lundi 27 octobre 2014

MALI-FMI : Le «droit de réponse» de Soumeylou Boubèye Maïga

(Publié par Financial Afrik le 18 octobre 2014)

Selon les informations de presse (source : Malijet), l’ancien ministre de la Défense et des Anciens combattants du Mali aurait rédigé, à l’adresse du Vérificateur Général, un rapport intitulé : Observations de Soumeylou Boubèye Maïga sur le Rapport Provisoire du Bureau du Vérificateur Général (BVG) relatif à la vérification de conformité et de performance de l’acquisition d’un aéronef et fournitures aux Forces Armées Maliennes de matériels d’habillement, de couchage, de campement et d’alimentation (HCCA), ainsi que de véhicules et de pièces de rechange. Ce document est disponible sur le site Malijet.

Avant de le commenter, prescrivons-nous deux observations principielles :

- Le rapport définitif du Vérificateur Général n’a pas encore été publié, conformément aux engagements du Gouvernement du Mali. Même si la presse malienne s’est fait largement échos de certaines parties présumées du rapport provisoire du Vérificateur Général, ce document doit être sous le sceau de la confidentialité en raison du « respect du principe du contradictoire » jusqu’à sa version définitive. En effet, la loi n° 2012-009 du 08 février 2012, abrogeant et remplaçant la loi n°03-30 du 25 aout 2003 instituant le Vérificateur Général dispose en son article 13 : « Dans l’exercice de leur mission, le Vérificateur Général, le Vérificateur Général Adjoint et les Vérificateurs sont tenus au respect du principe du contradictoire. Ils doivent communiquer aux agents et aux responsables des structures contrôlées les résultats de leurs investigations et leur impartir un délai d’un mois au moins pour requérir leurs réponses, par écrit avant la rédaction du rapport définitif de vérification. Ils doivent obligatoirement joindre au rapport les réponses des structures contrôlées. Ces réponses doivent être concises et s’inscrire dans les limites des résultats communiqués. »

- Parallélisme de forme oblige, la réponse du responsable de l’une des structures contrôlées, en l’occurrence du ministre de la Défense et des Anciens combattants au moment des faits, devrait aussi rester sous le sceau de la confidentialité.

Sous ces réserves, le « droit de réponse » de l’ancien ministre de la Défense et des Anciens combattants appelle de notre part les commentaires suivants :

1- La légalité de la vérification

Selon l’ancien ministre, les marchés ont été passés en application de l’article 8 du Code des marchés Publics. En effet, l’article 8 du Décret n °08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service du Code des Marchés Publics dispose « le présent décret ne s’applique pas aux marchés de travaux, de fournitures et de services, lorsqu’ils concernent les besoins de défense et de sécurité nationales exigeant le secret et pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’Etat est incompatible avec des mesures de publicité». Cette disposition est une reprise de l’article 9 de la Directive n° 04/2005/CM/UEMOA du 09 décembre 2005 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marches publics et des délégations de service public dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine qui dit que : « La présente Directive ne s’applique pas aux marchés de travaux, de fournitures et de services, lorsqu’ils concernent des besoins de défense et de sécurité nationales exigeant le secret ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’Etat est incompatible avec des mesures de publicité».

La définition du Secret-Défense au Mali ressort de l’article 36 de la Loi n°01-079 du 20 aout 2001 portant du Code Pénal qui dispose que : «Seront réputés secrets de la défense nationale pour l’application du présent Code : […] Les objets, matériels, écrits, dessins, plans, cartes, photographies ou autres reproductions, et tous autres documents quelconques qui, par leur nature, ne doivent être connus que des personnes qualifiées pour les manier ou les détenir, et doivent être tenus secrets à l’égard de toute autre personne, pouvant conduire à la découverte de renseignements appartenant à l’une des catégories visées à l’alinéa précédent ; […] »
Selon l’ancien ministre, la Loi n° 2012-009 du 08 février 2012 instituant le Vérificateur Général lui oppose le «secret-défense» dans le cadre de ses missions quand il dit à son article 15 que « Dans l’accomplissement de leur mission, à l’exclusion du secret de défense, aucun secret professionnel ne peut être opposé aux vérificateurs… ».

Ainsi, poursuit l’ancien ministre, « une limite objective se trouve être posée aux missions du Vérificateur, les transactions effectuées sous le statut du secret-défense étant exclues de son champs d’investigations, en ce qu’il ne peut pas et ne doit pas avoir accès aux informations y ayant trait ». Il conclut que le Vérificateur Général « n’a pas l’attribution d’interpréter des dispositions législatives, surtout quand celles-ci sont « obscures » ou « imprécises ». Cette mission relève de la Chambre Consultative de la Section Administrative de la Cour Suprême. Cette violation de la Loi vicie et corrompt tout son rapport, lequel est fait par une structure qui n’en a pas la compétence légale. Or en droit, lorsque la compétence est violée, le fond ne peut être validé. C’est là une exception de taille. »

En résumé, pour l’ancien ministre, le Vérificateur Général, bien que mandaté par le premier ministre pour faire un audit de conformité et de régularité des contrats querellés, n’a pas compétence à investiguer dans ce domaine au double motif du secret –défense, à l’abri duquel les contrats incriminés ont été conclus et qui plus est se trouvent hors de son périmètre d’investigations défini par la loi l’instituant.

2- A propos de la surfacturation

Le rapport provisoire du Vérificateur Général indiquerait des surfacturations de FCFA 29 311 069 068.

Dans son droit de réponse, l’ancien ministre récuse sa méthode de détermination : « Il convient de préciser que le Protocole d’Accord a été signé avec le fournisseur et non avec les fabricants. En conséquence, il n’est pas logique de procéder à une comparaison entre les factures des Fabricants et celles du Fournisseur. Les prix usine et les prix livraison ne sont les mêmes nulle part et sur aucun produit, même si c’est le fabricant qui livre. A ce propos, il y avait lieu pour l’équipe de vérification de prendre en compte toute l’information disponible et de constater que les paiements en question ne sont pas effectués à vue, notamment parce que :
· Si le fabricant est réglé au comptant, le fournisseur quant à lui assume toutes les charges liées à la mobilisation immédiate des ressources nécessaires au paiement du fabricant.
· Le protocole prévoyait un paiement étalé sur trois ans. A charge pour le fournisseur de s’endetter à ses frais sur la durée de règlement.
· Le règlement du fournisseur devant être effectués sur TROIS (3) ANS dont UN (1) AN DE DIFFERE, il lui fallait intégrer à son prix de vente les frais financiers, les frais d’assurance et autres charges qu’il avait à supporter du fait des conditions de règlement conclues avec lui.
Le Vérificateur Général n’indique aucunement dans ses travaux, le RAPPROCHEMENT entre les factures, les bordereaux de prix unitaires, le montant inscrit au protocole ou les bons de commandes. De plus, le Vérificateur Général n’émet pas de preuves relatives à une circularisation des fournisseurs pour justifier qu’il s’agit réellement de surfacturation. Il n’est également fait aucune référence à un entretien avec le fournisseur pour expliquer ces écarts. Un écart peut, il est vrai, être constaté, mais il devait obligatoirement être l’objet d’investigations sérieuses par le Vérificateur Général, avant de conclure à une éventuelle surfacturation. Cette façon d’accuser à tort démontre une défaillance notoire du respect par le Vérificateur Général de son obligation de moyens dans la mise en œuvre de ses investigations. » conclut l’ancien ministre.

3- Mises au point conclusives de l’ancien ministre

Nous reproduisons in extenso cette partie du « droit de réponse » attribué à l’ancien ministre de la défense et des anciens combattants :
« · Dans la mise en œuvre de ces contrats, il y a eu une information et un accord du Président de la République, Chef Suprême des Armées, à chaque étape.
· Le choix du conseiller du Gouvernement pour l’acquisition de l’avion, en la personne de Monsieur Gaffa Joli, a également été établi sur la base de l’accord préalable du Président de la République.
I. Le Président de la République, Chef Suprême des Armées, a donné mandat le 5 novembre 2013 à Monsieur Sidi Kagnassy, ainsi qu’à toutes les sociétés qu’il représente, pour faciliter l’acquisition des besoins des forces armées. C’est sur cette base qu’a été signée le 13 Novembre 2013 une convention entre le MDAC et la Société Guo-Star, au terme de laquelle celle-ci acceptait de procéder au règlement des fabricants après livraison et d’attendre deux (2) à trois (3) ans pour être payée par le MDAC à partir des ressources programmées dans le budget national.
La Convention avec Guo-Star a respecté le modèle adopté depuis 2012, sur instruction du Président de la République de l’époque, entre les Départements de la défense et des finances à la suite du déclenchement des hostilités au Nord. Et son cheminement a suivi toutes les étapes prévues dans ce cadre.
· Pour contourner les difficultés liées à l’impossibilité légale pour la banque de financer du matériel létal, il a été convenu de loger sous la rubrique « frais d’approche » le cout des armements et munitions devant équiper la centaine de véhicules blindés et dont la vente a été autorisée par les structures françaises compétentes.
I. Le Gouvernement ayant décidé d’acquérir l’avion présidentiel sur le même schéma que les commandes spécifiques du MDAC (à la différence que celles-ci étaient adossées aux ressources budgétaires programmées et selon des paiements pluriannuels objet d’échange de lettres avec le Ministère de l’Economie et des Finances), avait envisagé dans un premier temps de procéder au paiement par le biais de la même banque accompagnant Guo-Star. D’où la garantie autonome de
100 milliards de FCFA émise alors que la convention du MDAC couvre un montant de 69 milliards.
· A l’évidence, l’on ne peut pas demander à Guo-Star, qui mobilise le financement, en supporte tous les frais y afférents, pour payer les fabricants à la livraison, de présenter les mêmes factures que ceux-ci alors que son propre règlement est étalé sur trois (3) ans dont un (1) an de différé.
I. Au jour d’aujourd’hui, toutes les commandes ont été livrées conformément à la programmation qui avait été établie. Il reste 14 blindés bastion dont la livraison a été planifiée pour le mois de décembre.
· Ces acquisitions contribuent à renforcer les capacités opérationnelles de nos forces et nos hommes bénéficient pour la première fois d’effets d’habillement et de couchage, en cours dans toutes les armées modernes, qui leur rendent leur identité et leur dignité.
· Certaines des critiques qui se sont exprimées ne peuvent pas nous opposer l’exemple d’une seule armée, à fortiori en guerre, qui organise de la publicité sur ses acquisitions. Et quand on sait que nombre de nos partenaires ne souhaitent pas en réalité que nous ayons une armée forte, il est à craindre que la médiatisation orchestrée autour de ces dossiers, sur lesquels l’Etat n’a occulté aucune information dans le cadre de ses relations avec les institutions et sur lesquels il a d’ailleurs assuré être prêt à suivre les différentes recommandations, ne vise au fond à inhiber notre autonomie de décision et nous faire passer désormais sous des fourches caudines à propos d’une question fondamentale de souveraineté. »

