L’économiste et banquier
Cheickna Bounajim Cissé vient de publier « FCFA - Face Cachée de la
Finance Africaine » (Ed. BoD, 2019). L’auteur révèle, entre autres, les étrangéités de cette monnaie septuagénaire. En voici quelques extraits du chapitre 4. Focus sur la curiosité n° 1: "La fabrication du franc CFA en France".
Chapitre 4 : CFA, Curiosité Financière de l’Afrique ?
Chapitre 4 : CFA, Curiosité Financière de l’Afrique ?
P 176
« Quand votre chien attrape
l’improbable, les curieux et les musards vous feront perdre la journée »,
préviennent les sages africains. De l’avis de nombreux spécialistes, la zone
franc et sa monnaie, le franc CFA, constituent le seul système monétaire au monde
à avoir survécu à la décolonisation du continent. Au-delà de cette étrangeté
historique, la monnaie septuagénaire recèle d’autres curiosités plus
bouleversantes, parmi lesquelles huit ont retenu notre attention. Nous allons
essayer de les exhumer pour vous en exposer les entrailles. Les cinq premières
constitueront la trame de ce chapitre, et les trois autres seront développées
dans le chapitre 5 consacré au CFA en tant que « Confort Financier pour
l’Afrique » :
• La fabrication du franc CFA en France
• La garde de l’or des banques centrales africaines en France
• La garantie de la convertibilité du franc CFA
• La fuite des capitaux de la zone franc
• La politique de communication des banques centrales
africaines de la zone franc
• La pénurie des petites coupures de francs CFA
• La faiblesse du commerce au sein de la zone franc
• La sous-bancarisation des populations africaines et le
sous-financement des économies locales
De ces différentes étrangetés,
les anti-CFA ont trouvé la fenêtre de tir idéale pour tirer à boulets rouges
sur la monnaie septuagénaire, son contenant, son émetteur et son garant.
P 177-211
Curiosité no 1 : La fabrication du franc CFA en France
« Fabriqué en France et utilisé
en Afrique », telle est la formule choc
utilisée par le journaliste Guillaume Poingt pour qualifier le franc CFA qui a
cours légal, pouvoir libératoire et qui constitue une valeur de refuge dans 14
pays de la zone franc…
(…)
Qui
la fabrique ? Où est-elle exactement fabriquée ? Et à quel
coût ? Voilà quelques points qui sont peu abordés dans les médias et
les forums. Et les rares fois où ce fut le cas, cela a soulevé plus
de fantasmes que d’analyses objectives. Nous allons essayer de lever le
lièvre en espérant que des esprits plus alertes l’attraperont. En incipit, une précision d’ordre réglementaire s’impose. Elle est rappelée par la BCEAO dans une note d’information de novembre 2016 consacrée à ses signes monétaires : « Les règles fondamentales de gestion des signes monétaires…
(…) Revenons au franc CFA, pour préciser que la fabrication de la monnaie septuagénaire à l’extérieur de son aire d’utilisation n’est pas une exception en Afrique. Bien au contraire, c’est une pratique largement répandue dans cette partie du monde. Et c’est là-dessus que les cfiles phosphorent pour battre en brèche les critiques des cfobes, argumentant que la fabrication de billets en francs CFA est une opération purement commerciale sans aucun lien avec la monnaie. Ils ont tort. On y reviendra…
Le coût de fabrication du franc CFA
Au niveau de la zone UMOA,
les dépenses d’entretien de la circulation fiduciaire pèsent sur les comptes
de gestion de sa banque centrale. Elles ont représenté
27 659 millions de FCFA pour l’année 2017, soit 16,2 %
de ses charges d’exploitation générale et 8,9 % du produit net bancaire.
Au total, sur la période 2004-2017, l’entretien de la circulation fiduciaire
a coûté 347 319 millions de FCFA (soit 529 millions
d’euros) à la BCEAO. Ce montant comprend l’achat des signes monétaires, les
frais liés à leur transport et à leur assurance. Ces frais d’approche ont
représenté 16 % du coût global de la fabrication…
(…) l’externalisation de la fabrication du franc CFA en dehors du continent africain est une imposture économique et financière. Pour au moins deux raisons essentielles.
