samedi 26 janvier 2019

Les curiosités du franc CFA - Curiosité n° 2 : "La garde de l’or des banques centrales africaines en France".


L’économiste et banquier Cheickna Bounajim Cissé vient de publier « FCFA - Face Cachée de la Finance Africaine » (Ed. BoD, 2019). L’auteur révèle, entre autres, les étrangéités de cette monnaie septuagénaire. En voici quelques extraits du chapitre 4. Focus sur la curiosité n° 2 : "La garde de l’or des banques centrales africaines en France".




P 212-229

Au cœur des contrastes dans l’espace zone franc, le dépôt de la quasi-totalité du stock d’or des PAZF se trouve en France, et cela sans commune mesure avec les exigences conventionnelles.

En effet, les réserves en or détenues par les banques centrales africaines de la zone franc sont de 42,7 tonnes à fin décembre 2017, ainsi réparties : BCEAO (1 174 234,76 onces d’or soit 36,5 tonnes), BEAC (201 865,827 onces d’or soit 6,2 tonnes), et BCC (insignifiant). Ce volume ne correspond qu’à 1,7 % de l’encaisse-or de la Banque de France (2 436 tonnes[1]).

(…) Au 31 décembre 2017, le volume du stock d’or détenu par la BCEAO s’établit à 1 174 234,76 onces (36 522,7837 kg), soit environ 36,5 tonnes d’or. La contre-valeur de ces actifs est de 811 milliards de FCFA, contre 840 milliards un an plus tôt. D’après l’institution communautaire, la diminution de 29 milliards de FCFA des avoirs en or est liée à la dépréciation du cours moyen de l’once d’or sur la période. La méthode de comptabilisation est précisée dans la note d’information sur les états financiers 2017

(…) Seuls 10 % des avoirs en or de la BCEAO sont détenus sur le territoire de l’UMOA. L’essentiel (90 %) est en dépôt dans les coffres de la Banque de France pour une valeur estimée à 728 milliards de FCFA à fin décembre 2017.

(…) Selon les données d’août 2016 de International Financial Statistic[2], les plus gros détenteurs d’or dans le monde bancaire sont : les États-Unis (1er, 8 133 tonnes), l’Allemagne (2e, 3 378 tonnes), le Fonds monétaire international (3e, 2 814 tonnes), l’Italie (4e, 2 451 tonnes), la France (5e, 2 435 tonnes), la Chine (6e, 1 823 tonnes), la Russie (7e, 1 499 tonnes) et la Suisse (8e, 1 040 tonnes). Ils représentent 78,6 % des réserves d’or mondiales détenues par les banques centrales. Le cas de la Suisse est un peu atypique. Environ le tiers de ses réserves en or est détenu à l’extérieur : 20 % en Angleterre et 10 % au Canada. Entre 2000 et 2008, à la suite d’une décision du Parlement helvétique de supprimer le lien entre l’or et le franc, la Banque nationale suisse (BNS) a vendu 1 550 tonnes d’or[3]. Le stock résiduel est de 1 040 tonnes d’or.

L’UMOA (8 pays réunis), avec 36,5 tonnes d’or détenues par sa banque centrale (BCEAO), est classée à la 50e place mondiale, loin derrière certains pays africains : l’Algérie (25e, 173 tonnes), l’Afrique du Sud (29e, 125 tonnes), la Libye (31e, 116 tonnes), l’Égypte (41e, 75 tonnes).

(…) C’est tout de même curieux que toutes les banques centrales du monde puissent aimer l’or, (encadré no 10) au point d’en raffoler, et que sous nos tropiques, les instituts d’émission puissent presque se passer de ce « métal éternel » et même s’en lasser. D’abord, en ne conservant qu’une partie très modeste, voire insignifiante (0,12 %) des réserves d’or des banques centrales dans le monde (estimées à 30 000 tonnes[4]). Ensuite, que ce quantum puisse être pratiquement stable durant des décennies, alors que plusieurs États membres de l’UMOA sont de gros producteurs d’or. Ceux-ci ont produit 104,2 tonnes d’or (Mali 46,5 tonnes, Burkina Faso 36,4 tonnes, Côte-d’Ivoire 20,1 tonnes, Niger 1,2 tonnes) en 2015 pour une valeur totale de 2 615 milliards de FCFA. Enfin, plus surprenant, que la garde de la presque totalité (90 %) des avoirs en or de l’UEMOA soit confiée à la France. Lors de son passage au Burkina Faso, le président Emmanuel Macron a rappelé aux étudiants l’importance de l’or pour une banque centrale : « Si vous aviez une banque indépendante, vous devriez avoir des réserves [en or] de cette banque centrale pour avoir de la crédibilité par rapport à vos partenaires internationaux.[5] »