Conclusion

En attendant la publication du rapport définitif du Vérificateur Général, sur la base des informations disponibles, il faut noter des différences d’approche et de résultats entre les deux structures, la Cour Suprême et le Vérificateur Général, mandatées par le Chef de Gouvernement malien pour procéder à l’audit de conformité et de régularité de l’aéronef présidentiel et de certains marchés d’équipements et matériels militaires.

S’agissant de la légalité de l’engagement des dépenses incriminées

- Le Rapport de la Cour Suprême constate, sans le contester, que les marchés sus visés ont été conclus sous l’empire de l’article 8 du décret n° 08-485/P-RM du 11 août 2008 portant code de marchés publics (CMP) au Mali. Toutefois, le rapport note que « le décret reste muet sur la conduite à tenir et aucune étude n’a été réalisée pour combler ce vide juridique »
- Or, il semble à en croire le « droit de réponse » de l’ancien ministre, que le Vérificateur Général ait une autre approche des faits quand il lui est attribué dans son rapport provisoire : « Le vide juridique ne peut aucunement constituer une source législative ou réglementaire. Tout recours aux dispositions de l’article 8, en l’absence de dispositions spécifiques est illégal…le recours à l’article 8 du CMP ne déroge pas à l’application des autres dispositions régissant les Finances Publiques […]à l’analyse, l’équipe de vérification retient que les termes de l’article 8, constituent une disposition qui indique des marchés qui, bien que remplissant les conditions juridiques de définition d’un marché public, sont exclus du champ d’application du CMP ; exclusions légalement justifiées par la spécificité des domaines et des situations concernées. L’exigence de secret qui justifie cette exclusion concerne uniquement la protection du secret ainsi que des informations ou des intérêts relatifs à la défense nationale, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat… […] en l’absence de textes législatifs et/réglementaire complétant les exclusions de l’article 8 du CMP par des dispositions spécifiques qui citent et traitent des contrats de marchés de la défense et sécurité nationales exigeant le secret, l’équipe de vérification est en droit de construire et fonder ses travaux sur la base des dispositions du CMP »
- Or, s’agissant du fameux article 8, ses insuffisances ont été constatées par le Gouvernement du Mali qui, avec l’assistance des équipes techniques du FMI, a procédé à sa révision. Une question de bon sens : Cette nouvelle disposition (article 8 nouveau) s’applique-t-elle avec effet rétroactif sur les contrats incriminés ?
Il faut aussi rappeler que la Cour Suprême, institution de la République et la plus haute juridiction au Mali, dans son rapport définitif d’audit de conformité et de régularité du 15/09/2014 sur les contrats querellés, a conclu ainsi son rapport:
« Les opérations d’acquisition de l’aéronef, des équipements et matériels militaires :
- sur le plan de la légalité, sont sous-tendues par des textes en vigueur en République du Mali ;
- Cependant, sur le plan réglementaire, les dispositions de certains textes sont violés à savoir l : les paiements sans ou avant ordonnancement, l’emprunt et le visa du Contrôle financier
D’une manière générale, note le rapport de la Cour Suprême, la mission a constaté que certains régissant les finances publiques souffrent de l’existence d’un vide juridique, à savoir :
- L’absence d’orientation sur les textes complémentaires à prendre ;
- L’absence de prise ou de prise avec beaucoup de retard des textes d’application assortis des lois et décrets. »

S’agissant de la surfacturation de 29 milliards

- Toujours à en croire le « droit de réponse » de l’ancien ministre de la défense et des anciens combattants, le rapport provisoire du Vérificateur Général mentionnerait une surfacturation de FCFA 29 311 069 068. Ce que l’ancien ministre conteste.
- Comme indiqué dans mon précédent article, la Cour Suprême ne fait cas nulle part dans son rapport définitif de surfacturation, encore moins de fraude ou de détournement. Avec cette réserve de précaution, et en tant que la plus haute juridiction du pays, la Cour Suprême s’est-elle volontairement abstenue de qualifier les faits, laissant le soin aux juridictions compétentes de le faire suivant les règles de droit ?

A l’évidence, un long feuilleton juridico-politico-médiatique, à l’allure d’un sprint, est entrain de s’engager au Mali sur les marchés incriminés dont personne ne peut présager ni de l’endurance des acteurs, ni de la patience des spectateurs, ni de l’issue finale de la course. Et le danger ? C’est de transformer les colonnes de la presse en prétoire. Mon père, magistrat de classe exceptionnelle qu’il fût, aimait me dire : « Va doucement, je suis pressé ! ». Les sages africains acquiescent : « La vitesse ne supprime jamais la distance à parcourir ».

Alerte au Burkina: le médiateur a besoin d'un médiateur!

(Publié par Le Huffington Post le 27/10/2014) 

Décidément, les crises en Afrique ne finissent jamais. A la vie comme à la mort. Des urnes à la machette. Elles arrivent toujours à enfanter d'autres plus stupides et désopilantes. Et la région ouest-africaine, version UEMOA, s'offre au continent africain et au reste du monde, comme un laboratoire à ciel ouvert de la mauvaise gouvernance. A nouveau, les feux des projecteurs médiatiques se braquent sur cet espace, grand comme six fois la France. Et ce n'est point la maladie à virus Ebola qui a l'exclusivité de la psychose, c'est le pouvoir à accès constitutionnel qui « abole » la classe politique et tient en « basse estime » le peuple. Après la Côte d'Ivoire, le Mali, la Guinée-Bissau, est-ce le tour du Burkina Faso de se faire inviter à la table des crises ouest-africaines ?

Le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, Médiateur désigné et reconnu dans plusieurs conflits de la sous-région, fait face à une vraie crise politique interne depuis le début de l'année. En cause, son souhait de se représenter à sa propre succession, en contradiction des dispositions actuelles de la Constitution de son pays qui limitent à deux le nombre de mandats présidentiels. Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 1987 (27 ans !), veut briguer un troisième mandat. Pour les partisans du président, la révision de la Loi Fondamentale par voie référendaire est légale, souhaitable et même nécessaire pour permettre à leur candidat de se présenter aux élections présidentielles de 2015. Les opposants politiques crient au « coup d'Etat constitutionnel » et appellent la population burkinabè à la désobéissance civile permanente jusqu'au « retrait immédiat et sans condition » de cette initiative.

Ce qui est inquiétant dans le cas burkinabè c'est qu'on l'a vu venir et on a rien fait pour l'empêcher. Qui n'a pas senti, ces derniers mois, l'amoncellement de l'orage politique burkinabè ? Les intentions plus ou moins affirmées du président burkinabè dans les médias devraient éveiller les soupçons. Au moins deux actes posés par le dirigeant burkinabè étaient annonciateurs des soubresauts actuels :
  • Acte 1 : A la veille des funérailles de Nelson Mandela, le président burkinabè était l'invité de l'émission « Internationales » le 8 décembre 2013 sur RFI, TV5Monde et Le Monde. Interrogé sur sa succession, Blaise Compaoré n'a pas fait mystère - certes avec des mots choisis - de sa candidature éventuelle en 2015. Ses opposants qui s'étaient procurés, fort longtemps, le « décodeur politique » avaient décrypté son message et ne se sont fait pas fait prier pour manifester leur inquiétude et leur colère.
  • Acte 2 : Le président américain a déclaré à Accra que l'Afrique n'avait pas besoin d'hommes forts mais d'institutions fortes, en manifestant une réelle répulsion pour ses homologues africains qui s'adonneraient à la révision constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir. Barack Obama a remis le couvert, lors du sommet USA Afrique de Washington, en déclarant : « Lorsque des dirigeants s'éternisent au pouvoir, ils empêchent du sang nouveau de s'exprimer, ils empêchent le renouvellement et le risque c'est qu'à la longue, les gens œuvrent plus pour durer que pour le bien de leur peuple ». A cette mise en garde, la réaction du président burkinabè ne s'est pas fait attendre. Elle a été sans équivoque au micro de la radio française, RFI, le 7 août 2014 : « Barack Obama nous parle de l'histoire de l'Amérique. Nous, nous avons notre histoire du Burkina. L'histoire de chaque pays africain, c'est différent. Il n'y a pas d'institution forte s'il n'y a pas, bien sûr, d'homme fort ».
  • Acte 3 : Récemment, dans une interview à BBC et à Africa N°1 le 23 octobre dernier, le président burkinabè a confirmé sa position : « Vous ne verrez pas le Burkina aller se mêler de comment on organise la vie politique en France, aux USA. Ce que nous souhaitons, c'est la liberté d'organiser la vie politique de notre pays. On ne va pas se mêler des lois américaines, françaises et autres, nous Africains. Je comprends difficilement qu'on soit toujours prompt à nous dire où il faut aller, où il ne faut pas aller, qu'est-ce qu'il faut faire ». Dont acte ! Les sages africains conseillent de ne jamais mordre la main qui nourrit.
Pourquoi les autres dirigeants de la sous-région, l'UEMOA, la CEDEAO et l'Union Africaine restent-ils silencieux face à une situation potentiellement explosive au Burkina Faso ? Et la communauté internationale et son « organisation faîtière » l'ONU aussi habituée à envoyer des représentants et envoyés spéciaux aussi onéreux qu'inefficaces ? Ou bien on attend que tout s'embrase avant de réagir en mettant en place des « missions onusiennes » d'interposition ? Il nous revient que la reine Mathilde de Belgique, dans le cadre de ses activités pour l'Unicef, a reporté sine die son déplacement prévu en novembre prochain au Burkina Faso. Le ministère belge des Affaires étrangères vient d'émettre un nouvel avis en appelant ses ressortissants résidant ou visitant le Burkina Faso à « éviter les manifestations et rassemblements, de suivre la couverture médiatique et de s'informer sur les développements actuels ».

