Avec presque 20% de la population mondiale, le continent africain représente à peine 3% des échanges internationaux et 5% du PIB mondial. En cause, entre autres, leur niveau de compétitivité est faible alors que leurs potentialités agricoles et minières sont énormes. Une bonne partie des pays africains en panne de compétitivité se trouvent dans la Zone franc et ont en commun le franc CFA comme monnaie officielle. Quelle est la situation réelle dans cette région de l’Afrique ?
Les liens entre monnaie et compétitivité[1] sont tellement étroits que la première pourrait être la gâchette et la seconde l’arme. Dès lors, est-il étonnant que la première mesure de la compétitivité soit basée sur le taux de change de la monnaie ?
A-
Des indicateurs de compétitivité en berne dans la Zone franc
Mesurer la compétitivité est un exercice
difficile et complexe. Au niveau international, les indicateurs de
compétitivité sont en général controversés. Pour autant, ce sont des outils d’aide
à la décision qui sont nécessaires dans un environnement mondial de plus en
plus compétitif.
1-
L’indice
de compétitivité mondiale
Depuis 1979, le Forum économique
mondial (World Economic Forum), souvent appelé Forum de Davos, publie chaque
année une étude sur la compétitivité mondiale. Le 17 octobre dernier, il a révélé
son classement 2018 des 140 économies nationales étudiées selon l’indice de
compétitivité mondiale.
Les pays africains de la Zone
franc (PAZF) se perdent dans les profondeurs du classement mondial de la compétitivité
globale du Forum Economique Mondial. Avec un score nettement en dessous de la
moyenne (60/100), ils se situent dans les trente dernières économies mondiales.
En queue de classement, la Côte d’Ivoire et le Cameroun, présentées comme les
locomotives de l’UEMOA et de la CEMAC, se situent respectivement à la 114e
place et à la 121e de l’indice de compétitivité mondiale.
2-
Le climat
des affaires
L’indice de la facilité de faire
des affaires du « Projet Doing Business » a été créé en 2003 par
l'International Finance Corporation (IFC) du groupe de la Banque Mondiale pour
mesurer la réglementation des affaires et son application dans 190 économies
dans le monde.
B-
Des points de vue contrastés
Pour l’économiste togolais Kako
Nubukpo, professeur de Sciences Economiques à l’université de Lomé, « les
économies de l’UEMOA souffrent d’un problème de compétitivité-prix à l’export,
du fait de l’arrimage du franc CFA à l’euro, monnaie forte s’il en est. Or, une
monnaie forte agit comme une taxe sur les exportations et une subvention sur
les importations, rendant difficile l’obtention de l’équilibre de la balance
commerciale[3]
». Ce point de vue est-il partagé ?
1-
Le point
de vue des Autorités communautaires
Ces dernières années, la BCEAO a produit deux rapports spécifiques sur la compétitivité des économies de l’UEMOA, l’un sur la période 2002-2011 et l’autre sur l’année 2012. Relativement à la période décennale (2002-2011), les conclusions de l’étude de la BCEAO se présentaient ainsi : « Appréciée de manière globale, à partir de l’évolution du taux de change effectif réel, la compétitivité globale des économies de l’Union Monétaire s’est détériorée au cours de la période 2002-2011, en rapport avec la dépréciation des monnaies des pays partenaires sur les dix dernières années, dont l'impact a été atténué par une différentiel d’inflation favorable à l'UEMOA vis-à-vis de l’ensemble de ses partenaires. Toutefois, le ratio d'investissement relatif s'est accru au cours des dix dernières années, indiquant une progression des efforts d'investissement dans l'UEMOA, en rapport notamment avec l'afflux d'investissement dans le secteur minier et la conduite de grands chantiers dans plusieurs pays. Toutefois, le ratio d’investissement relatif de l'UEMOA est demeuré inférieur à 100, traduisant un taux d'investissement de l'Union plus faible que celui de ses principaux partenaires. En matière de performance du commerce extérieur, la dernière décennie a été marquée par une faible augmentation du taux d'exportation qui est passé de 31,9% en 2001 à 34,0% en 2011. Cette relative atonie du taux d'exportation dans l'Union reflète l'absence de changements qualitatifs majeurs dans la structure des exportations de la Zone, qui restent dominés par des produits primaires. La dégradation de la position concurrentielle observée au niveau du taux de change effectif réel est confirmée par l'évolution du taux de pénétration étrangère qui a affiché une progression de 0,3 point de pourcentage en moyenne par an. Ce résultat traduit une augmentation de la part du marché dans l'Union acquise par les entreprises étrangères, et donc une perte nette de compétitivité sur le marché intérieur des pays de l'Union. Les évolutions observées au niveau des coûts de facteurs de production ne sont également pas de nature à accroître le niveau de la compétitivité des économies de l'UEMOA. En effet, les coûts des principaux facteurs de production ont augmenté sur les dix dernières années. En particulier, les coûts des produits pétroliers et de l'électricité se sont accrus et sont plus élevés que ceux des principaux partenaires africains de la région. »
Récemment, dans le Rapport sur la Politique Monétaire dans l'UMOA de mars 2019, la BCEAO a fait le point de la « Compétitivité extérieure » de ses États membres : « Le taux de change effectif réel (TCER) a baissé de 2,5% au quatrième trimestre 2018 par rapport à la même période de l'année passée. Cette évolution traduit un gain de compétitivité, lié principalement au différentiel d'inflation favorable à l'Union (-3,0%) par rapport à ses partenaires, atténué par une légère hausse du taux de change effectif nominal (+0,5%). L'évolution du taux de change effectif nominal au quatrième trimestre 2018 est en ligne avec l'appréciation, en rythme annuel, du franc CFA par rapport à la roupie indienne (+7,8%), au cedi ghanéen (+5,9%), au rand sud-africain (+1,3%) et au yuan chinois (+1,4%). En revanche, le franc CFA s'est déprécié par rapport au dollar américain (-3,1%), au naira (-2,8%) et au franc suisse (-2,3%). Le taux d'inflation dans l'Union s'est situé à 0,9% au quatrième trimestre 2018 contre une hausse de 3,9% en moyenne dans les pays partenaires. »
2- Le point de vue du Fonds Monétaire International (FMI)
Le FMI distingue deux types de
compétitivité : la compétitivité des prix (compétitivité à court terme) et
la compétitivité structurelle (compétitivité hors prix). La première est
relative à la monnaie (son taux de change effectif réel[4]) tandis que la seconde (compétitivité
structurelle) est mesurée par les indicateurs de climat des affaires (enquête Doing
Business), de compétitivité mondiale, de performance logistique et de gouvernance.
S’agissant de l’UEMOA
Dans son rapport
(n° 2018/106) de mai 2018, le FMI a donné son avis sur la compétitivité des
pays de l’UEMOA.
- Compétitivité des prix (Évaluation de la position extérieure) : D’après les services du FMI, la surévaluation du taux de change effectif réel (TCER) de l’UEMOA serait négligeable, entre 0,4 % et 1,8 %. Ils estiment que la position extérieure (« EBA-lite ») de cette zone est globalement en cohérence avec les fondamentaux et les politiques souhaitables, en dépit du renforcement récent de l'euro (auquel est arrimé le FCFA de l'UEMOA) par rapport au dollar
- Compétitivité structurelle : Pour le FMI, la compétitivité de l’UEMOA reste entravée par des contraintes structurelles importantes, notamment les insuffisances d’infrastructure, les coûts élevés des intrants tels que la communication, le transport et l’électricité et la faiblesse du cadre commercial et règlementaire. À en croire les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale, les scores en matière d'efficacité de l'administration, de stabilité politique, de qualité réglementaire et d'État de droit restent faibles, par rapport à des pays comparables.
Les services du FMI soulignent que « la garantie de convertibilité à parité fixe du franc CFA avec l’euro joue le rôle de mécanisme d’assurance contre le risque d’insuffisance temporaire et exogène de liquidité extérieure. (…) Bien que difficilement quantifiable, la valeur de la garantie de convertibilité par la France qui renforce les réserves externes de l’UEMOA peut être appréciée d’un point de vue qualitatif, car les agences de notation la considèrent comme un facteur qui minimise le risque de crise de balance des paiements. »
CEMAC
Dans son rapport (n° 19/1) de février
2019, le FMI a fait le point sur la compétitivité des pays de la CEMAC.
- Compétitivité des prix : Pour les services du FMI, les évaluations du solde des transactions courantes et du taux de change effectif réel (TCER) en 2018 semblent indiquer une légère surévaluation du taux de change et une faiblesse plus marquée de la position extérieure par rapport aux paramètres fondamentaux et aux politiques souhaitables.
- Compétitivité structurelle : Selon les indicateurs de la conduite des affaires de la Banque mondiale (enquête « Doing Business »), les services du FMI ont noté que les progrès enregistrés au classement de la conduite des affaires sont hétérogènes dans la zone CEMAC. Ainsi, entre 2015 et 2018, le Cameroun, la République centrafricaine et le Tchad ont relativement bien progressé, tandis que d’autres pays n’ont guère évolué ou ont même connu une détérioration de la qualité du climat des affaires, notamment le Gabon. En outre, constatent les services du FMI, les indicateurs de gouvernance semblent aussi indiquer des résultats décevants pour les pays de la CEMAC. Selon les « indicateurs de gouvernance » de la Banque mondiale, les pays de la CEMAC sont en retard par rapport aux pays comparables de l’UEMOA et aux pays émergents.
De façon générale, le rapport du FMI fait observer que « les pays de la CEMAC accusent un retard par rapport aux pays comparables de l’UEMOA. La faiblesse des résultats enregistrés par les pays de la CEMAC se retrouve dans toutes les sous-composantes des indicateurs généraux de la conduite des affaires, les obstacles les plus prononcés étant dans les domaines de la création d’entreprises, du raccordement au réseau électrique, de l’octroi de permis de construire, de l’exécution des contrats, et du commerce transfrontalier. En outre, le manque d’infrastructures adéquates et d’approvisionnement fiable en énergie reste problématique, sans parler des procédures de paiement des impôts et de transfert de propriété qui demeurent complexes ». Pour le FMI, ces écarts d’estimation entre l’UEMOA et la CEMAC semblent raisonnables, compte tenu des différences entre les deux unions monétaires sur le plan de la dépendance aux ressources naturelles, de la diversification économique et de la volatilité de la balance des paiements.
Cheickna
Bounajim Cissé, L’émergentier.
[1]Pour
l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), « la compétitivité
reflète la capacité des entreprises d’un pays à exporter ses produits et/ou à
les vendre sur son marché intérieur. Elle dépend non seulement des prix
relatifs à l’exportation et donc des coûts relatifs de production, mais
également de facteurs dits hors-prix qui recouvrent la qualité des produits, le
contenu en innovation, le design ou l’image de marque qui peuvent être liés ou
non aux facteurs précédent » ; en ligne : « La quête de la
compétitivité ouvre la voie de la déflation », Revue de l'OFCE, 2013/3 (N°
129), p. 251-297. DOI : 10.3917/reof.129.0251. URL : https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2013-3-page-251.htm.
Selon l'OCDE, il s'agit de « la capacité d'entreprises, d'industries, de
régions, de nations ou d'ensembles supranationaux de générer de façon durable
un revenu et un niveau d'emploi relativement élevés, tout en étant et restant
exposés à la concurrence internationale. »
[2] Fonds
Monétaire International (FMI), Rapport n° 2018/106 de mai 2018 sur l’UEMOA et Rapport
n° 19/1 de février 2019 sur la CEMAC.
[3] En ligne :
www.jeuneafrique.com/360706/economie/bonnes-feuilles-sortir-lafrique-de-servitude-monetaire-a-profite-franc-cfa/
[4] Le taux de change
effectif réel est le prix relatif intérieur comparé à la moyenne des prix des
partenaires convertis en monnaie nationale. Le taux de change effectif réel
d’un pays permet d'établir dans quelle mesure les variations des taux de change,
des prix ou des coûts, dans différents Etats partenaires et concurrents
étrangers influencent la compétitivité du pays concerné. Une appréciation du
taux de change effectif réel (TCER) est associée à une perte de compétitivité
et une dépréciation de cet indice traduit un gain en la matière (Source :
BCEAO, Rapport sur la compétitivité des économies de l’UEMOA, juin 2013).
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