Comme indiqué plus haut, la matière utilisée pour la
fabrication des billets de banque est un papier à base de fibres
de coton. La France ne produit pas un
gramme de coton sur son sol. L’UEMOA compte en son sein deux des plus
gros producteurs de cette plante en Afrique, à savoir le Mali et le
Burkina Faso, qui ont
produit respectivement 647 000 tonnes[1] et
683 000 tonnes[2] de coton durant
la campagne 2016 / 2017. Moins de 3 % de cette production est
transformée sur place par les industries textiles locales. L’essentiel
(97 %) est exporté, à l’état brut, avec une faible valeur ajoutée pour les
pays producteurs.
Ensuite, les dépenses
d’entretien de la circulation fiduciaire pèsent sur les comptes de gestion des
banques centrales de la zone franc. Pour la BCEAO, elles ont représenté
plus de 27,6 milliards de FCFA en 2017, soit 16,2 % de ses charges d’exploitation
générale et 8,9 % du produit net bancaire. Au total, comme le tableau plus haut le montre, la
fabrication du franc CFA a coûté aux contribuables de l’UEMOA la somme
faramineuse de 320 milliards de FCFA (soit 487 millions d’euros) sur
la période 2004-2016. Ce constat est partagé par l’institution communautaire,
qui indique que « les coûts d’approvisionnement en signes monétaires
constituent une part importante des charges d’exploitation de la Banque
centrale, consécutivement à l’accroissement des prix de fabrication et des
volumes de billets et pièces de monnaie à commander pour faire
face à la demande. »[3]
Le rôle
de la France peut-il se résumer à celui d’un prestataire (fabricant de billets)
pour les PAZF ? Assure-t-elle leur tutorat monétaire ? Ou est-elle
leur censeur monétaire ? Pourquoi ne laisserait-elle pas les pays
africains fabriquer leur propre monnaie ?
Là aussi, il sera imprudent de
chercher les vraies raisons dans le creux des chiffres, encore moins dans les
calebasses dogmatiques, doctrinaires et philosophiques. La réponse va être simple.
Tout d’abord, expliquons l’intérêt financier de cette activité. Certes, comme
indiqué plus haut, la fabrication du franc CFA représente un coût
important pour la BCEAO (…). Pour la France, cette « grosse somme » d’argent (vue
de l’Afrique) est aussi épaisse dans les comptes de sa
banque centrale qu’un papier pelure. En effet, elle ne pèse que 0,5 %
du chiffre d’affaires de la Banque de France[4].
L’hypothèse financière
ainsi mitigée, une seule raison peut justifier l’attitude de la France :
son statut de garant de la convertibilité illimitée du franc CFA. En
effet, conformément à l’Accord de coopération monétaire[5],
la convertibilité des monnaies émises par les différents instituts d’émission
de la zone franc (BCEAO, BEAC et BCC) est garantie par la France, sous la
double réserve que le taux de couverture de l’émission monétaire soit
au moins égal à 20 % des réserves de change, et qu’au moins
la moitié de ces dernières soit déposée sur le compte du Trésor public
français. Dès lors, il est aisé de comprendre la position de la France
à travers une question simple et de bon sens : si on laisse les
pays africains de la zone franc fabriquer leur monnaie, ne seront-ils pas
tentés de faire fonctionner la planche à billets ? En d’autres termes,
sauront-ils faire preuve de « sagesse monétaire » dans la production
des précieux sésames ? Rien n’est moins sûr, peut-on susurrer de l’autre
côté de la Méditerranée. En effet, dans le chaudron africain, il y a
suffisamment matière à réflexion pour alimenter une posture anxiogène chez les
autorités françaises. Les appels répétés de certains dirigeants africains à la
réémission monétaire (double utilisation des réserves de change déposées sur le
compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français après avoir consommé la
contrepartie en francs CFA), les instabilités politiques (coups d’État,
rébellions, soulèvements populaires), et de plus en plus, les attentats
terroristes dans cette partie de l’Afrique ne sont guère rassurants pour
les « garants ». Depuis quelques années, les pays africains de
la zone franc donnent l’impression d’être des pétaudières, un concentré de
tous les maux du continent. Les satrapes et leur coterie ont souillé
l’histoire de cette zone…
Pourquoi les pays africains de
la zone franc ne fabriquent-ils pas leur propre monnaie sur leur
sol ? Traduit bucoliquement : les sols africains de la
zone franc ne sont-ils pas assez fertiles pour l’ensemencement des pièces
de monnaie et des billets de banque ? Les raisons avancées sont
différentes, selon qu’elles émanent du centre ou de l’ouest du continent.