La psychose est nettement moins grave que cette forme de déni dans laquelle les pays limitrophes et lointains du Burkina Faso s'installent.

Après la Côte d'Ivoire, le Mali, la Guinée-Bissau, est-ce le tour du Burkina Faso de se faire inviter à la table des crises ? Et le paradoxe n'est pas dans la question. Le président burkinabè, désigné par ses pairs et adoubé par la communauté internationale comme Médiateur de la sous-région, a aujourd'hui, réellement et urgemment, besoin d'un médiateur pour ne pas entacher sa réputation, la crédibilité des institutions de la sous-région et éviter de faire sombrer son pays, le Burkina Faso et la sous-région, l'UEMOA dans une nouvelle spirale de violences.

Au-delà du juridisme autour de la révision de la Constitution, quel enjeu pour le président burkinabè après plus d'un quart de siècle au pouvoir ? Et quel coût politique, social, financier, sécuritaire et immatériel pour le Burkina Faso et la sous-région ?

Le scénario « Tandia » au Niger pointe-t-il à l'horizon ? Pourtant, les conseils du président burkinabè à ses anciens pairs qui tentaient de torpiller et de tripatouiller les lois de leur pays ont toujours été prémonitoires. Il semble qu'il avait déconseillé à Mamadou Tandia de passer en force pour se maintenir au pouvoir. L'ex-président nigérien ne l'a pas écouté. La suite est connue. Blaise Compaoré avait aussi conseillé son homologue ivoirien de l'époque, Laurent Gbagbo, de se retirer dans la paix. L'ex-chef d'Etat ivoirien n'en a eu cure. Il est aujourd'hui derrière les barreaux à la CPI. Et on peut poursuivre les prophéties du président burkinabè qui se sont avérées vraies. Diantre ! Comment celui qui est capable de lire dans une boule de cristal, de conseiller ses homologues à éviter tout entêtement pour se maintenir au pouvoir, fait exactement ce qu'il déconseillait ?

La réponse est aussi triviale que la question. Mais une précision s'impose avant de poursuivre. Sur le plan purement juridique, du point de vue du droit interne, il est difficile de reprocher grand-chose au président burkinabè. Sous ce prisme, la démarche dans laquelle il s'inscrit est parfaitement légale. La révision de la Constitution burkinabè, par voie législative et par voie référendaire le cas échéant, est parfaitement autorisée. Mais la question n'est pas simplement juridique. Il y a l'éthique politique, ce que d'autres qualifient de morale, qu'on peut ramasser en une seule question. Comment un dirigeant qui a déjà passé 27 ans au pouvoir sans discontinuité peut-il justifier à son peuple, pour rester dans un chauvinisme primaire, qu'il a encore besoin de cinq ans pour terminer ses « projets » ?

Le bocal de miel

Pour les hommes politiques africains au pouvoir, de façon consciente et délibérée, la Constitution n'est pas immuable. Aucune des dispositions de la Loi fondamentale n'est imprescriptible même si c'est écrit sur l'airain. Pour caricaturer et faire simple, la constitution est une chemise qu'on peut changer à sa guise et même s'affranchir de porter ou de supporter. « C'est moi le Chef ! La constitution n'est forte que je suis fort ».

Derrière les manœuvres pour le moins maladroites de certains chefs d'Etat africains, parfois iniques et très souvent illégitimes, à se maintenir au pouvoir, il y a une autre réalité. Dans leur tréfonds et celui de leur entourage, l'alternance est souvent synonyme de tracasseries judiciaires : interpellation, arrestation, emprisonnement ou exil. Et il ne manque pas de référents. Cela est d'autant plus anxiogène pour eux lorsque le « successeur » n'est pas du camp présidentiel. En clair, s'il n'a pas été choisi dans la coterie.

Et le pire ? C'est l'arrivée au pouvoir de l'opposant qui a fulminé sa « vengeance » pendant de très longues années. Ou même de ce « Monsieur propre », pattes blanches en avant, qui veut nettoyer les écuries d'Augias. Dans ces cas, et à l'idée simplement d'y penser et de l'envisager, il n'y a pas d'autre posture qui vaille pour certains de nos dirigeants que celle de « dame Fourmi » : mourir dans le bocal de miel que d'en sortir. Et à y voir de près, la réalité n'est pas loin de cette allégorie : mieux vaut mourir au pouvoir illégalement ou être renversé par un coup d'Etat ou par un soulèvement populaire, que de céder le « fauteuil présidentiel » légalement en sortant par la « grande porte ». Et l'entourage joue un grand rôle, pour ne pas dire le principal rôle, dans cette obstination de nos dirigeants : des shows à la télévision publique sont organisés régulièrement avec une mise en scène autour du Prince du jour.

Quelques badauds sont mobilisés çà et là au passage du cortège présidentiel et le dirigeant, débout dans une limousine dont l'allure ne se prêtant guère à l'état des routes empruntées, s'offre un « bain de pouvoir » en saluant la foule des grands jours, la confondant du coup avec le peuple. « Vénéré Président, le peuple vous aime. Il vous adore. Il vous réclame jour et nuit. » Les banderoles et les affichettes en font foi. Certains thuriféraires n'hésitent pas à faire des montages télévisuels grossiers et grotesques. Sur le petit écran, on voit le « père de la nation » sortir des nuages et apparaître au peuple comme un messie. Au-delà de ces absurdités, autorisons-nous un peu d'arithmétique de bons sens : Comment peut-on confondre quelques centaines voire même quelques milliers de personnes amassées dans un stade (transportées, restaurées aux frais du Prince et en vérité du contribuable avec à la clé un perdiem symbolique pour chacun) et le peuple composé de plusieurs millions de personnes qui croulent sous la pauvreté dans l'indifférence totale ? On peut ne pas être féru des mathématiques et même avoir de l'aversion pour cette matière mais on ne peut pas s'affranchir d'un minimum de lucidité et de raison quand on aspire diriger ou rester à la tête d'un pays. Winston Churchill a raison : « L'un des problèmes de notre société aujourd'hui, c'est que les gens ne veulent pas être utiles, mais importants ».

Le miel sans le bocal

Pour éviter cet engrenage, il y a des évidences à partager. Il faut que nos chefs d'Etat comprennent qu'ils ont été portés au pouvoir par un mandat du peuple souverain. Et que le mandant est en droit d'attendre de son mandataire des comptes. Après, ils doivent se résoudre qu'il y a une autre vie après le pouvoir, celle d'un civil, d'un justiciable, presque comme tous les autres. Si cela est compris de nos gouvernants, cela doit se manifester dans les actes au quotidien qu'ils posent au nom et pour le compte du peuple. Cela s'appelle de l'exemplarité et de la responsabilité : servir et non se servir. Et, ils doivent tenir pour dit cet adage de bon sens : « Qui boit sans soif vomira sans effort ». Il faut juste avoir le courage de comprendre et de faire comprendre.

La vengeance, la revanche et les règlements de compte doivent être bannis de la conquête du pouvoir. C'est aussi un gage d'une alternance renouvelée, apaisée et efficace. Les élus du peuple doivent se rappeler sans cesse cette maxime d'Henri David Thoreau : « Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l'homme juste est aussi en prison ». Sinon ce sera un éternel recommencement : « Je ne cherche pas le pouvoir pour servir le peuple mais pour me venger des affronts de l'ancien dirigeant ». Nos pays ne sont la propriété (usus, fructus, abusus) ni de nos dirigeants, ni de leurs opposants encore moins de forces extérieures apparentes ou dissimulées. Nos pays appartiennent à leur peuple. Et « Marhaba bibouk ! » à tous ceux qui veulent commercer avec nous, sans pression ni misérabilisme, avec équité, dignité et respect.

En Afrique, il est temps - et même grand temps - que nous travaillons dans la durée. Dans tous les domaines, on enregistre de bons démarrages mais la finition laisse toujours à désirer. Autrement dit, on a des excellents athlètes marathoniens, les meilleurs du monde. Mais, malheureusement, on a des dirigeants sprinters, les moins endurants de la planète. Or, comme les sages africains le disent : « la vitesse n'a jamais réduit la distance à parcourir ».

Conclusion
 
Le Burkina Faso, l'un des rares pôles de stabilité dans la sous-région, est-il en train de basculer vers l'instabilité et emporter dans son sillage ce qui reste de paix et de sécurité dans la zone UEMOA ?

