L’économiste
et banquier Cheickna Bounajim Cissé vient de publier « FCFA - Face Cachée de la
Finance Africaine » (Ed. BoD, 2019). L’auteur révèle, entre autres, les
étrangéités de cette monnaie septuagénaire. En voici quelques extraits du
chapitre 4. Focus sur la curiosité n° 2 : "La garde de l’or des banques
centrales africaines en France".
P
212-229
Au cœur des contrastes
dans l’espace zone franc, le dépôt de la quasi-totalité du stock d’or des
PAZF se trouve en France, et cela sans commune mesure avec les exigences
conventionnelles.
En effet, les réserves en or
détenues par les banques centrales africaines de la zone franc sont de
42,7 tonnes à fin décembre 2017, ainsi réparties : BCEAO
(1 174 234,76 onces d’or soit 36,5 tonnes), BEAC
(201 865,827 onces d’or soit 6,2 tonnes), et BCC (insignifiant).
Ce volume ne correspond qu’à 1,7 % de l’encaisse-or de la Banque
de France (2 436 tonnes[1]).
(…) Au
31 décembre 2017, le volume du stock d’or détenu par la BCEAO
s’établit à 1 174 234,76 onces (36 522,7837 kg), soit environ
36,5 tonnes d’or. La contre-valeur de ces actifs est de 811 milliards
de FCFA, contre 840 milliards un an plus tôt. D’après l’institution
communautaire, la diminution de 29 milliards de FCFA des avoirs
en or est liée à la dépréciation du cours moyen de l’once d’or sur la
période. La méthode de comptabilisation est précisée dans la note d’information
sur les états financiers 2017…
(…) Seuls 10 %
des avoirs en or de la BCEAO sont détenus sur le territoire de l’UMOA.
L’essentiel (90 %) est en dépôt dans les coffres de la Banque
de France pour une valeur estimée à 728 milliards de FCFA à fin
décembre 2017.
(…) Selon les données d’août 2016 de International Financial Statistic[2],
les plus gros détenteurs d’or dans le monde bancaire sont : les États-Unis
(1er, 8 133 tonnes), l’Allemagne (2e,
3 378 tonnes), le Fonds monétaire international (3e, 2 814 tonnes), l’Italie (4e,
2 451 tonnes), la France (5e,
2 435 tonnes), la Chine (6e,
1 823 tonnes), la Russie (7e,
1 499 tonnes) et la Suisse (8e,
1 040 tonnes). Ils représentent 78,6 % des réserves d’or
mondiales détenues par les banques centrales. Le cas de la Suisse est un peu
atypique. Environ le tiers de ses réserves en or est détenu
à l’extérieur : 20 % en Angleterre et 10 % au Canada.
Entre 2000
et 2008, à la suite d’une décision du Parlement helvétique de supprimer le lien
entre l’or et le franc, la Banque nationale suisse (BNS) a vendu
1 550 tonnes d’or[3]. Le
stock résiduel est de 1 040 tonnes d’or.
L’UMOA
(8 pays réunis), avec 36,5 tonnes d’or détenues par sa banque
centrale (BCEAO), est classée à la 50e place mondiale, loin
derrière certains pays africains : l’Algérie (25e, 173 tonnes), l’Afrique du Sud (29e,
125 tonnes), la Libye (31e,
116 tonnes), l’Égypte (41e,
75 tonnes).
(…) C’est tout de même curieux que toutes les
banques centrales du monde puissent aimer l’or, (encadré no 10) au point d’en raffoler, et que
sous nos tropiques, les instituts d’émission puissent presque se passer de
ce « métal éternel » et même
s’en lasser. D’abord, en ne conservant qu’une partie très modeste, voire
insignifiante (0,12 %) des réserves d’or des banques centrales dans le
monde (estimées à 30 000 tonnes[4]). Ensuite, que ce quantum
puisse être pratiquement stable durant des décennies, alors que plusieurs
États membres de l’UMOA sont de gros producteurs d’or. Ceux-ci ont produit
104,2 tonnes d’or (Mali 46,5 tonnes, Burkina Faso
36,4 tonnes, Côte-d’Ivoire 20,1 tonnes, Niger 1,2 tonnes)
en 2015 pour une valeur totale de 2 615 milliards de FCFA.
