L’émergentier
Cheickna Bounajim Cissé, auteur de « FCFA - Face Cachée de la Finance
Africaine » (BoD, 2019), analyse les enjeux et les contours de la future
monnaie unique de la CEDEAO. (3e partie du dossier "Les échos de l'ECO")
(Financial Afrik a publié le dossier complet. A lire avec le lien suivant : https://www.financialafrik.com/2019/07/21/les-echos-de-leco/)
La cinquante-cinquième session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, tenue le 29 juin 2019 à Abuja (Nigéria), a retenu le terme « ECO » pour le nom de la monnaie unique de la CEDEAO, tel que proposé par le Comité ministériel réuni dix jours plus tôt. Voilà en substance le communiqué officiel diffusé à l’issue de la rencontre de la plus haute instance de l’organisation ouest-africaine.
Nom et symbole de la monnaie unique de la
CEDEAO
Sur ce point, la réunion
a été informée que le Groupe de travail sur le nom et le symbole de la monnaie
unique de la CEDEAO a retenu trois noms pour la monnaie unique de la CEDEAO sur
un ensemble de treize (13) propositions soumises à son appréciation. Par ordre,
les noms proposés sont : 1) ECO, 2) AFRI et 3) KOLA.
Les choix de ses noms ont
été opérés sur la base des critères pondérés préalablement définis, à savoir :
i) Identité de la CEDEAO (40 %) ; (ii) Signification (25%) ; iii) Facilité de
prononciation (20%) ; et iv) Créativité (15%). De même, les symboles associés à
chacune des trois propositions de nom ont été présentés à la réunion.
A l’issue des échanges
sur cette question un consensus s’est dégagé sur la dénomination ‘’ECO’’ comme
monnaie unique de la CEDEAO. Toutefois, un accord n’a pu être trouvé pour le
symbole. A cet égard, il a été recommandé d’approfondir les réflexions sur le
symbole associé au nom ‘’ECO’’.
Mais
l’erreur serait d’en rester là. Ceux qui pensaient qu’avec un simple changement
de nom (tronquer « franc CFA » contre « ECO »), ils allaient
s’en tirer à si bon compte doivent réviser leur copie. Les oripeaux coloniaux
– l’expression est de l’économiste guinéen Facinet Sylla, ancien haut cadre
de l’Institut monétaire de l’Afrique de l’Ouest – ont la vie dure.
La future
monnaie avant même de se mouvoir a déjà un fil à la patte. Le terme « ECO »
a une ressemblance particulière avec ECU. Trois lettres : deux voyelles séparées
par une consonne. ECU (European Currency Unit) fut une trouvaille de
l'ancien président français Valéry Giscard d'Estaing. C’est les initiales de l’ancienne
unique de compte créée en 1979 par la Communauté Economique Européenne, avant l’avènement
de l’euro en décembre 1995. Mais pas seulement ! L’ECU, c’est aussi le nom
d’une ancienne monnaie française créée en 1263 par le roi Louis IX. Il dura jusqu'en
1878 où sa production fut arrêtée.
Source : Wikipédia
Ce petit rappel historique a de quoi faire éternuer les sentinelles de la forteresse de la Zone franc. Quelle est cette mesquinerie, pourrait-on me retorquer ? On connait la célèbre formule de Nietzsche : « Le diable est dans les détails ». Lors d’un déplacement à Ouagadougou en novembre 2017, le président français Emmanuel Macron, s’estimant non « nominaliste », disait ne pas comprendre la fixation sur l’acronyme « CFA ». Dans le même sillage, le gouverneur de la BCEAO déclarait un mois plus tôt sur les antennes de RFI que « l’acronyme n’a pas beaucoup d’importance.[1] » À sa suite, un de ses proches collaborateurs, le directeur de la Stabilité financière, ajoute que les Africains ne doivent pas « nourrir de complexe par rapport à l’héritage colonial » et que même « le français [la langue française] que nous parlons aujourd’hui est un héritage colonial.[2] » En un mot, que les enjeux des populations sont ailleurs. Et ce n’est pas totalement faux. C’est simplement une appréciation partielle des enjeux et une lecture déformée des attentes des usagers du franc CFA.
Ah bon !
Le nom n’est pas important ? De qui se moque-t-on ? Le projet
monétaire européen a failli capoter à cause d’une « simple question de nom ». A l’avènement de la monnaie unique en 1995, les Allemands ont refusé le nom « ECU »,
malgré l’insistance de la France, pour la simple raison que ce terme a une
proximité homophonique dans leur langue avec « vache ». Le 15
décembre 1995, lors du Conseil européen de Madrid, le chancelier Helmut Kohl prévenait
ses homologues : « L'opinion allemande ne peut pas accepter le nom d'écu.
Ce mot est trop proche de "die Kuh", la vache[3]». Et il n’a pas tort. Imaginez
un instant, un Allemand se rendant chez son boucher en lui demandant le prix de
1 kg de bœuf. Et que celui-ci lui réponde : "2 vaches" (traduction
de "2 ECU"). Pour un pays qui promeut l'égalité des sexes, c'est gênant
non ?
Plus
sérieusement, voilà comment le nom « Euro » fut adopté. Pas si
facilement. D’ailleurs les Grecs n’en voulaient pas, puisque "euro"
et "oura" (en français : "l'urine") sont proches. Ils le
firent remarquer aux Allemands : « Chez vous, "écu" veut peut-être
dire "vache", mais chez nous, c'est pire.[4]» Finalement, ils se consolèrent
d’une inscription du nom "Euro" en alphabet grec sur les billets.
Mieux,
selon les confidences rapportées par le journal français Libération, la
bataille de nom fut jusqu’au moindre détail sur le Vieux continent : « Dès
le lendemain du Conseil européen de Maastricht des 9 et 10 décembre 1991, le
gouvernement allemand s'est violemment battu pour que le nom de la future
monnaie unique soit orthographié « ECU » et non « écu » comme le voulaient les
Français.[5] »
C’est
dire que les perspectives de la future monnaie ECO risquent d’être orageuses. Les
populations africaines exigent des « signes de rupture politique[6] », pour emprunter à
l’analyste Gilles Yabi. Les jeunes africains refusent, catégoriquement (et
le mot est faible), de s’identifier aux symboles du passé colonial ou
esclavagiste de leur continent. Ils ne veulent plus souffrir comme leurs aînés
et leurs lointains devanciers. Ils manifestent une hostilité farouche aux
ingérences étrangères et à tout ce qui touche de près ou de loin au
corset monétaire.
« AFRI », parmi les nombreuses
propositions reçues, n’aurait-il pas été mieux indiqué que ECO, ne serait-ce qu’en
se plaçant dans une perspective temporelle ? D’autant que la BAD[7] estime que l’aboutissement
de la coopération monétaire au sein de l’espace CEDEAO peut servir d’accélérateur
au processus d’intégration monétaire de l’Afrique, inscrit dans l’acte
constitutif de l’Union africaine de 1963 et formalisé dans le Traité d’Abuja de
juin 1991.
[1]
L’entretien du gouverneur Tiémoko Meyliet Koné dans l’émission « Le
débat africain » de Radio France Internationale, 1er octobre 2017,
« Rester ou sortir du franc CFA ? » par Alain Foka ; vidéo
en ligne : www.youtube.com/watch?v=RIIkLrvbAIM
[2] Émission
diffusée le 1er octobre 2017 sur RFI, par Alain Foka.
Participants : Habib Thiam, directeur de la Stabilité financière de la
BCEAO ; Dr. Ndongo Samba Sylla, économiste de la Fondation Rosa-Luxembourg
et co-auteur de Sortir l’Afrique de la
servitude monétaire ; Gilles Yabi, analyste politique, fondateur du
Wathi, « think tank citoyen » pour l’Afrique de l’Ouest ;
Ismaïla Dem, directeur général de l’Économie et de la monnaie de la BCEAO ;
vidéo en ligne : www.youtube.com/watch?v=YjSgmdnTXZU
[3] https://www.liberation.fr/futurs/1998/04/27/histoire-intime-de-la-monnaie-unique-a-4-jours-du-sommet-de-lancement-ecu-un-nom-trop-vache-pour-koh_234117
[4] https://www.liberation.fr/futurs/1998/04/27/histoire-intime-de-la-monnaie-unique-a-4-jours-du-sommet-de-lancement-ecu-un-nom-trop-vache-pour-koh_234117
[5] https://www.liberation.fr/futurs/1998/04/27/histoire-intime-de-la-monnaie-unique-a-4-jours-du-sommet-de-lancement-ecu-un-nom-trop-vache-pour-koh_234117
[6] Vidéo en
ligne : www.youtube.com/watch?v=YjSgmdnTXZU
[7] https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/AEB_Vol_7_Issue_1_2016_POURQUOI_ET_QUAND_INSTAURER_UNE_MONNAIE_UNIQUE_DANS_LA_CEDEAO.pdf
Cheickna Bounajim Cissé, l’émergentier
Économiste et essayiste, il est le Président
de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE (Centre
Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un MBA de
l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur d’un
Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme de
l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une Maîtrise
en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études
supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme
MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Il se
définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de
l’Afrique. Il est contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications,
dont « Les défis du Mali nouveau » (Amazon, 2013, 269 pages), « Construire
l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016, 736 pages), « FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine » (BoD,
2019, 452 pages).
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