La question prend une tout
autre allure lorsqu’elle est posée par le journaliste Alain Fauka au
gouverneur de la BCEAO : « Aujourd’hui, en 2017, les Africains
ne sont-ils pas capables de fabriquer leur monnaie à eux, et qu’ils sont
obligés de retourner à l’ancienne métropole pour fabriquer leurs billets ? [6] »
Voici la réponse du patron de la Banque centrale ouest-africaine : « Nos
économies aujourd’hui, et cela est valable pour beaucoup de pays africains,
n’ont pas les moyens de fabriquer leur monnaie sur place parce que ce
ne serait pas rentable. […] Il n’y a que
8 ou 9 pays sur les 52 pays africains qui fabriquent leur monnaie.
[…] Et c’est peut-être que tout simplement, soit la taille de leurs économies
ou leurs besoins ne peuvent pas justifier l’implantation d’une fabrique de
monnaie. Parce que d’abord, c’est une technologie qui est très chère et
qui évolue très vite. Et puis, c’est une technologie qui est concurrencée par
les faussaires. Car autant vous avancez, les faussaires aussi avancent. [7] »
S’agissant du choix du lieu de fabrication du franc CFA, le gouverneur de
la BCEAO a soutenu que c’est une opération purement commerciale qu’il faut
déconnecter de la monnaie. Il s’empressa d’ajouter que « la France ne
décide pas d’imprimer un billet et de nous le donner », avant d’insister :
« C’est nous qui décidons que ça soit fabriqué là où nous souhaitons que
ça se fabrique. […] Puisque nous avons pris l’habitude de le faire
[en France] et qu’ils font quelque chose qui satisfait à nos besoins,
alors à ce moment-là, il n’y a pas de raison pour qu’on change. […]
La seule chose qui peut changer, c’est au niveau des prix. Nous sommes
très sensibles au prix, parce qu’autant nous ne pouvons pas fabriquer
de billet parce que ça coûterait trop cher pour nos petites
économies, autant nous sommes très regardants sur les prix. […] Pour arriver à
avoir un billet qui soit parfait et qui convienne à l’utilisation des
populations, ça met du temps. Pourquoi ? Parce qu’il y a des
effets climatiques. Un billet qui circule dans une partie de l’Afrique qui
est humide ne doit pas avoir la même consistance qu’un billet qui circule dans
le Sahel.[8] ».
En Afrique centrale,
l’hebdomadaire Jeune Afrique[9] rapporte que les autorités de la BEAC
justifieraient l’externalisation de la fabrication de leur monnaie par
l’absence de « compétence pointue » en leur sein. Incroyable !
Si cette information se confirmait, ce serait
une véritable claque, et surtout un cinglant discrédit pour l’intelligence
africaine. Que l’on ne sache pas créer ou même innover en Afrique, cela
peut s’admettre – encore que – mais qu’on ne puisse même pas
copier ou simplement répéter ce qui se fait de bien ailleurs depuis des
siècles, c’est plus que décevant ; c’est déchirant, à la limite offensant,
et même avilissant.
Le très sérieux journal français
Libération, dans un billet daté du
4 février 2000 et consacré à la grève des employés de l’imprimerie de
la Banque de France en Puy-de-Dôme, a publié l’interview d’un salarié qui s’est
fait l’écho de propos attribués à son patron. Le directeur du site de
fabrication de billets aurait associé les Africains au « sida ».