Même si le temps n'a pas la même allure pour tout le monde, faisons lui confiance. Il semble, d'après Euripide, qu'il révèle tout « c'est un grand bavard qui parle sans être interrogé ». Dans cette cavalcade burkinabè, où chacun parle pour sa paroisse, « attendre d'en savoir assez pour agir en toute lumière, c'est se condamner à l'inaction » prévient l'académicien français Jean Rostand. Le pouvoir est-il si mauvais conseiller ?

mardi 14 octobre 2014

Mali-FMI : le rapport d’audit de la Cour Suprême au crible



Une équipe technique du Fonds monétaire international (FMI) a séjourné du 12 au 25 septembre 2014 au Mali, dans le cadre de la deuxième revue 2014 du Programme triennal, avec en toile de fond, la vérification de l’acquisition de l’aéronef présidentiel et de certains marchés d’équipements et matériels militaires. En cause, plusieurs dépenses incriminées qui ont été engagées ou réglées en violation présumée des règles de bonne gouvernance. Les audits de ces différents marchés recommandés par le FMI, ont été diligentés par les Autorités maliennes. Les auditeurs commis ont pu enquêter sans être contrariés, semble-t-il, dans un domaine aussi sensible que la défense nationale. 

L’exercice était formel mais l’issue était prévisible. Les premières conclusions de ces investigations ont été sans appel. Par exemple, sur un seul contrat de fournitures militaires de FCFA 69 milliards, il y a eu une surfacturation de 29 milliards de francs CFA, d’autres sources avancent 38 milliards de FCFA ! Et cela en rajoute à la couche déjà caustique. La honte est totale. Le déshonneur est intégral. Le citoyen malien, mains sur la tête, bras tendus vers le ciel, larmes aux chevilles, estomac au talon, réclame justice ! La communauté internationale, toutes oreilles dressées et yeux riboulants, exige de la transparence, des coupables et des sanctions !

Les Autorités maliennes ont décidé de corriger et de sévir au besoin. Le rapport de la Cour Suprême a été publié. Une quinzaine de marchés incriminés ont été, partiellement ou totalement, annulés. Certains textes de loi ont été revisités. Tout doit se jouer avant décembre 2014, date de la réunion du conseil d’administration du FMI devant statuer sur les conclusions des première et deuxième revues de la Facilité élargie de crédit (FEC) du Mali. Et les enjeux vont bien au-delà de cette modeste ligne. A Bamako, la météo juridico-politico-financière n’autorise aucune éclaircie. Et l’orage gronde dans les chaumières. Le temps des feuilles mortes est annoncé.


Courage et responsabilité

Il faut saluer la presse malienne pour son rôle avant-gardiste, notamment le journal d’investigations Le Sphynx qui a bravé le silence et s’est affranchi de la peur pour porter sur la place publique l’acquisition, dans des conditions assez troubles, de l’aéronef présidentiel et de certains matériels et équipements militaires. Il faut aussi saluer l’opposition politique pour son insistance à mettre au grand jour ces faits présumés ou supposés de mauvaise gouvernance.
Il faut donc se féliciter, en définitive, de la bonne marche de la démocratie au Mali : une majorité qui gouverne et s’assume, une opposition qui critique et dénonce, une presse responsable et indépendante qui collecte l’information, la traite, la recoupe et en informe le public. Enfin, dans cet exercice démocratique et avec le recul, il faut simplement regretter quelques dérapages tannants et passions oiseuses, ainsi d’ailleurs que toutes ces remises en ordre inutiles et inefficaces. Pas moins que la partialité de l’émotion, les accusations excessives et les amalgames maladroits, dont on peut dès aujourd’hui en faire l’économie avec une dose raisonnable d’explication, d’ouverture et de responsabilité. En attendant, se poursuit le jeu de traque et d’esquive. 
Mais, l’essentiel est que le chemin du Mali nouveau soit déblayé. Et que la liberté d’expression puisse définitivement mettre fin au consensus stérile, inefficace et improductif. Il faut, enfin, souhaiter que les autres institutions de la République et les structures de contrôle jouent aussi pleinement leur rôle à l’animation du jeu démocratique et à l’affermissement de la bonne gouvernance, sans calcul personnel, sans faux-fuyant, dans le respect strict des lois de la République. Et le peuple malien, qui a trop souffert de la fragilité de ses institutions et de la corruption de certains de ses gouvernants, puisse mieux se porter. Est-il besoin de le rappeler ? Le Mali n’est le patrimoine de personne. Le Mali n’est et ne sera le champ de personne, d’aucun groupe social, politique, racial, géographique, économique, et que l’on peut défricher à son aise, semer, récolter et distribuer à tour de bras  à la coterie. Le Mali c’est d’abord pour le peuple malien, c’est aussi pour l’Afrique et l’Humanité.

Transparence 

Il faut recevoir la transparence des Autorités maliennes. Transparence tardive ou transparence imposée ? Qu’importe l’angle d’analyse ! Rares sont les pays en Afrique et même dans le reste du monde dont les autorités acceptent d’exposer leurs entrailles, « les linges sales » en public. Le rapport officiel, intégral, définitif de la Cour Suprême signé le 15/09/2014 a été mis en ligne, avec accès libre et sans restriction, sur le site de la primature (http://www.primature.gov.ml/).

Il faut aussi saluer la détermination du gouvernement de la République du Mali à faire toute la lumière sur ces affaires en collaborant avec diligence et efficacité avec les Missions d’audit pour la manifestation de la vérité.
Il faut louer le « travail de fourmi » abattu pendant trois mois par les Conseillers de la Cour Suprême (deux de la section des comptes et un de la section administrative), « en toute indépendance, sans aucune menace ni intimidation » selon leurs propos rapportés. Ils ont écumé tous les textes légaux, réglementaires et administratifs pour faire cet « audit de conformité et de régularité de l’acquisition de l’aéronef et des équipements et matériels militaires ». Le livrable, bien qu’il soit critiquable – qui peut d’ailleurs croire le contraire – semble être conforme à la mission confiée par le Premier ministre, par lettre confidentielle n° 357/PM-CAB du mois de juin 2014. Le commanditaire et les destinataires du rapport apprécieront mieux. Déjà, selon l’avis du chef de Mission du FMI : « Le Bureau du Vérificateur Général et la Cour Suprême ont fait un excellent travail ».

En incipit de mon analyse et de mes commentaires, je veux faire deux précisions :

-          Par principe, je suis opposé à toute idée de fragilisation des institutions de la République. Mes écrits et mes prises de position n’ont pas varié d’un iota sur ce point. Je trouve exaspérant, au surplus, j’en ai été indigné que depuis plusieurs mois le peuple malien ait été tenu et retenu en haleine par l’affaire d’un aéronef de seconde main acheté pour servir d’avion de commandement pour le chef de l’Etat. Et ainsi détourner les pauvres populations des priorités essentielles qui assaillent leur quotidien : la paix, la sécurité, le pouvoir d’achat, l’autosuffisance alimentaire, l’alphabétisation…
-          Maintenant que les documents confidentiels et sensibles relatifs à ces différentes acquisitions ont été déclassés et audités, les professionnels doivent se prononcer avec un objectif précis : rectifier et ajuster ce qui peut l’être, annuler ce qui est inutile et sans préjudice, sanctionner ceux qui se sont rendus coupables d’infractions et surtout faire en sorte que de telles affaires ne puissent plus se reproduire. Et pour la prescription, elle est presque universelle : réviser les textes formulés en des termes indument larges et revoir le casting (les hommes et les femmes qui sont sensés les exécuter, les contrôler et les suivre). C’est la raison principale de mon intervention sur ce dossier.

Les mécanismes d’alerte ?

Ces précisions faites, place à deux interrogations qui étreignent ma muse, ma plume et en définitive ma conscience.

Pourquoi avoir attendu que le Fonds monétaire international (FMI) ait décidé de geler ses décaissements au Mali, le temps de voir plus clair dans certains contrats publics, pour que le Gouvernement malien décide de faire mener des audits par ses propres structures de contrôle ?

Pourquoi certaines structures de contrôle dotées de pouvoirs étendus et disposant de moyens conséquents, malgré les révélations à profusion dans la presse, souvent avec force détails, relayées par l’opposition politique sur des irrégularités présumées dans la passation des contrats publics querellés, ne se sont pas autosaisies comme la loi malienne les y autorise?

Je veux être précis en prenant l’exemple de trois structures centrales du dispositif de contrôle des comptes publics au Mali : la Section des Comptes de la Cour Suprême, le Bureau du Vérificateur Général et le Contrôle Général des Services publics. 

-          La Cour Suprême : Les dispositions de l’article 82 de la loi n° 96-071 du 16 décembre 1996, portant loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour Suprême et la procédure suivie devant elle, « la Section des Comptes peut, à tout moment, exercer tout contrôle soit de sa propre initiative […] ». Pourquoi la Section des Comptes ne s’était-elle pas autosaisie pour enquêter sur ces affaires qui agitaient pendant de longs mois le microcosme politico-médiatique malien et qui pouvaient constituer des menaces réelles pour les finances publiques ? 

-          le Bureau du Vérificateur Général : La loi n° 2012-009 du 08 février 2012, abrogeant et remplaçant la loi n°03-30 du 25 aout 2003 instituant le Vérificateur Général, stipule en son article 14 : « Le Vérificateur Général peut se saisir d'office de toute question relevant de sa compétence. » Pourquoi le Vérificateur Général, en tant que autorité administrative indépendante (article 1er), ne pouvant recevoir d’instruction d’aucune autorité (article 11) et disposant de l’autonomie de gestion (article 21), n’a pas diligenté une mission d’audit pour « contrôler la régularité et la sincérité des dépenses effectuées », de  « vérifier les concours financiers accordés par l'Etat à tout organisme », etc. En somme de contrôler les faits incriminés, présumés graves, pouvant entacher les comptes publics de la nation ?