Le prétexte est tout trouvé pour feuilleter les archives de la Banque de France, et ainsi exhumer d’autres curiosités historiques. Combien de gens savent que la France, apeurée et tétanisée par l’envahisseur allemand, est venue en grande pompe et à toute pompe, confier à Kayes, une bourgade modeste de l’ex-Soudan (actuel Mali), située en Afrique subsaharienne, la garde de 1 100 tonnes d’or, presque la moitié de son stock d’or, environ 10 % des réserves d’or des banques centrales du monde à l’époque et, aujourd’hui, près de 10 ans de la production aurifère agrégée des 8 pays de l’UEMOA ?

(…) Le 26 août 1944, quand le général de Gaulle descendait, fièrement et triomphalement, l’avenue des Champs-Élysées, les caves de la « Souterraine » étaient désespérément vides. La France était libre, mais elle était essorée par 4 ans de conflit meurtrier (541 000 morts dont 330 000 pertes civiles), avec des dégâts matériels et financiers estimés à plusieurs centaines de milliards de francs. Selon les historiens, plus d’un million de ménages français (sur un total de 12,5 millions) étaient sans abri, des villes entières avaient été rasées (dont Brest, le port d’embarquement de l’or en direction du continent africain). C’est dire combien la situation économique et financière de la France était difficile, presque désespérée.

Qu’aurait été la France, sa reconstruction post-guerre et pré-plan Marshall (intervenu trois longues années après la fin des hostilités), sans la disponibilité de ces 1 100 tonnes d’or ? Que serait devenu, aujourd’hui, le système bancaire français sans l’aide inestimable des « indigènes » africains, ces valeureux et téméraires « tirailleurs sénégalais », extrêmement « attachés à la consigne », pour protéger et sécuriser le patrimoine aurifère du peuple français, si convoité par l’Allemagne nazie ? Pour le directeur général honoraire de la Banque de France, Didier Bruneel, conseiller auprès du gouverneur pour les questions historiques, l’or rapatrié d’Afrique a été vital pour l’économie française. Il a été utilisé pour la reconstruction du pays, et a servi à la soudure jusqu’à la mise en place en 1948 du plan Marshall.

Tout cela appartient à l’histoire commune franco-africaine, et les spécialistes se chargeront de l’effiler. Contentons-nous, dans ces lignes, de résoudre les questions prégnantes du présent, et d’envisager l’avenir avec plus de sérénité. 


Comment comprendre, aujourd’hui, que les dirigeants africains puissent faire le chemin inverse en allant confier la garde de leurs réserves d’or à la France ? Sont-ils, à leur tour, sous la menace d’une « armée d’occupation » ? Ironie du sort : 77 ans après avoir hébergé et sécurisé la moitié du stock d’or du peuple français [soit l’équivalent de 22 ans de production d’or au Mali ou 30 fois le niveau actuel des réserves d’or des 8 pays de l’UMOA réunis], Kayes n’abrite même pas une agence auxiliaire de la BCEAO, quand bien même presque toutes les banques commerciales du pays y possèdent déjà des agences ! Pourquoi les États de l’UEMOA continuent-ils de stocker de l’or si leurs réserves de change assurent une couverture plus que correcte de leur émission monétaire (plus de 3 fois le niveau requis) ? Pourquoi garder 90 % du stock d’or de la BCEAO en France ? Pourquoi ne pas utiliser (et non vendre) tout ou partie de ces avoirs en or pour lever des fonds nécessaires au financement de l’économie des pays de l’UEMOA qui en sont les vrais propriétaires ? Pourquoi un pays producteur d’or comme le Mali (3e en Afrique) ne peut-il pas se faire payer en nature par les multinationales qui exploitent ses mines d’or et stocker sa part de dividendes en métal jaune à la BCEAO pour en faire un levier de financement et en céder, au besoin, lorsque les cours mondiaux s’apprécient ? 


(…) Interpellé par un étudiant le 28 novembre 2017 à l’université de Ouagadougou sur l’existence de l’or du Burkina Faso en France, Emmanuel Macron esquissait un semblant de réponse, en défiant même son auditoire[6] : « Si quelqu’un peut me dire où l’or burkinabè se trouve caché à Paris, je suis preneur ? (Silence.) Il n’y en a pas, il faut être sérieux. Il ne faut pas avoir des discours simplistes sur des questions compliquées. » Face à la réprobation de la salle surchauffée, le président français en mettait une seconde couche : « Il n’y a pas un Français qui utilise l’or du Burkina Faso. […] Tout le monde va se calmer. […] Moi je n’utilise pas l’or du Burkina Faso pour faire quoi que ce soit, il n’est pas chez moi, il est chez vous ![7] » 
Mépris ? ou méprise de la part du président français ? De deux choses l’une, soit il était mal informé (ce qui est peu probable en regard de son statut), soit il s’était mal exprimé (ce qui n’est pas souhaitable eu égard à sa stature.) Dans tous les cas, à un certain niveau de responsabilité, on ne doit pas se permettre des affirmations gratuites. Il pouvait (quoi de plus facile pour un président de la République française) interroger les comptes de la BCEAO et même les livres de la Banque de France, qui sont même publiés en ligne. En les feuilletant, il se serait passé d’une telle inexactitude, tout aussi surprenante que malheureuse. En effet, d’après les états financiers certifiés de la BCEAO[8] à fin décembre 2016, 90 % de ses réserves en or (soit 1 054 521,73 onces d’or) appartenant aux 8 États membres de l’UMOA, y compris le Burkina Faso[9], sont bien gardées dans les coffres de la Banque de France à Paris. Cette situation qui prévaut depuis des décennies est confirmée sans équivoque dans les comptes 2017 de la BCEAO[10].

A suivre…





Cheickna Bounajim Cissé, FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine, (Editions BoD, 452 pages, 29 euros). Contact : cbcisse@yahoo.fr

Économiste et essayiste, il est le Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE (Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur d’un Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme de l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications, dont « Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016), il se définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de l’Afrique.





[1] Rapport annuel 2017 de la Banque de France ; en ligne : www.netfirst.fr/rapport-annuel/banque-de-france-2017/pdf/pdfweb.pdf
[2] En ligne : www.gold.fr/informations-sur-l-or/guides/reserves-dor-des-banques-centrales
[3] En ligne : www.swissinfo.ch/fre/politique/votation-du-30-novembre_faut-il-sauver-l-or-des-suisses-/40793630
[4] Au total, les réserves d’or mondiales dépassent les 31 347 tonnes, selon le Conseil mondial de l’or, soit environ 20 % du stock d’or de la planète ! (en ligne : www.lefigaro.fr/societes/2012/08/17/20005-20120817ARTFIG00409-l-immense-tresor-cache-des-banques-centrales.php)
[5] Vidéo en ligne : www.youtube.com/watch?v=R-BmmwwxuAw
[6] Extrait de l’intervention d’Emmanuel Macron à l’Université de Ouagadougou le 28 novembre 2017 : « Si quelqu’un pouvait me dire où l’or burkinabé se trouve caché à Paris, je suis preneur, il n’y en a pas, faut être sérieux. » ; en ligne : http://afrique.lepoint.fr/actualites/burkina-faso-l-ambiance-monte-avant-le-discours-d-emmanuel-macron-28-11-2017-2175663_2365.php
[7] Vidéo en ligne : www.youtube.com/watch?v=R-BmmwwxuAw
[8] En ligne : www.bceao.int/IMG/pdf/bceao_-_etats_financiers_au_31-12-2016_vf_sans_couleur_.pdf
[9] Statuts de la BCEAO : article 1er « La Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ci-après dénommée “la Banque Centrale”, est un établissement public international constitué entre les États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) ; article 3 « Le capital de la Banque Centrale est entièrement souscrit à parts égales par les États membres de l’UMOA. »
[10] En ligne : www.bceao.int/sites/default/files/2018-04/BCEAO%20-%20Etats%20financiers%20au%2031-12-2017.pdf

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