Ouvrez bien les quinquets, les mots sont glaçants : « Un jour, à
l’arrivée d’une délégation de la Banque des États d’Afrique centrale, il a
sorti “voilà les porteurs de sida”.[10]»
Info ou intox ? Si cette information se confirmait, ce serait très
grave et surtout très humiliant.
Le regretté professeur Joseph Ki-Zerbo a raison : vous ne pouvez pas dormir indéfiniment sur la natte des autres et bien vous en porter. Tôt ou tard, vous finirez bien par entendre des propos pour le moins désobligeants. Les argentiers africains sont prévenus. Ils n’ont qu’à bien se tenir. Six décennies à faire d’incessants va-et-vient entre la France et leur pays pour la fabrication de leur propre monnaie, ça commence à dater et à formater. D’ailleurs, et ce n’est pas nouveau, les paroliers bambaras rappellent une vérité primaire : « Après 10 ans à élever l’âne, si vous ne parvenez pas à comprendre sa langue, au moins vous connaîtrez beaucoup de chemins. » Sinon, dans quel contexte peut-on situer les récents propos licencieux de Donald Trump, qui ne s’est point gêné pour qualifier certains États africains de « pays de merde » (« shithole countries[11] ») ?
Au-delà des protestations, des indignations et même des récriminations de l’opinion publique africaine, n’y a-t-il pas mieux à faire pour répondre aux grivoiseries répétées du président américain, notamment par la capacité et l’intelligence des Africains à changer fondamentalement et définitivement le visage de leur continent, de zones de conflits et de pauvreté en havres de paix et de prospérité partagée ? Comme le dirait l’autre : « Monsieur Trump ! Continuez à nous vilipender, peut-être que notre salut viendra de là. »
Le président américain peut-il
qualifier la Corée du Sud, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour
ou la Thaïlande de « pays de merde » ? Assurément, non.
Pourtant, au début des années soixante, presque tous ces pays étaient
aussi pauvres que la majorité des États africains de la zone franc.
Qu’ont-ils fait pour accéder au statut respectable et respecté de
« Nouveaux pays industrialisés (NPI) » alors que les pays
africains de la zone franc (PAZF) continuent à pointer, sans
discontinuité, sur la liste peu enviable des pays les plus pauvres de la
planète (PMA et PPTE) ? Certes, l’Afrique ne dispose pas d’arme dissuasive
comme la Corée du Nord, mais elle a une arme explosive qui s’appelle « jeunesse »
qui peut imploser à tout moment. Ce constat n’est pas simplement personnel,
c’est une réalité partagée par tous, y compris par les dirigeants
africains. Le regretté professeur Joseph Ki-Zerbo a raison : vous ne pouvez pas dormir indéfiniment sur la natte des autres et bien vous en porter. Tôt ou tard, vous finirez bien par entendre des propos pour le moins désobligeants. Les argentiers africains sont prévenus. Ils n’ont qu’à bien se tenir. Six décennies à faire d’incessants va-et-vient entre la France et leur pays pour la fabrication de leur propre monnaie, ça commence à dater et à formater. D’ailleurs, et ce n’est pas nouveau, les paroliers bambaras rappellent une vérité primaire : « Après 10 ans à élever l’âne, si vous ne parvenez pas à comprendre sa langue, au moins vous connaîtrez beaucoup de chemins. » Sinon, dans quel contexte peut-on situer les récents propos licencieux de Donald Trump, qui ne s’est point gêné pour qualifier certains États africains de « pays de merde » (« shithole countries[11] ») ?