Enfin, plus surprenant, que la garde de la presque totalité (90 %) des
avoirs en or de l’UEMOA soit confiée à la France. Lors de son passage au
Burkina Faso, le président Emmanuel Macron a rappelé aux étudiants
l’importance de l’or pour une banque centrale : « Si vous aviez une banque indépendante, vous devriez
avoir des réserves [en or] de cette banque centrale pour avoir de la
crédibilité par rapport à vos partenaires internationaux.[5] »
Le prétexte est tout trouvé pour feuilleter les archives de
la Banque de France, et ainsi exhumer d’autres curiosités historiques.
Combien de gens savent que la France, apeurée et tétanisée par
l’envahisseur allemand, est venue en grande pompe et à toute pompe, confier
à Kayes, une bourgade modeste de l’ex-Soudan (actuel Mali), située
en Afrique subsaharienne, la garde de 1 100 tonnes d’or, presque
la moitié de son stock d’or, environ 10 % des réserves d’or des
banques centrales du monde à l’époque et, aujourd’hui, près de
10 ans de la production aurifère agrégée des 8 pays de l’UEMOA ?
(…) Le
26 août 1944, quand le général de Gaulle descendait, fièrement et
triomphalement, l’avenue des Champs-Élysées, les caves de la
« Souterraine » étaient désespérément vides. La France était libre,
mais elle était essorée par 4 ans de conflit meurtrier
(541 000 morts dont 330 000 pertes civiles), avec des
dégâts matériels et financiers estimés à plusieurs centaines de milliards de
francs. Selon les historiens, plus d’un million de ménages français (sur un
total de 12,5 millions) étaient sans abri, des villes entières avaient été
rasées (dont Brest, le port d’embarquement de l’or en direction du
continent africain). C’est dire combien la situation économique et financière
de la France était difficile, presque désespérée.
Qu’aurait été la France, sa reconstruction
post-guerre et pré-plan Marshall
(intervenu trois longues années après la fin des hostilités), sans la
disponibilité de ces 1 100 tonnes d’or ? Que serait devenu,
aujourd’hui, le système bancaire français sans l’aide inestimable des
« indigènes » africains, ces valeureux et téméraires
« tirailleurs sénégalais », extrêmement « attachés à la
consigne », pour protéger et sécuriser le patrimoine aurifère du peuple
français, si convoité par l’Allemagne nazie ? Pour le directeur général
honoraire de la Banque de France, Didier Bruneel, conseiller auprès du
gouverneur pour les questions historiques, l’or rapatrié d’Afrique a été vital
pour l’économie française. Il a été utilisé pour la reconstruction
du pays, et a servi à la soudure jusqu’à la mise en place
en 1948 du plan Marshall.
Tout
cela appartient à l’histoire commune franco-africaine, et les spécialistes se
chargeront de l’effiler. Contentons-nous, dans ces lignes, de résoudre les
questions prégnantes du présent, et d’envisager l’avenir avec plus
de sérénité.
Comment comprendre,
aujourd’hui, que les dirigeants africains puissent faire le chemin inverse
en allant confier la garde de leurs réserves d’or à la France ?
Sont-ils, à leur tour, sous la menace d’une « armée d’occupation » ?
Ironie du sort : 77 ans après avoir hébergé et sécurisé la moitié du
stock d’or du peuple français [soit l’équivalent de 22 ans de production
d’or au Mali ou 30 fois le niveau actuel des réserves d’or des
8 pays de l’UMOA réunis], Kayes n’abrite même pas une agence auxiliaire de
la BCEAO, quand bien même presque toutes les banques commerciales du pays
y possèdent déjà des agences ! Pourquoi les États de l’UEMOA
continuent-ils de stocker de l’or si leurs réserves de change assurent une
couverture plus que correcte de leur émission monétaire (plus de 3 fois le
niveau requis) ? Pourquoi garder 90 % du stock d’or de la BCEAO en
France ? Pourquoi ne pas utiliser (et non vendre) tout ou partie de
ces avoirs en or pour lever des fonds nécessaires au financement de
l’économie des pays de l’UEMOA qui en sont les vrais propriétaires ?
Pourquoi un pays producteur d’or comme le Mali (3e en Afrique)
ne peut-il pas se faire payer en nature par les multinationales qui
exploitent ses mines d’or et stocker sa part de dividendes en métal jaune à la
BCEAO pour en faire un levier de financement et en céder, au besoin,
lorsque les cours mondiaux s’apprécient ?
(…) Interpellé par un étudiant le
28 novembre 2017 à l’université de Ouagadougou sur l’existence
de l’or du Burkina Faso en France, Emmanuel Macron esquissait un
semblant de réponse, en défiant même son auditoire[6] : « Si quelqu’un peut me dire où l’or burkinabè
se trouve caché à Paris, je suis preneur ? (Silence.) Il n’y en a
pas, il faut être sérieux. Il ne faut pas avoir des discours simplistes
sur des questions compliquées. » Face à la réprobation de la salle
surchauffée, le président français en mettait une seconde couche :
« Il n’y a pas un Français qui utilise l’or du Burkina Faso. […] Tout
le monde va se calmer. […] Moi je n’utilise pas l’or du Burkina Faso
pour faire quoi que ce soit, il n’est pas chez moi, il est
chez vous ![7] »
Mépris ? ou méprise de la part du président français ? De
deux choses l’une, soit il était mal informé (ce qui est peu probable en
regard de son statut), soit il s’était mal exprimé (ce qui n’est pas
souhaitable eu égard à sa stature.) Dans tous les cas, à un certain niveau de
responsabilité, on ne doit pas se permettre des affirmations gratuites. Il
pouvait (quoi de plus
facile pour un président de la République française) interroger les comptes de
la BCEAO et même les livres de la Banque de France, qui sont même publiés
en ligne. En les feuilletant, il se serait passé d’une telle inexactitude,
tout aussi surprenante que malheureuse. En effet, d’après les états
financiers certifiés de la BCEAO[8] à fin
décembre 2016, 90 % de ses réserves en or (soit 1 054 521,73 onces
d’or) appartenant aux 8 États membres de l’UMOA, y compris le
Burkina Faso[9],
sont bien gardées
dans les coffres de la Banque de France à Paris. Cette
situation qui prévaut depuis des décennies est confirmée sans équivoque dans
les comptes 2017 de la BCEAO[10].
A suivre…
Cheickna Bounajim Cissé, FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine,
(Editions BoD, 452 pages, 29 euros). Contact : cbcisse@yahoo.fr
Économiste et essayiste, il
est le Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du
CAVIE (Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique). Titulaire d’un
MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris, il est détenteur
d’un Master professionnel Sciences Politiques et sociales – option Journalisme
de l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), possède une
Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études
supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme
MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être.
Contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs publications, dont
« Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir » (BoD, 2016), il se
définit comme un « émergentier », un activiste de l’émergence de
l’Afrique.
[1] Rapport annuel 2017 de la Banque de France ; en
ligne : www.netfirst.fr/rapport-annuel/banque-de-france-2017/pdf/pdfweb.pdf
[2] En
ligne :
www.gold.fr/informations-sur-l-or/guides/reserves-dor-des-banques-centrales
[3] En
ligne : www.swissinfo.ch/fre/politique/votation-du-30-novembre_faut-il-sauver-l-or-des-suisses-/40793630
[4] Au
total, les réserves d’or mondiales dépassent les 31 347 tonnes, selon
le Conseil mondial de l’or, soit environ 20 % du stock d’or de la
planète ! (en ligne :
www.lefigaro.fr/societes/2012/08/17/20005-20120817ARTFIG00409-l-immense-tresor-cache-des-banques-centrales.php)
[5] Vidéo
en ligne : www.youtube.com/watch?v=R-BmmwwxuAw
[6] Extrait
de l’intervention d’Emmanuel Macron à l’Université de Ouagadougou le 28 novembre 2017 : « Si
quelqu’un pouvait me dire où l’or burkinabé se trouve caché à Paris, je suis
preneur, il n’y en a pas, faut être sérieux. » ; en
ligne :
http://afrique.lepoint.fr/actualites/burkina-faso-l-ambiance-monte-avant-le-discours-d-emmanuel-macron-28-11-2017-2175663_2365.php
[9] Statuts de la BCEAO : article 1er
« La
Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ci-après dénommée “la
Banque Centrale”, est un établissement public international constitué entre les
États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) ; article 3
« Le
capital de la Banque Centrale est entièrement souscrit à parts égales par les États
membres de l’UMOA. »
[10] En ligne : www.bceao.int/sites/default/files/2018-04/BCEAO%20-%20Etats%20financiers%20au%2031-12-2017.pdf
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire