ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union
Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) tenue le 12 juillet à Abidjan n’a
pas pipé mot du sort du franc CFA et de ses organes statutaires (BCEAO, BOAD). Il
est indiqué que les dirigeants de la sous-région ont donné mandat à leur homologue
ivoirien de « poursuivre le processus conduisant les pays de l’UEMOA à l’adoption
de la monnaie unique ». A seulement deux petites semaines de longueur de la
décision historique de la CEDEAO de se muer en une union monétaire et à quelques
six petits mois du lancement de la monnaie unique ECO, n’est-ce pas étonnant, presque
détonnant, de la part de l'UEMOA ? Poursuivons !
Le 9
juillet dernier, le président français Emmanuel Macron recevait en audience
son homologue ivoirien. A l'issue de leur entretien, le président Alassane Dramane
Ouattara annonce que « le franc CFA s’appellera l’ECO[4] ». Et, il ajoute que ce
changement de nom pourrait s’opérer dès 2020. A cette date, le président ivoirien
estime que les pays de l’UEMOA, « qui ont fait des efforts importants de
bonne gestion, de bonne gouvernance, de maîtrise des déficits, de maîtrise de
la dette[5] », respecteront les
critères de convergence de la CEDEAO. Et si les dirigeants de l’UEMOA en
conviennent, leurs pays pourraient adopter l’ECO dès 2020, comme monnaie
commune en remplacement du franc CFA. Les autres pays de la CEDEAO pourront s’y
joindre ultérieurement, conformément à l’approche graduelle convenue à Abuja. Lors
du point de presse qu’il a animé à l’issue du Sommet de l’UEMOA du 12 juillet, le
président Alassane Dramane Ouattara a donné d’autres précisions : « Si l'ECO
venait à être adoptée en 2020, il n'y aura pas de changement de parité entre le
franc CFA devenu ECO et l'Euro[6] ».
Dans le
clair-obscur actuel, de tels propos interrogent. D’abord, les huit pays de l’UEMOA
ont un PIB agrégé qui représente à peine 20% celui de la CEDEAO. Quelle
crédibilité accordée à l’ECO sans les mastodontes comme le Nigéria et le Ghana
qui pèsent, à eux deux, près de 80% de la production de l’espace ouest-africain ?
Ensuite, le communiqué d’Abuja du 29 juin 2019 indique clairement que la CEDEAO a adopté « le régime de change
flexible assorti d’un cadre de politique monétaire axé sur le ciblage de l’inflation
et le système fédéral pour la Banque Centrale Communautaire ». Subrepticement,
avec une dose subtile de sémantique enrobée dans un torrent de rhétorique,
l’ECO serait-il le succédané du franc CFA, presque le même en copier-coller ? La
Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) va-t-elle changer de nom
pour devenir la Banque Centrale de la CEDEAO (EcCB)
? Et la Zone franc ? Et les accords de coopération monétaire avec la France ?
Le serpent de mer africain va-t-il singer le Serpent monétaire européen ?
En
vérité, de quoi retourne cette reprise soudaine du projet monétaire de la
CEDEAO et de l’accélération inattendue de son calendrier si cela doit concerner
uniquement les pays de la zone UMOA et aboutir à un simple changement de nom du
franc CFA ? Est-ce une façon pour les cfiles de se défaire de l’étau
dans lequel ils étaient englués depuis quelques années du fait de la pression
des cfobes adoubés par une bonne partie de la population qui voit
dans le discours populiste un exutoire à leurs préoccupations ? Est-ce la mise
en œuvre des recommandations du Rapport Védrine[7] relatives
au changement de nom du franc CFA et à l’élargissement de la Zone franc aux
pays limitrophes anglophones ? A quoi rime ce tour de passe-passe ?
A
ce stade de l’analyse, laissons ces questions ouvertes et faisons fortune de la
sagesse de Euripide : « Le temps révèle tout : c'est un bavard qui
parle sans être interrogé ».
Comme le
dirait une bouche amère : Tout ça… pour ça ! Pour bien apprécier cette
exclamation, je vous invite à regarder le film éponyme, remarquablement scénarisé
par Claude Lelouch qui réussit à réaliser un tour extraordinaire digne des plus
grands magiciens. Il y fit tourner son ancienne compagne, son épouse de l’époque
et sa future épouse. Pour ceux qui ne sont pas très cinéphiles, ils pourraient
se consoler avec la bande originale du film et la magnifique interprétation de Philippe
Léotard. Fermons cette parenthèse et ayons à l’esprit ces propos de
bon sens : « Tout ce qu’un esprit humain est capable
de concevoir, un autre est capable de le comprendre. » Autrement,
tout ce qu’une personne alerte peut faire, d’ordinaire ou d’extraordinaire, une
autre, plus docte, est capable de le défaire, de le refaire et même de le
parfaire. Les sages bambaras ont leur formule : « La cachette des uns
est le dortoir des autres ».
A vrai
dire, si les monnaies avaient leur bestiaire, le franc CFA serait une « tortue
à la carapace en Teflon » (l'expression est empruntée à François Soudan).