Au-delà des protestations, des indignations et même des récriminations de l’opinion publique africaine, n’y a-t-il pas mieux à faire pour répondre aux grivoiseries répétées du président américain, notamment par la capacité et l’intelligence des Africains à changer fondamentalement et définitivement le visage de leur continent, de zones de conflits et de pauvreté en havres de paix et de prospérité partagée ? Comme le dirait l’autre : « Monsieur Trump ! Continuez à nous vilipender, peut-être que notre salut viendra de là. »
Le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, lors de l’ouverture du 5e Sommet Union africaine – Union européenne sur le thème : « Investir dans la jeunesse pour un avenir durable », a déclaré : « […] la jeunesse de la population africaine, dont plus de 60 % a moins de 25 ans. Ceci constitue une opportunité, mais aussi un risque si l’on n’offre pas à cette jeunesse, la formation, les emplois et les espoirs auxquels elle aspire légitimement.[12] » Le chef de l’État guinéen Alpha Condé, à l’époque président en exercice de l’Union africaine (UA), a été moins diplomate sur le sujet : « Nous sommes assis sur une bombe, nous avons 70 % de la population qui a moins de 25 ans. Si nous ne réduisons pas le problème de l’emploi jeune, nous allons tous sauter.[13] » Depuis quelques années, l’Europe s’organise, en grande pompe et en toute pompe, pour qu’elle ne subisse pas les dégâts collatéraux de cette « déflagration humaine ».
Au vu de toutes ces réalités,
n’est-il pas temps, et même grand temps, que les dirigeants africains arrêtent
de tendre la sébile, afin de s’occuper, enfin et sérieusement, de leurs
pays avant que ceux-ci ne disparaissent définitivement, emportés par
les flots des banalités, des obscénités, des trivialités, des vulgarités et des
voracités des « requins » de ce monde, pour qui la
« prédation » est une nécessité de survie ?
Au niveau de la zone UEMOA, le directeur
national pour le Sénégal de la BCEAO, Ahmadou Al Aminou Lô, invité
du « Grand Jury » du 10 septembre 2017 de la Rfm, a brisé le silence. Il
confirme la fabrication du franc CFA (XOF) en France, en
précisant : « Ce n’est pas l’ancienne puissance coloniale. Encore
une fois, c’est la Banque de France qui dispose d’une usine de
fabrication, qui propose des prix, qui a un partenariat privilégié avec la
BCEAO, qui permet d’avoir un prix de revient très bon, qui permet d’avoir
des délais de réponse très bons […]. » Le haut fonctionnaire de la
Banque centrale ajoute : « Imprimer un billet de monnaie, c’est de la
haute technologie. […] L’impression des billets nous coûte annuellement entre
25 milliards et 35 milliards de francs CFA. Parce que nous
les faisons fabriquer. Imaginez qu’on ait une usine, peut-être que nous aurions
des coûts de fabrication moindres, mais dans l’amortissement du bien peut-être
qu’on pourrait se retrouver avec 60 milliards à amortir
chaque année […] et on
fera une perte dans les bilans de la Banque centrale […] une banque centrale
indépendante doit tout faire pour ne pas faire des pertes.[14] » Cette sortie de ce
responsable de la BCEAO, plus que souhaitable, reste néanmoins très
critiquable. Pour au moins quatre raisons.
Primo. Le
statut de la Banque de France[15]
est très clair. C’est une institution dont le capital appartient
[exclusivement] à l’État (article L. 142-1). Les biens immobiliers
appartenant à la Banque de France sont soumis aux dispositions du Code
général de la propriété des personnes publiques applicable aux établissements
publics de l’État (article L. 144-2-1). En clair, c’est bien « l’ancienne
puissance coloniale », en l’occurrence la France, qui fabrique le
franc CFA, à travers l’imprimerie de sa banque centrale (la Banque de
France). Secundo. Avancer le chiffre de « 60 milliards de FCFA » (le double du coût actuel de la fabrication fiduciaire) comme pouvant être l’annuité d’amortissement d’une imprimerie fiduciaire de « haute technologie » est une démarche quelque peu hasardeuse pour justifier l’externalisation de la fabrication du franc CFA en France. D’après le rapport annuel de la BCEAO, « les amortissements sont calculés suivant la méthode linéaire, sur la base de la durée de vie utile estimée de l’immobilisation[16] », et les « constructions » sont amorties sur 20 à 60 ans. Même en prenant la borne inférieure comme référence (hypothèse basse), l’investissement de l’implémentation d’une unité de fabrique monétaire se chiffrerait à 1 200 milliards de francs CFA, soit 1,8 milliard d’euros. La BCEAO a-t-elle fait faire des études de faisabilité d’un tel projet ? Si oui, quelles en sont les grandes conclusions ? En attendant de disposer d’éléments de réponse, donnons quelques indications. Sur la foi de ses propres statistiques, la BCEAO a déboursé la rondelette somme de 320 milliards de FCFA (soit 487 millions d’euros) sur 13 ans, de 2004 à 2016, pour imprimer sa monnaie en France. D’après le gouverneur de la Banque de France, la construction d’une nouvelle imprimerie à Vicomte et le déménagement de celle de Chamalières sur le nouveau site coûteront à l’État français 200 millions d’euros[17].