-          Le Contrôle Général des Services publics : L’Ordonnance n° 00-051 / PRM du 27 septembre 2000 portant création de Contrôle général des Services publics (CGSP), dispose en son article 2 au titre de ses missions que le CGSP « effectue, à la demande de l'autorité hiérarchique ou sur initiative propre après consultation de ladite autorité, toutes enquêtes ou missions particulières ». Article 5 : « Pour l'accomplissement de leurs missions, les membres du Contrôle Général des Services Publics disposent du pouvoir d'investigations le plus étendu et du droit de se faire communiquer tout document qu'ils jugent utile. » Article 4 : « Le secret professionnel ne peut leur être imposé ». Le CGSP a-t-il pris cette initiative ? Sa hiérarchie (le Premier ministre suivant Décret n° 2014-0289/PM-RM du 30 avril 2014 portant répartition des services publics entre la primature et les départements ministériels) a-t-elle été saisie d’une telle initiative ?

Soyons clair, il se peut que ces structures aient déjà usé de leurs prérogatives légales bien avant leur saisine par le Premier ministre et que cette information n’ait pas été portée au public. Leur réaction peut donc précéder mes questionnements.

De façon plus générale, pourquoi les mécanismes du « système d’alerte » n’ont pas marché ? Les structures de contre-pouvoir fonctionnent-elles efficacement au sein de nos administrations publiques ? Au-delà du pléthore de structures de contrôle, a priori et a posteriori, dont j’ai toujours proposé la rationalisation, pourquoi la « couronne » des chefs, composée de « fous du roi » et de « folles de la reine », de conseillers, de chargés de missions, d’attachés, de directeurs et de coordonnateurs (et j’en passe des meilleurs) n’a pas fonctionné ? Certains cadres ont-ils donné l’alerte ? Si oui, pourquoi n’ont-ils pas été écoutés et leurs légitimes inquiétudes prises en compte par leurs chefs ? 

En définitive, il est regrettable que tous ces errements qui mettent à pilori la gouvernance malienne soient sous l’effet d’un diktat extérieur.

La saison des feuilles mortes

Le président qui avait voulu faire de l’année 2014, l’année de lutte contre la corruption et du réarmement moral des forces de défense et de sécurité, accuse le coup en attendant de donner des coups. Il sévira, à coup sûr, et sévira de façon ferme et exemplaire. Et nul ne sera épargné, même pas son propre entourage s’il est avéré que certains ont mis la main dans le pot de confiture. 

Son premier ministre, dans une récente interview publiée le 07/10/2014 a donné le ton : « Pour les hauts fonctionnaires, une sanction administrative : ils seront démis de leur poste quel que soit leur rang, ministre compris le cas échéant. Pour les autres acteurs, une sanction juridique : nous transmettrons le dossier à la justice. Le parquet appréciera s’il y a lieu de poursuivre ou pas. Soyez assurés que ce sera fait. Nul n’est au-dessus des lois. » Peut-être vous me direz que c’est encore du « baga baga », traduisez du « bluff », du « slogan creux répété à satiété ». Non, cette fois-ci, je veux être convaincu que c’est du costaud. Il y va de la crédibilité du mandat que le peuple malien a confié au président de la République. Il a promis, dès les premières heures de son accession à la magistrature suprême, qu’il n’y aura « pas de partage de gâteau! », que ce sera « Le Mali d’abord ! ». Et son leitmotiv, plus qu’un slogan de campagne devrait être la marque de fabrique de sa gouvernance : « Pour l’honneur du Mali ! Pour le bonheur des Maliens ! » A l’heure des comptes, le décompte pourrait surprendre. A écouter et à lire les Maliens de l’intérieur comme de la diaspora, les mécomptes pleuvent comme des hallebardes, tant les attentes sont nombreuses, tant les actions durables se font attendre. Et le chef de l’Etat n’est qu’au début de son mandat quinquennal. Il faut du côté du peuple un peu de patience, de la critique constructive mais de l’engagement ferme et du côté des gouvernants, des hommes compétents et intègres, du rythme et de la cadence, des actes concrets et mesurables, de la justice et de la bonne gouvernance, de la cohérence et de la constance. Et pour mettre tout cela en musique, il faut la paix, la sécurité et la réconciliation. Et il y va du devenir du Mali : sombrer définitivement dans la magouille, la corruption et les arrangements entre petits amis ou se redresser et devenir la République exemplaire tant souhaitée par ses dirigeants, par les populations et la communauté internationale. Dans ces conditions, l’émergence économique quittera définitivement le stade de l’incantation et de la profession de foi pour se matérialiser concrètement sur le terrain.

Le coût réel de l’avion ?

C’est devenu un véritable serpent de mer. Le rapport de la cour Suprême ne met pas fin à la polémique sur le coût réel d’acquisition de l’avion. Par contre, il donne assez d’éléments pour y parvenir. Il faut rappeler qu’au cours des débats à l’Assemblée nationale sur sa Déclaration de politique générale (DPG) en mai 2014, le Premier ministre avait annoncé que l’avion a été acheté « aux meilleures conditions du marché » à FCFA 20 milliards (y compris les frais de transport, l’assurance, les intermédiaires, etc.), en respectant toutes les procédures. Bien avant, le Président de la République, semble-t-il, aurait avancé le prix de 17 milliards de FCFA, devant ses compatriotes, lors d’une de ses visites au Maroc. Du coup, le même avion s’est retrouvé avec plusieurs prix d’acquisition annoncés. Et la presse et l’opposition en ont fait les choux gras de cette dissonance. 


I-                   POINTS ESSENTIELS A RETENIR


1- Acquisition de l’avion présidentiel

- Le Rapport de la Cour Suprême constate que l’opération d’acquisition de l’aéronef a été faite sur la base d’un contrat de « gré à gré » alors qu’elle aurait pu être réalisée, selon les enquêteurs, sur la base d’une « consultation restreinte » avec l’assistance des services techniques spécialisés (Ministère en charge des Transports et l’Agence nationale de l’aviation civile). Les Conseillers de la Cour poursuivent que l’urgence ne pouvait être évoquée dans ce dossier.

- Le prix d’acquisition de l’aéronef arrêté par la Mission de la Cour Suprême s’élève à la somme totale de 19,033 milliards de FCFA. Il a été payé « cash » par le Trésor public malien en plusieurs tranches (entre le 15/01/2014 et le 1er août 2014).

- Pour la mobilisation de cette somme, le Ministre en charge des finances, ordonnateur principal du budget d’Etat, a eu recours à un emprunt à moyen terme (CMT) auprès d’une banque de la place à hauteur de FCFA 17 milliards (89% du coût de l’investissement) au taux de 8% sur une maturité de 5 ans (dont 1 an de différé). En sus de ce taux facial, la banque prêteuse a précompté FCFA 196 millions au titre de divers frais (commissions d’arrangement et de gestion, frais et accessoires). In fine, selon les compléments d’informations fournis à la télévision nationale par le Président de la section des comptes de la Cour Suprême, le coût réel de l’emprunt bancaire sera de 22 milliards de FCFA. 

- En tenant compte des intérêts du crédit et des frais liés à sa mise en place soit FCFA 5,196 milliards (se référer au tableau d’amortissement du prêt), le CMT de FCFA 17 milliards coûtera, in fine, FCFA 22,196 milliards à l’Etat malien.

- A ce stade d’information, suivant nos recoupements, le coût réel d’acquisition de l’avion présidentiel pour les comptes publics est de FCFA 24,196 milliards. Ce montant ne prend pas en compte les frais d’assurance et d’entretien éventuels que l’avion exposerait au cours de son exploitation normale.
- La Mission a noté que les paiements ont été faits sans s’assurer de la disponibilité des crédits budgétaires et de la validité de la créance (absence de certaines pièces justificatives nécessaires). Les paiements ont été faits en violation de plusieurs textes réglementaires qui exigent le visa du Contrôle Financier et, relativement à l’emprunt bancaire, l’avis du Comité national de la dette publique.

2- Achat d’équipements militaires

- Les Conseillers de la Cour suprême ont enquêté sur trois contrats de matériels et d’équipements militaires dont les fournisseurs sont : Guo Star sarl, Paramount Ltd et Société A.D. Trade Ltd. Les paiements sont sur deux ou trois exercices. En réponse au rapport provisoire de la Cour Suprême, le Ministre en charge des Finances a informé la Mission de l’annulation des contrats de Paramount Ltd et Société A.D. Trade Ltd.
- Le premier contrat, non visé par le Contrôle Financier, est toujours valide. Il porte sur un montant total de FCFA 69,184 milliards. Il s’étale sur 36 mois, à partir du 1er décembre 2013. Les paiements devaient se faire en deux tranches : 50% payable au 31 mai 2015 et 50% au 31 mai 2016 sur le Budget d’Etat. Le 30/12/2013 par courrier adressé au banquier de Guo Star, le Ministre de l’Economie et des Finances a donné une lettre de confort et a modifié le planning de paiement en s’engageant à payer 25% du marché soit FCFA 17,296 milliards sur l’exercice budgétaire 2014. Or, selon les termes du Protocole d’accord (art. 35), toute modification devrait faire l’objet d’un avenant. Pour la bonne fin de l’opération, l’Etat a accordé une garantie autonome de FCFA 100 milliards à la banque de Guo Star sans l’avis du Comité national de la dette publique et en violation du Code des Marchés publics (art. 19 à 23).