De façon triviale, du côté de la lagune Ebrié, il aurait été comparé au chewing-gum
Tarzan, difficile de le détacher de la peau sans arracher une partie de la
chair. L’ancienne monnaie coloniale a réussi à traverser le temps, tout en faisant évoluer
son apparence. Ma mémoire n’a pas toujours été mon allié le plus fidèle,
mais je puis me souvenir d’un de mes professeurs d’université qui m’alertait en
ces termes : « Quand vous changez d’habit, vous ne changez pas ; vous
changez simplement la façon dont on vous regarde. »
Attention !
Naguère, le peuple ne voyait que ce que ses dirigeants voulaient bien lui montrer.
L’Africain du
XXIe siècle, « réfugié dans le combat pour la
survie » (l’expression est de Kofi Yamgnane), a changé. Ses esgourdes
ont tellement été travaillées par les gouvernants, à coups d’entourloupes, de
fausses vraies réalisations distillées à travers meetings, conférences,
sommets et autres forums, qu’il faut douter qu’elles puissent entendre le
barrissement de l’éléphant ou le grondement du tonnerre. Le jeune africain
n’a connu ni l’esclavage, ni la colonisation, ni les luttes d’indépendance, ni
le combat pour le multipartisme. Il est l’enfant de l’ère de la démocratie, de
l’information et des réseaux sociaux. Il a conscience de son extrême pauvreté,
de l’immense richesse de ses dirigeants et des énormes potentialités de son continent.
Sa patience a des limites. Un peu partout sur le continent, il a prouvé qu’il
savait se faire entendre quand on le fait trop attendre.
Dans cet univers
acoustique, on n’est pas à l’abri d’une poussée de fièvre dans la Zone
franc (pardon de la future Zone ECO). La figure messianique des cfobes, l’économiste
camerounais Joseph Tchundjang Pouemi, avait prévenu quant aux conséquences d’une inertie monétaire
: « Aujourd’hui, faute d’accorder aux questions monétaires l’attention
qu’elles méritent, l’Afrique inflige à ses enfants, et plus encore à ceux
qui ne sont pas encore nés, des souffrances tout à fait gratuites.[8] » Le regretté Johnny
Clegg, surnommé affectueusement "Le Zoulou blanc" aimait dire : « Les
autres peuples ont le droit d'évoluer, de connaître le progrès, mais les Africains
doivent être congelés dans le passé ![9] »
Cheickna Bounajim Cissé, l’émergentier
Économiste et essayiste, il est le Président
de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE (Centre
Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un MBA de
l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur d’un
Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme de
l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une Maîtrise
en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études
supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme
MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Il se
définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de
l’Afrique. Il est contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications,
dont « Les défis du Mali nouveau » (Amazon, 2013, 269 pages), « Construire
l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016, 736 pages), « FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine » (BoD,
2019, 452 pages).
[1] https://www.voaafrique.com/a/vu-de-france-prudence-et-circonspection-sur-une-monnaie-unique-ouest-africaine/4986764.html
[2] Cheickna
Bounajim Cissé, « FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine » ; Chapitre
5 : CFA, Confort Financier pour l’Afrique ? BoD, 2019, p. 283-354.
[3] https://www.bceao.int/sites/default/files/2019-07/communiquefinaleUEMOA.pdf
[4] https://www.jeuneafrique.com/801269/politique/monnaie-unique-de-la-cedeao-une-partie-des-pays-seront-prets-a-adopter-leco-en-2020-selon-alassane-ouattara/
[5] https://www.jeuneafrique.com/801269/politique/monnaie-unique-de-la-cedeao-une-partie-des-pays-seront-prets-a-adopter-leco-en-2020-selon-alassane-ouattara/
[6] https://apanews.net/fr/news/monnaie-il-ny-aura-pas-de-changement-de-parite-entre-leco-et-leuro-ouattara
[7]Hubert Védrine,
Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino et Hakim El Karoui,
Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions
pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France, ministère
de l’Économie et des Finances, décembre 2013, en ligne :
www.tresor.economie.gouv.fr/File/393414
[8] Joseph
Tchundjang Pouemi, Monnaie, servitude et
liberté. La répression monétaire de l’Afrique, Cameroun, op. cit.
[9] https://musique.rfi.fr/musique-africaine/20190717-johnny-clegg-mort-zoulou-blanc
Bonsoir professeur, j'ai lu le blog avec beaucoup d'attention et j'aimerai vous poser beaucoup de questions mais pour le moment j'aimerai savoir est-ce-que vous avez des liens avec l'economaître KAKO NUBUKPO du Togo,MARTIAL ZEBELINGA du Cameroun et du Pr THÉOPHILE OBENGA sur la question CFA et de l'émergence de l'Afrique.
RépondreSupprimerEnfin comment vous aider dans cette lutte qui nous concerne tous.
Bonjour, je vous remercie de l'attention que vous portez à mes écrits. Cela m'honore et me touche. Je n'ai pas de lien particulier avec les économistes que vous citez mais à travers nos écrits, nos esprits se côtoient et collaborent, pour le bien de l'Afrique. Continuez à vous mobiliser pour la cause de l'Afrique ! Bonne action !
RépondreSupprimer