Quelle est la durée de vie probable d’une imprimerie fiduciaire ? Pour tenter de répondre à cette autre question, prenons comme référence la Banque de France, qui fabrique à Chamalières plusieurs monnaies, dont les francs CFA. Sur son site officiel[18], la banque centrale française nous apprend que sa production a commencé à l’automne 1918. D’après son gouverneur François Villeroy de Galhau, l’imprimerie de Chamalières devrait rester en fonction jusqu’en 2022-2023, date à laquelle elle déménagerait à Vic-le-Comte, aux côtés du centre de fabrication de papier [19]. Les deux bornes étant précisées, la durée de vie de l’usine de Chamalières serait de 104 ans, une longévité suffisante pour assurer un retour sur investissement quels que soient les scénarii d’un business plan exigeant.
Tertio. Sur la
base des états financiers certifiés de la BCEAO pour l’exercice clos le
31 décembre 2016, le résultat net a été de 114,6 milliards[20].
Comment cette banque centrale peut-elle faire une perte avec une charge
supplémentaire de 35 milliards de FCFA (60-25), avec même l’hypothèse
improbable d’un amortissement annuel de 60 milliards de FCFA que
pourrait engendrer l’imprimerie fiduciaire ? À moins qu’il y ait des
coûts cachés qui nous auraient échappé.
Quarto. Si
l’offre de la Banque de France est aussi attrayante, comme le laisse dire le
haut responsable de la BCEAO, avec certainement un rapport qualité-prix
compétitif, pourquoi, en dehors des 15 pays membres de la
zone franc qui sont liés historiquement et juridiquement à l’ancienne
puissance coloniale, Madagascar est-il le seul pays africain à lui confier la
fabrication de ses billets de banque ? Comment le Maroc, qui était dans la même configuration que les pays africains actuels de la zone franc, a-t-il pu s’émanciper de la tutelle monétaire française en créant en mars 1987 sa propre unité de fabrication de billets de banque, de pièces de monnaie et de documents sécurisés (Dar As-Sikkah[21]), « bâtie sur un site hautement sécurisé, de 10 hectares, à proximité de l’aéroport de Rabat-Salé », pour ainsi reprendre les indications fournies par le site officiel de la Banque centrale marocaine (Bank Al Maghrib[22]) ? Qu’importe qu’il bénéficiât d’une assistance technique étrangère[23], au moins l’honneur est sauf !
En vérité, aucun obstacle financier
ou technologique ne peut s’opposer à la fabrication de la monnaie africaine sur
le sol africain, et par des techniciens africains. Et le contexte le justifie pleinement,
comme l’a rappelé la BCEAO en novembre 2016 : « un accroissement continu de la demande des agents
économiques, un renchérissement des coûts d’approvisionnement en billets
et pièces de monnaie et le développement des techniques de contrefaçon[24] ».
Par contre, il y a un déterminant essentiel qui fait généralement défaut
en Afrique : la volonté politique. À quelques exceptions près,
presque tous les dirigeants africains de la sphère francophone
du continent gèrent un « temps de présence ». Sitôt installés,
ils s’investissent pour le « prochain mandat », en cherchant la
bienveillance de puissances étrangères (surtout la France), pour lesquelles ils
montrent « patte blanche » et affichent de « larges
sourires », en multipliant et en démultipliant les « gestes
de bonne volonté ».
(…) Il
semble – c’est une déduction – que le problème soit pris très
au sérieux au niveau de la zone UMOA. La BCEAO, à travers son
nouvel organigramme[25]
du 23 avril 2018, a opéré des changements importants qui vont dans le
sens de nos réflexions. L’ancienne « Direction générale des
opérations et des activités fiduciaires » a été scindée
en deux : la « Direction générale des opérations de marché et
des systèmes de paiement » et la « Direction générale des activités
fiduciaires et de caisse ». Cette évolution organisationnelle s’est aussi
traduite par la création d’une « Direction des études et de la production
fiduciaires ». En creux, on peut aisément deviner que le régulateur,
en se dotant d’une structure spécifique pour les études fiduciaires,
indépendante de la « Direction des études et de la recherche » a le
souci de mieux adresser le volet fiduciaire de son activité, et que des
études approfondies seront faites pour permettre aux autorités politiques de
trancher la question sensible, mais ô combien importante pour les
populations de la zone, de l’implémentation, intra-muros, d’une imprimerie fiduciaire (…).
A suivre…
Cheickna Bounajim Cissé, FCFA : Face Cachée de la Finance Africaine,
(Editions BoD, 452 pages, 29 euros). Contact : cbcisse@yahoo.fr
Économiste
et essayiste, il est le Président de la Commission « Banques &
Compétitivité » du CAVIE (Centre Africain de Veille et d’Intelligence
Économique). Titulaire d’un MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE
de Paris, il est détenteur d’un Master professionnel Sciences Politiques et
sociales – option Journalisme de l’Institut Français de Presse (Université
Panthéon-Assas), possède une Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de
Bamako et est diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il
est l’auteur de l’acronyme MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents
ou en voie de l’être. Contributeur pour plusieurs médias et auteur de plusieurs
publications, dont « Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir »
(BoD, 2016), il se définit comme un « émergentier », un activiste de
l’émergence de l’Afrique.
[1] En ligne :
www.essor.ml/campagne-cotonniere-2016-2017-le-mali-conforte-sa-bonne-position/
[2] En ligne : www.agenceecofin.com/coton/2404-46812-le-burkina-faso-a-produit-683-000-tonnes-de-coton-durant-la-saison-2016/2017
[3]
BCEAO, Note d’information no 1, « Émission des signes
monétaires et entretien de la circulation fiduciaire », novembre 2016
; en ligne : www.bceao.int/sites/default/files/inline-files/depliant_emission_signes_monetaire.pdf
[4]Au 31 décembre 2017,
le produit net des activités de la Banque de France est de 8 187 millions
d’euros ; en ligne :
https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/817401_ra2017_web_avec-signets_20180413.pdf
[5]
L’Accord de coopération monétaire du 4 décembre 1973 entre la France
et les pays membres de l’UMOA.
[6] En ligne :
www.rfi.fr/emission/20171001-rester-sortir-franc-cfa
[7] En ligne : www.rfi.fr/emission/20171001-rester-sortir-franc-cfa
[8] En ligne : www.agenceecofin.com/finances-publiques/1610-51206-tiemoko-meyliet-kone-nos-economies-n-ont-pas-les-moyens-de-fabriquer-leur-monnaie-sur-place-parce-que-ce-ne-serait-pas-rentable
[9] En
ligne : www.jeuneafrique.com/430034/economie/desintox-non-franc-cfa-ne-sera-fabrique-cameroun/
[10] Libération, « Il y a de l’abus sur
la planche à billets. Ras-le-bol des salariés de la Banque de France à
Vic-le-Comte et Chamalières », 4 février 2000, en ligne : www.liberation.fr/futurs/2000/02/04/il-y-a-de-l-abus-sur-la-planche-a-billets-ras-le-bol-des-salaries-de-la-banque-de-france-a-vic-le-co_316617
[11] «
Pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? »
Évoquant plusieurs nations africaines, le Salvador et Haïti, le président des États-Unis
s’est emporté jeudi 11 janvier 2018 lors d’une réunion sur
l’immigration, rapporte le Washington Post ;
en ligne : www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/01/12/trump-traite-haiti-et-des-nations-africaines-de-pays-de-merde_5240652_3222.html#hKkkOa97hzoc3foz.99
[12] En ligne : www.presidence.ci/allocution-de-sem-alassane-ouattara-a-la-ceremonie-douverture-du-5e-sommet-union-africaine-union-europeenne/
[13] En ligne : www.rfi.fr/emission/20171129-alpha-conde-probleme-entre-jeunesse-africaine-dirigeants
[14] En ligne : www.seneweb.com/news/Economie/debat-sur-le-cfa-les-verites-du-directeu_n_227045.html
[15] Il s’agit d’une
institution bicentenaire, de capital privé lors de sa création le 18 janvier 1800
sous le Consulat, puis devenue propriété de l’État le 1er janvier 1946
lors de sa nationalisation par le général de Gaulle (loi du 2 décembre 1945).