II- LES ZONES D’OMBRE DU RAPPORT

1- Acquisition de l’avion présidentiel

La mission de la Cour Suprême est restée silencieuse ou évasive sur certains points :

- L’opportunité et la justification de l’achat du nouvel aéronef 

Il y avait trois options. L’achat d’un nouvel aéronef, la poursuite de la location d’avions et l’utilisation de l’ancien avion présidentiel. Il appert que l’aéronef acheté par l’ancien président élu a été utilisé sous la Transition par le président par intérim. Le premier ministre actuel aurait affirmé devant les élus de la nation lors des débats sur la Déclaration de politique générale (DPG) que cet avion n’avait pas de documents officiels, qu’il ne répondait pas aux exigences du constructeur et que sa visite technique nécessitait 2 millions de dollars. En résumé, il aurait dit que l’avion ne présentait pas toutes les garanties de sécurité pour assurer les déplacements du nouveau président élu. Plusieurs voix contradictoires se sont levées pour apporter une version différente aux allégations du premier ministre. La Mission de la Cour Suprême sait-elle assurer du caractère inutilisable de l’ancien avion présidentiel ? Le chef du Gouvernement aurait justifié le choix d’un nouvel aéronef du fait que celui-ci peut être utilisé sans problème pendant dix-huit ans, alors que les 20 milliards F CFA utilisés pour son achat équivalent à quatre années de location. Pourquoi les auditeurs de la Cour Suprême n’ont pas opiné sur ce calcul d’opportunité ? Les enquêteurs disent juste que « L’acquisition de l’aéronef a été motivée par le coût élevé des contrats de location d’avion lors des déplacements du Président de la République ». Ces contrats étaient-ils réguliers, conformes aux lois et à la réglementation au Mali ? Qui en étaient les contractants ? Comment ont-ils été choisis ? Ces appareils répondaient-ils aux normes de sécurité pour les déplacements du Président ? En vérité, si la Cour Suprême ne s’est pas prononcée sur l’opportunité de l’achat de l’aéronef, a-t-elle estimé que c’est une décision de souveraineté nationale ?

- Les différents intervenants

Il y a trois prestataires qui sont intervenus dans cette opération d’acquisition de l’aéronef. Ils sont tous basés dans les « juridictions offshore » communément appelées « paradis fiscaux ».
* Akira Investment International « AIC », le fournisseur de l’aéronef est basé au British Virgin Islands (Les îles Vierges britanniques). Ce pays des Caraïbes a un statut de « paradis fiscal ». Selon un rapport de KPMG datant de 2000, 41 % des compagnies mondiales y seraient enregistrées. Dans le cadre de la répression de l’évasion fiscale internationale, la France a « black-listé » les îles Vierges britanniques  depuis août 2013 en la faisant figurer sur la liste des États et des territoires non coopératifs (ETNC). Est-il étonnant que le compte bancaire d’AIC ne soit pas indiqué dans le contrat (libellé en anglais) qui le lie au Gouvernement du Mali. Pourtant, il a reçu du Trésor public malien des virements pour 36 756 100 USD (soit en contrevaleur 17,558 milliards de FCFA).
* SKY COLOR LIMITED est semble-t-il le « Conseiller du Gouvernement ». Il est domicilié bancaire à Hong-Kong, un paradis fiscal. Il n’y a aucun contrat de « conseil » qui le lie au Gouvernement du Mali. Tout au moins, les enquêteurs de la Cour Suprême ne l’ont pas eu. Pourtant, SKY a été rétribué de l’équivalent de la somme de FCFA 1,314 milliard par le Trésor public malien
* AMAC Aeropspace Switrerland est basé en Suisse, un paradis fiscal. Pour diverses prestations, il a encaissé l’équivalent de la somme de 161 millions de FCFA.

- Les paiements relatifs au contrat

Fait troublant relevé par le rapport des juges de la Cour Suprême, le contrat qui lie la partie malienne et le fournisseur de l’aéronef ne fait nullement mention du compte bancaire de domiciliation. En d’autres termes, le compte du fournisseur qui doit recevoir les paiements n’y figure pas. Dans ces conditions, à la demande de qui, comment et sur quel compte le Trésor public malien a procédé aux différents virements au profit de AIC pour un montant total de FCFA 17,558 milliards ?  Y a-t-il d’autres intermédiaires ou des comptes « écran », hors disposition contractuelle ? Ou tout simplement, pour des raisons présumées « d’optimisation fiscale » ou « d’évasion fiscale », le fournisseur n’aurait pas souhaité laisser une trace de sa domiciliation bancaire dans le contrat ? Si cette hypothèse se confirme, la partie malienne ne devrait-elle pas se rétracter, pour rester en conformité avec les règles internationales de lutte contre le blanchiment des capitaux (GAFI) ? Ces contrats internationaux ne devraient-ils pas être soumis à l’expertise de juristes spécialisés (par exemple la Direction générale du Contentieux de l’Etat) avant de s’y engager ?

- Les conditions de décaissement du nouvel aéronef

Sur l’achat de l’aéronef, il est écrit que le contrat a été signé le 10/02/2014 entre le Gouvernement du Mali représenté par le Ministre de la défense et des anciens combattants et la société Akira Investment Limited. Or les décaissements pour cet objet et au profit de la société visée ont commencé depuis le 15/01/2014 (première tranche) pour un montant de 1,8 million USD (soit 872 millions de FCFA). Le rapport indique que c’est par lettre n° 04 du 15/01/2014 du Ministre de l’Economie et des Finances au Directeur national du Trésor et de la Comptabilité publique que les décaissements ont pu être opérés, en attendant sa régularisation budgétaire, et le même jour transmis à l’Agent comptable central du Trésor (ACCT) pour paiement. Pourquoi avoir décaissé, avec autant de diligence et presque un mois avant même la signature du contrat ?

- Le prix d’acquisition du nouvel aéronef

Les Conseillers de la Cour ne disent pas si le prix final de 19,033 milliards FCFA qu’il a dégagé (24 milliards de FCFA selon nos calculs) était un prix correct par rapport au marché. En d’autres termes, avec les mêmes fonds, pouvait-on obtenir mieux et/ou moins cher ?  Dit autrement, y a-t-il eu surfacturation et le cas échéant de commissions ou de retro-commissions versées dans l’opération d’acquisition du nouvel aéronef ? Un benchmark aurait pu nous édifier. Un début de réponse a été fourni par le chef de Mission du FMI à l’hebdomadaire Jeune Afrique : « Selon les intermédiaires spécialisés cités par le Bureau du vérificateur général, le prix d'un avion de cette nature varie de 30 et 40 millions de dollars. Le prix que l'État malien a payé est proche du montant supérieur de cette fourchette. » 

- La propriété de l’aéronef

Le rapport de la Cour Suprême fait état, dans le déblocage des 1ère et 2ème tranches au profit du fournisseur AIC, de « l’immatriculation avion N164X-RJ à AIC ». Cette mention est un peu confuse. Les spécialistes de l’aviation civile rappellent que l’immatriculation vaut titre de propriété. Le contrat signé le 10/02/2014 entre AIC et le Gouvernement du Mali est-il un contrat d’acquisition ou un contrat bail (leasing) ou un contrat de location simple ? Effectivement, dans les deux derniers cas, le bien loué est immatriculé au nom de son propriétaire (le crédit bailleur ou le fournisseur de l’équipement). Si l’aéronef est la propriété du Mali, quelle est son immatriculation au profit de l’Etat malien ?

- La présence d’intermédiaires

Le rapport fait mention de deux intermédiaires SKY et AMAC. En sa qualité de « Conseiller du Gouvernement » pour cette opération, SKY a reçu la somme totale de FCFA 1,314 milliard. En l’absence d’ « attestation de service » et de « procès-verbal de réception signé par une commission légalement constituée », faits constatés par les Conseillers de la Cour, l’intervention de SKY était-elle nécessaire ? Si oui, les honoraires qui ont été versés sont-ils justifiés ? Quel est le contrat de « conseil » qui le lie au Gouvernement ? Qui l’a choisi ? Comment a-t-il été choisi ? 

- Les retro-commissions

La Mission de la Cour Suprême s’est limitée à s’assurer de la conformité et de la régularité juridique et financière dans la passation et l’exécution des marchés incriminés. Nulle part dans le rapport de 27 pages, il n’est fait mention de vol, de détournement de fonds ou de versement de retro-commissions. Sur cette base, peut-on conclure qu’il y a eu certes des manquements aux textes réglementaires mais qu’il n’y a pas eu de détournement ni de corruption dans cette opération d’acquisition du nouvel aéronef ? Ou est-ce parce que les Conseillers de la Cour Suprême préfèrent laisser le soin à la justice de qualifier les faits, de poursuivre, d’interpeller et de sanctionner le cas échéant ?

2- Achat d’équipements militaires

- Deux contrats, un seul marché

En Bambara, on aurait traduit de façon plus ludique : « fèn kélé tigui fila ». Les enquêteurs de la Cour Suprême ont découvert deux versions du contrat (Protocole d’accord) entre Guo Star sarl et le Ministère de la Défense, toutes signées le même jour (13/11/2013) pour le même montant (FCFA 69,184 milliards) avec des signataires différents. Chaque version est signée par un Directeur Général de Guo Star sarl différent dont l’un était Conseiller Spécial du Président de la République au moment des faits. Il semble, selon les informations de presse, que celui-ci se soit démis récemment de ses hautes fonctions à la présidence. Juridiquement, quel est le contrat valide ? Malgré leur perspicacité, les limiers des enquêteurs n’ont pas pu démêler le vrai du faux. Selon l’OHADA, une sarl peut-elle avoir deux directeurs généraux au même moment et agissant au nom et pour le compte de la société ?

- Garantie autonome de FCFA 100 milliards 

Dans une lettre confidentielle datée du 28/02/2014, le Ministre de l’Economie et des Finances a accordé à la banque prêteuse de Guo Star une garantie autonome de FCFA 100 milliards pour la bonne fin du contrat de FCFA 69,184 milliards. A l’abri de ce collatéral, la banque prêteuse a mis en place des crédits à hauteur de FCFA 50,574 milliards se décomposant en 39,379 milliards d’engagement par signature sous forme de credocs (LC) et 11,194 milliards sous forme de crédit de trésorerie (CCT). Comment un collatéral de cette qualité peut-il être supérieur à son sous-jacent dont il représente 145% ? Comment l’Etat a-t-il pu émettre une garantie autonome pour une banque privée au bénéfice d’un opérateur économique privé ? Quel sera l’impact sur la prise de risque du banquier de Guo Star relativement à l’annulation de la lettre de garantie autonome de FCFA 100 milliards (recommandation du rapport de la Cour suprême) et de l’annulation partielle du contrat incriminé par le nouveau Ministre en charge de la Défense ?  
Sur la base de la conférence de presse de la Mission du FMI, il a été fait état de surfacturation sur le marché de fournitures militaires à hauteur de FCFA 29 milliards. Les fuites obtenues par la presse sur le rapport provisoire du Vérificateur Général font état d’un niveau de surfacturation plus élevé, soit 38 milliards. Le rapport de la Cour Suprême ne fait cas nulle part de surfacturation, encore moins de fraude ou de détournement. Les irrégularités relevées par les Conseillers de la Cour sont très spécifiques et plutôt formelles.  

Attention ! Surfacturation ne veut pas dire forcement détournement de fonds ? D’ailleurs dans cette surfacturation, déterminée selon leurs auditeurs par rapprochement entre la facture pro-forma du fabricant et celle du fournisseur, il y a aussi la marge bénéficiaire du fournisseur. Evitons tout raisonnement simpliste. Soyons donc prudents. Pas d’arbitraire. Pas de conclusion hâtive. Cela ne veut pas dire qu’il n’y pas de condescendance  et même d’indécence. Encore que je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de détournement réel de fonds publics ou de versement de pots de vin. C’est à la justice de le prouver et de le dire. Et elle doit faire son travail. Par principe, je reste attaché à deux choses : l’indépendance de la justice (même si la nôtre est très critiquée par les justiciables) et à la présomption d’innocence (même si il y a des faisceaux concordants d’indices et de preuves qui peuvent confondre certaines personnes présumées).

Conclusion

Allègrement mais sûrement, l’année 2014 annoncée par le chef de l’Etat malien, comme année de lutte contre la corruption s’étire vers une fin pour le moins inattendue. Tout le contraire de ce que son initiateur aurait voulu qu’elle fût. 

Les enquêtes menées ont fait remonter, des eaux glauques de la corruption, un véritable panier de crabes. Sur un seul marché de fournitures à l’armée de FCFA 69 milliards, les limiers des contrôleurs ont identifié une surfacturation abyssale de 29 milliards soit 42% du montant contractuel. Un record ! Et pour ne pas rester en profondeur, et verser dans l’anecdotique, il semble qu’une seule paire de chaussettes ait été facturée à 22 500 FCFA ou 30 000 FCFA ! A ce prix, nos braves militaires seront dotés de « chaussettes anti-balle, étanches et réfractaires ». Bref, comme le dirait l’autre, tout ce qui excessif est insignifiant !
Au-delà, si un seul marché public présente autant d’irrégularités juridiques et de manque à gagner financier, qu’en serait-il de ces centaines de commandes publiques qui sont financées chaque année par l’argent du contribuable malien et par le soutien et la générosité de la communauté internationale ?
Face à l’ampleur et à la gravité des faits, de bondissements en rebondissements, les affaires de mauvaise gouvernance s’enchainent. Dans un Mali meurtri qui peine à se remettre de la grave crise qu’il a connue en 2012, être sous les feux des projecteurs en permanence n’est pas aisé ni pour les gouvernants encore moins pour le peuple. C’est humiliant et déshonorant. 

Maintenant que les audits ont été effectués en toute indépendance et, semble-t-il, à la satisfaction des commanditaires, il faut avancer et transmettre les dossiers incriminés à la justice pour que l’enquête soit approfondie et que les coupables d’infractions soient confondus et sanctionnés. Au nom de la pédagogie. Au nom de la justice. Et pour le droit souverain du Peuple malien.

mercredi 8 octobre 2014

Le gibbon et les deux tigres


Primate contre félidé. Frugivore contre carnivore. Habilité contre férocité. Le plus petit singe anthropoïde se mesure à deux des plus grands félins sauvages au monde. Comme le dirait les enfants, « Y’a pas photo ». Pourtant, ces rivaux de circonstance vont se livrer un duel ubuesque et homérique que seul le monde bancaire peut en offrir. Pour les amateurs de vie sauvage, comme de la finance, le frisson est garanti.


Un de mes jeunes collègues banquiers El Mehdi AG Ibrahim loua à ma mémoire cette formidable histoire de Mahatma Gandhi. Le jeune banquier me rappela que cet homme de foi et de conviction, poitrine et mains nues au-devant de la soldatesque de l'armée coloniale britannique, sans être ni un chef d’Etat, ni un chef de gouvernement, ni un chef de parti politique, ni un chef de guerre, fit plier l'Empire. Par la seule puissance de sa force morale qui lui interdit toute peur et toute concession face à l’injustice.

Un homme politique malien, Abdoul Traoré dit Diop rappelle qu’il y eut tant d’autres précurseurs dans le monde !  Des plus connus aux plus anonymes. « Comme ce taciturne paysan qui prend le risque de se débarrasser d’une partie de sa récolte pour payer les études du garçon de la famille, là-bas, à Bamako ! Comme ce gosse non-voyant qui s’évertue à apprendre le Braille pour s’extraire un jour du cercle de la misère ! »

Et j’ajoute : comme cet établissement de crédit, à peine visible dans la savane bancaire, dont la mémoire centenaire est en train de se consumer pour se résumer à un vécu septennal. Comme ce banquier à l’existence vicennale reflué « Mado-giwa zoku », traduit du japonais, celui qui posté à la fenêtre, est invité à prendre la porte.

Pourquoi devrions-nous nous satisfaire ? Et nous satisfaire de quoi ? La réponse à la première partie de cette question est rappelée à notre conscience collective par les propos du général américain Dwight Eisenhower, commandant des forces armées alliées, lorsqu’il découvrit la réalité des Camps de la mort en Europe : « Que tout soit noté ! Obtenez les films, trouvez les témoins, parce qu'au cours de l'histoire, il se trouvera un enfant de salaud qui se lèvera et proclamera que cela n'a jamais existé ! ».     

C’est à cette mémoire de veille que je m’astreins au quotidien pour que l’histoire bancaire de l’Afrique ne reste pas à l’état de l’oralité, ne soit pas manipulée, maculée et émasculée pour entretenir les fantasmes et la muse des élites politiques et intellectuelles de tout acabit, comme ceux qui ont conçu et prononcé récemment le fameux « Discours de Brazzaville » et, il y a sept ans, le célèbre « Discours de Dakar » : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé. […] » Quelle commotion historique ! Quel énorme camouflet pour l’universel ! Quelle humiliation pour l’Afrique !

Une telle maladresse imputée à un ancien dirigeant de l’ancienne puissance coloniale ne nous étonne guère car : « Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les récits de chasse continueront de glorifier les chasseurs ».

A titre de réplique, est-il nécessaire de rappeler qu’au Mali, pour ne citer que cet exemple, la charte de Kouroukan Fouga encore appelée la charte du Manden  remonterait au moins à 1222 et est inscrite depuis 2009 par l'UNESCO sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l'humanité, comme l'une des plus anciennes références concernant les droits fondamentaux.

Ceci est un rappel historique. Il nous permet de fixer le cadre de mon prochain mimodrame qui met en scène un primate frêle et intrépide nommé gibbon à deux tigres, superprédateurs de leur état, pour le contrôle d’une unité bancaire.

Les acteurs

Le gibbon, Hylobates lar,  est le singe anthropoïde le plus primitif et le plus petit au monde. Pesant à peine 10 kg, ils peut se déplacer à 50 km/h et faire des bonds de 10 mètres, par brachiation. Il est agile et habile. Il ne manque ni de cran ni de persévérance pour la garde de son territoire. Au regard de son déhanchement saccadé, les chinois n’ont pas hésité à le surnommer le « gentleman » des forêts.

Le tigre, Panthera tigris, est le plus grand félin sauvage et l'un des plus grands carnivores au monde. C'est un excellent nageur et un chasseur hors pair. En général quand le tigre bondit, son dîner est servi. Reconnu par certains come le « Roi des animaux » et signe zodiacal chinois, le tigre est également très présent dans la mythologie hindoue. Le tigre peut courir à la vitesse maximale de 50 km/h, mais sur de très courtes distances.

Le point fort du tigre c’est sa rapidité et sa férocité. C’est un tueur doté d’un instinct hors pair. Il a appris à tuer et à observer les auteurs prédateurs. A deux, ils ont l’avantage du nombre et auraient pu faire du frêle gibbon une simple bouchée. A priori, ce primate n’est pas une proie appétissante pour ces fauves. A leur entendement, elles auraient pu se consoler pour en faire un amuse-gueule, une sorte d’apéro avant de festoyer en si haut lieu bambochant. Le primate, frêle à l’adiposité pauvre, n’aurait même pas tenu dans le contenu stomacal des deux félins. Pourtant, le gibbon à l’audace inégalé presque suicidaire va bousculer les certitudes.

Dans le monde animalier, comme en finance, rien n’est définitivement acquis tant que le gong final n’a pas retenti. Au cours de cette rencontre improbable entre primate et félidé, l’issue du match qui paraissait presque certaine va livrer un tout autre vainqueur.

Un duel improbable

Au fond de la jungle, sous les feuillages touffus de la sylve, une étrange scène se prépare. De nature solitaire, deux tigres mâles,  au printemps de leur vie, appartenant certainement à la même fratrie gambadent, s’entrelacent, se cajolent et jouent à la grande détente. Soudain, une chose inattendue se produit. Un voisin encombrant, venu du nord, surgit de mille et une branches, pour chatouiller l’oreille d’un des félins. La surprise fut d’autant plus grande pour sa victime que le geste de l’intrépide provocateur fut sec et furtif.

Le tigre est un tueur né. Il sait que la surprise fait partie des techniques de chasse. Tout comme la patience en est une arme. L’un des deux félins, certainement le chef, gueule largement ouverte et langue haletante, se mit à l’observation tandis que son compagnon de jeu, couché sur le flanc était presque hypnotisé par le manège du gibbon. Comme quoi la vraie menace surgit rarement là où on l’attend.

L’effet surprise passé, à deux, le couple de prédateurs se ressaisit et contre-attaqua. Le primate ne l’entendit pas de cette oreille. Il choisit comme stratégie de séparer les deux félins en privilégiant des attaques individuelles. D’autant qu’à chacun de ses balancements d’une branche à une autre, il travailla méticuleusement et méthodiquement les oreilles et la queue des tigres en leur infligeant une bonne gifle sinon une bonne fessée. Si ce n’est un pincement pour leur rappeler la leçon : «  Vous n’êtes pas les bienvenus ici ! Débarrassez le plancher ! »

Une leçon de vie

Rien ne fit, ni le feulement ni les tentatives de griffage des superprédateurs. Le primate reste de marbre aux intimidations de ses adversaires. Tout spectateur attendrissant, sentant la mort prochaine du gibbon, l’aurait conjuré à détaler. Mais l’insolent primate l’aurait certainement répondu : « Je suis créé pour garder mon calme ». Et notre intrépide singe n’a cure de l’exaspération du tigre, encore moins de notre émoi.

Ondoyant et ferme, le gibbon poussa l’outrecuidance, en descendant de son perchoir pour mettre pattes à terre, face à la hargne des deux redoutables prédateurs. Ceux-ci n’en crurent leurs yeux. Ils commencèrent à se chamailler sur la stratégie à adopter. L’audace face à la force. L’habilité contre la férocité. L’un des tigres, ébaubi et suranné, se replia en se camouflant derrière un arbuste qui teint à peine l’ombre de sa queue. Le primate, sûr de son avantage, totalement à découvert, sautilla deux pas en avant. Ce fut la provocation de trop. Le tigre bondit. Mais pas assez fort pour alpaguer le singe qui s’agrippa, une nouvelle fois, à une des nombreuses branches suspendues.

Et la provocation va connaître son épilogue. Notre téméraire gibbon poursuivant son funeste jeu, a le toupet d’inviter ses deux compétiteurs d’infortune à un décathlon improvisé : course de vitesse suivie d’un saut à la perche avec au finish un lancer de poids. Pour le top départ, il se mit à la verticale sur une branche à peine tenable en formant un perpendiculaire avec le dos des deux félidés, soigneusement alignés pour la circonstance. La course fut lancée. Elle se poursuit par un saut à la perche dont le primate excella à nouveau. Pour l’épreuve du lancer du poids, le vainqueur du jour se saisit d’une large feuille pour la balancer sur le postérieur de ses deux rivaux. Ceux-ci secoués par la brusquerie de leur adversaire n’eurent pas le temps de jouer leur partie. D’un coup sec, le primate remit le couvert. Il donna une grosse baffe sur le dos d’un des félins, assoupi par la récurrence d’une telle flagellation que seule la consolation de son  compagnon gnangnan adoucit. Et pour ne pas en rester là, le gibbon prit l’un des tigres par sa longue oreille voulant le porter à la cime de l’arbre. Le poids du prédateur le dissuada de poursuivre l’effort.

De branche en branche, le singe donna le tournis aux deux félidés pour qui le ciel venait de leur tomber sur la tête. L’existence des deux félidés ne fut guère quiète. Le sage Amadou Kourouma le dit : « Mépriser son adversaire, même petit et frêle, a toujours été une erreur stratégique ».

Lassé par une pénitence inattendue et insistante, l’aîné des félins décida d’abonner la partie en prenant un « billet sans retour ». Il médite en ce moment, à mille lieues, sa déroute avec son infortuné prédécesseur, loin  de leur garde à manger, qui de nymphettes, qui de grisbi. Les sages africains les avaient pourtant avertis : « Qui boit sans soif, vomira sans effort ». Le primate, fier d’une victoire arrachée de haute lutte et de grande persévérance, avec un brin de réussite, se perche pour les voir, l’un après l’autre, décamper de son territoire. Pour s’attaquer à ces superprédateurs, notre improbable héros a prouvé qu’il était le champion de la survie et de la témérité.

Vu le caractère spectaculaire de la rencontre, j’aurai pu imaginer un croisement entre le tigre et le gibbon. Dans ces conditions, le fruit de ce croisement aurait pu être le « Tibon », un mot valise composé des deux premières lettres du félin et des deux dernières du primate. En somme, un animal féroce et agile, capable de surfer entre les branches, de nager et de sprinter. Ce croissement forcé pour obtenir un superprédateur « hors norme » a peu de chances de prospérer. Le Gibbon est très fidèle. Durant toute sa vie, il est féal à une seule femelle. La preuve, cela fait près qu’un quart de siècle qu’il est « collé-serré » à sa banque. Ce qui est loin d’être le cas des deux tigres qui restent très infidèles. Sous leur tanière, chacun d’eux peut abriter jusqu’à sept femelles. Ce félin a un accouplement bref et répétitif, « doundoukoroni » comme on le dit en Bambara. Et d’ailleurs, il reste rarement dans son antre, laissant sa dulcinée s’occuper des tigreaux aveugles et sans défense.

 

Conclusion 

Dans la nature, quand un gibbon, aussi audacieux et intrépide soit-il, vient à bout de deux tigres à la forme pulpeuse, le mystère reste entier. En milieu bancaire, ce cas est loin d’être énigmatique. Il n’est certes pas fréquent. Mais en rencontrer ne relève pas de l’extraordinaire. Pour deux raisons. Comme dans le monde animalier, le métier de banquier s’apprend dans la banque. Nulle part ailleurs. Vous pouvez être un impétrant chargé de parchemins mais pour vous retrouver dans les dédales du labyrinthe bancaire, vous avez besoin d’être guidé. Et votre meilleur coach c’est la pratique. C’est pour cela que dans les banques de détail, le profil « banquier sac à dos » est préférable pour certains postes à celui de « banquier supervitaminé ». Et c’est la pratique qui peut faire qu’un vieux Caporal bancaire peut supplanter un jeune Lieutenant sorti fraîchement d’une école de commerce ou d’ingénieur. C’est l’explication raisonnable pour laquelle mes collègues dirigeants de banque montreront, sans effort, fières dents blanches. L’autre raison, elle est moins folâtre. Ils en seront courroucés. Quand l’organigramme officiel ne correspond pas à l’organigramme naturel, il y a des fissures qui apparaitront et qui finiront par devenir de grosses brèches dans l’animation de l’unité bancaire. Dans ce cas, tout y passe : battage, déni, fadaise, félonie, flétrissure, galéjade… jusqu’à mettre la machine à l’arrêt. Puisque ne l’oublions pas, la banque est une industrie.

Comment reconnait-on qu’une machine bancaire est chez le mécanicien (les actionnaires, les repreneurs, les auditeurs, la commission bancaire, la banque centrale,…) sans y être ? Quand deux paramètres se conjuguent au présent : le poids élevé des créances en souffrance et le niveau élevé des suspens en comptes.  Quand deux paramètres se conjuguent au passé : le mérite et la sanction. Quand deux paramètrent se conjuguent au futur : la rigueur et la bonne gouvernance. Et, quand deux autres paramètres se conjuguent au conditionnel : la vision et la stratégie.

Pour les chiffres, ce sont les conséquences de ces différents actes. Même manipulés ou torturés  pour le lifting périodique de « Dame banque », les chiffres finissent tôt ou tard par révéler la vérité. Peut-être que les commanditaires auraient planifié une sortie en douceur avec quelques prébendes à leur coterie. Peut-être même que leurs complices auraient juré solidarité et allégeance pour couvrir les errements dénudés par la réalité des faits. Mais, aussi certain que l’incertitude de la nature,  la vérité des chiffres finira par les confondre. Et ce n’est pas un hasard que l’on parle de « requins de la finance ». Ceux qui, en haut lieu ou dans les tribunes ou les prétoires, avaient dénoncé bruyamment ce système sont revenus silencieusement sur leurs pas. Une des raisons, de mon point de vue, est que ces animaux font partie des rares ovovivipares au monde : Les œufs se forment et éclosent dans le ventre du requin femelle. Les petits se dévorent entre eux dans le ventre de leur mère et seul le jeune requin le plus résistant naîtra.

La question est maintenant simple : Peut-on vivre sans banque ? Personnellement, je ne pense pas. Doit-on faire la banque autrement ? Certainement, oui. Pour ceux qui voudraient s’essayer à l’exercice, je leur dirai simplement qu’il n’y a pas de « finance humanisée », qu’elle soit classique ou alternative. La cruauté animale, à l’image de la dureté du commerce de l’argent, ne s’accommode ni d’états d’âme, ni d’émotion, encore moins de compassion. La finance est sauvage par nature. Et elle le restera longtemps.