[17] « Pour
mémoire, nous avons pris deux décisions essentielles sur l’outil industriel de
la Banque de France. Une nouvelle papeterie à Vic-le-Comte (elle est en cours
de réalisation) et une nouvelle imprimerie qui sera réalisée d’ici 2022-2023 »,
explique le gouverneur. Pour la Banque de France, cette opération de
déménagement et de construction d’un nouveau site représente un investissement
de plus de 200 millions d’euros. Celuici inclut le transfert de l’imprimerie
et celui du centre fiduciaire, qui assure la gestion de l’approvisionnement en
billets de la partie sud de la France, le stockage de billets imprimés et le
tri de billets sortis de circulation. » En ligne : http://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand/economie/btp-industrie/2017/02/10/banque-de-france-le-demenagement-l-imprimerie-de-chamalieres-a-vic-le-comte-confirme_12278735.html#
[18] « Les premières livraisons ont lieu l’année
suivante. En renfort des ateliers du siège parisien, la mission première de
l’imprimerie de Chamalières est de fournir des coupures au pays. Mais la Banque
de France est fortement sollicitée également par des pays amis et par les
banques privées, qui émettent des billets dans les colonies et dépendances.
Ainsi, dès son origine, le site de Chamalières produit pour des clients
extérieurs » ; en ligne : www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/La_Banque_de_France/Pan_int_Partie_3_V4_du_14_nov_BAT.pdf
[19] En ligne : www.lamontagne.fr/clermont-ferrand/economie/btp-industrie/2017/02/10/banque-de-france-le-demenagement-l-imprimerie-de-chamalieres-a-vic-le-comte-confirme_12278735.html
[21] À ses débuts,
Dar As-Sikkah (l’Hôtel des monnaies) a démarré avec une première ligne de
production de 140 millions de dirhams [actuellement FCFA 8,4 milliards],
puis une deuxième au début des années 1990. En 1997, un nouveau parc
de presses monétaires a été acquis, et en 2001, une chaîne automatique de
confection de passeports. Hormis la fabrication de passeports et de timbres
fiscaux, Dar As-Sikkah produit également des documents sécurisés ainsi que des
objets spécifiques. Elle fabrique également les vignettes automobiles. (wikipedia.org).
Depuis son inauguration en date du 5 mars 1987, Dar As-Sikkah n’a
cessé de voir ses activités se développer puisque plusieurs ministères et
établissements publics ont eu recours à ses services pour la fabrication de
documents sécurisés tels que les timbres fiscaux, les vignettes automobiles,
les permis de chasse et de port d’armes, et les chéquiers. (site institutionnel
de Bank Al Maghrib, en ligne : www.bkam.ma)
[22] Site
institutionnel de Bank Al Maghrib (en ligne : www.bkam.ma)
[23] D’après Jeune
Afrique, « Crane Currency a signé fin 2014 un accord de coopération avec
Bank Al-Maghrib », en ligne : www.jeuneafrique.com/mag/367665/economie/impression-francs-cfa-fierte-lemporte-raison/
[24] BCEAO, Note d’information no 1, « Émission
des signes monétaires et entretien de la circulation fiduciaire »,
novembre 2016 ; en ligne : www.bceao.int/sites/default/files/inline-files/depliant_emission_signes_monetaire.pdf
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire