lundi 12 août 2019

Monnaie unique de la CEDEAO : L’échéance 2020 est-elle tenable ?


L’émergentier Cheickna Bounajim Cissé, auteur de « FCFA - Face Cachée de la Finance Africaine » (BoD, 2019), analyse les enjeux et les contours de la future monnaie unique de la CEDEAO. (5e partie du dossier "Les échos de l'ECO")
(Financial Afrik a publié le dossier complet. A lire avec le lien suivant : https://www.financialafrik.com/2019/07/21/les-echos-de-leco/)

La monnaie unique de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) était attendue et désirée. Avec espoir et crainte. La voilà… Pourrait-on d’ailleurs en dire : Enfin ! Une gestation bien particulière, trois voire quatre décennies d’attente, avec pas moins de quatre fausses couches (2003, 2005, 2009, 2015). Maintes fois annoncée, autant de fois repoussée, la future monnaie de la CEDEAO a été baptisée officiellement « ECO » par la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement tenue le 29 juin 2019 à Abuja, au Nigéria. C’est un évènement historique pour les populations de cet espace communautaire, à qui leurs dirigeants promettent la mise en circulation des premiers billets dès 2020. 


Créée par le Traité de Lagos le 28 mai 1975, la CEDEAO regroupe 15 Etats membres répartis dans deux zones monétaires, à savoir l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), créée le 12 mai 1962, qui comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, et la Zone monétaire ouest-africaine (ZMOA), créée le 20 avril 2000, composée de la Gambie, du Ghana, de la Guinée, du Liberia, du Nigeria, de la Sierra Leone. Le Cap-Vert, bien que membre de la CEDEAO, ne fait partie d’aucune de ces deux zones monétaires. Là, depuis près d’une décennie, il s’y déroule un étrange tour de passe-passe monétaire entre pays « convergents » (UMOA) et pays « divergents » (ZMAO), de quoi donner le tournis aux populations ouest-africaines qui sont totalement immunisées contre les fausses promesses de leurs dirigeants. 

Actuellement, il y a huit monnaies différentes, pour l’essentiel non convertibles, qui circulent dans l’espace CEDEAO. En plus du franc CFA utilisé par les huit Etats membres de l’UMOA, les sept autres pays ouest-africains ont chacun leur propre devise (Cédi, Dalasi, Dollar libérien, Escudo cap-verdien, Franc guinéen, Leone, Naira). Il y a deux types de régimes de change en cours dans l’espace CEDEAO : un régime de change fixe dans la zone UMOA et au Cap-Vert et un régime flexible dans les pays de la ZMOA. Deux monnaies sont arrimées à l’euro à parité fixe, à savoir le franc CFA (accord de coopération monétaire avec la France de décembre 1973) et l’escudo cap-verdien (accord de coopération monétaire avec le Portugal de mars 1998). A terme, les huit monnaies en circulation dans l’espace CEDEAO devront disparaître pour laisser place à l’ECO. 


La CEDEAO en quelques chiffres

La CEDEAO est l’une des huit communautés économiques régionales (CER) formellement identifiées par l’Union africaine (UA) comme étant les piliers de l’intégration continentale. Elle a des mensurations des plus respectables :

-          Marché de 367 millions de consommateurs (5% de la population mondiale ; 3e « pays » du monde, après la Chine et l’Inde et devant les États-Unis) ;
-          Superficie de 5 120 945 km² (3,4% des terres de la planète ; 7e « pays » du monde, devant l’Inde et derrière l’Australie) ;
-          PIB de 551 milliards de dollars (20e économie mondiale) ;
-          Commerce extérieur de 144,4 milliards de dollars US en 2016 (1,1% du commerce mondial). Cependant, les échanges intra-communautaires sont très faibles. Seulement 10,6% des exportations et 7,8% des importations sont réalisées entre les pays membres de la CEDEAO ;
-          Ressources agricoles, hydrauliques et minières exceptionnelles (parmi les plus importantes du monde). 


La future Zone ECO ressemblera étrangement à sa devancière européenne, la Zone EURO. La superficie et la taille de la population sont presque identiques. Mais là s’arrête la similitude entre les deux unions monétaires. Avec un PIB de 12 635 milliards de dollars US en 2017, la Zone EURO a réalisé en seulement 16 jours l’équivalent d’une année de production de la CEDEAO. Le niveau de vie de l’Européen moyen, mesuré par le PIB par habitant (33 229 euros), est supérieur de 24 fois à celui de l’Africain moyen vivant dans l’espace CEDEAO (1 370 euros).

Convergence vs divergence

Les dirigeants de la CEDEAO font du respect des critères de convergence un préalable au lancement de la monnaie unique. Cet avis est partagé par beaucoup d’économistes[1]. Pourtant, pour les experts de la Banque africaine de développement (BAD), cet argument ne résiste pas à une analyse rigoureuse. Pour l’institution financière continentale, la convergence « doit être vue comme un objectif permanent et non comme une condition préalable à l’adhésion à une union monétaire ». Elle ajoute que « l’absence de convergence économique ne doit pas être un obstacle infranchissable, même s’il faut la rechercher dans un processus d’intégration monétaire visant la création d’une monnaie unique. Les pays doivent donc apprendre à vivre avec la monnaie unique tout en acceptant un niveau raisonnable de divergence entre leurs économies. La solidarité entre les pays membres, qui passe notamment par les transferts entre états, peut atténuer les impacts de ces divergences sans les éliminer totalement.[2] »



Rapport de convergence macroéconomique 2018 de la CEDEAO
La CEDEAO a enregistré une croissance de 3,0% en 2018 contre 2,3% en 2017. Elle devrait connaître une croissance de 3,4% en 2019. 

En ce qui concerne l'état de la convergence macroéconomique en 2018, le rapport a indiqué que les performances des États membres se sont légèrement détériorées par rapport à celles de 2017. Quant aux performances au titre des critères primaires en 2018, on observe que la situation s'est détériorée pour le critère du déficit budgétaire, vu que cinq (5) pays respectent la norme, contre sept (7) en 2017. Par contre, l’on a noté des améliorations en termes de conformité aux critères relatifs à l'inflation et au financement du déficit budgétaire par la Banque centrale avec un pays supplémentaire, portant respectivement à 12 et à 14 le nombre total de pays qui respectent ces critères. La performance au titre du critère des réserves brutes en mois d’importations est restée stable en 2018 avec quatorze (14) pays comme en 2017. 

Globalement, aucun pays n’a respecté tous les critères de convergence en 2018 contre trois (3) en 2017. Seuls deux (2) pays ont respecté tous les critères de convergence de premier rang en 2018 contre quatre (4) en 2017. Cependant, onze (11) pays ont respecté tous les critères de second rang en 2018 contre dix (10) pays en 2017.
En ce qui concerne les performances au titre des critères secondaires en 2018, les États membres ont obtenu des résultats améliorés en termes de stabilité du taux de change nominal ; deux (2) pays supplémentaires ont rempli les critères, ce qui porte à quatorze (14) le nombre total de pays. S’agissant de la conformité au critère de la dette publique, la situation est demeurée inchangée, avec douze (12) pays respectant la norme en 2017 et 2018.




Aucun pays de la CEDEAO n’a respecté tous les critères de convergence en 2018. A moins d’un semestre de l’échéance tant attendue, tel est le constat alarmant fait par le Président du Comité technique sur le Programme de la Monnaie Unique de la CEDEAO, Dr. Moses Tule, par ailleurs Directeur de la politique monétaire de la Banque centrale du Nigeria (CBN). Dans son rapport sur la convergence macroéconomique (encadré ci-dessus) présenté devant le Comité ministériel des 17-18 juin 2019, il indique que les performances des États membres se sont même légèrement détériorées par rapport à celles de 2017. Pour y voir plus clair, le Comité a recommandé que les pays transmettent à la Commission de la CEDEAO leurs programmes pluriannuels de convergence pour la période 2020-2024, d’ici le 31 octobre 2019.

A moins de cinq petits mois de l'échéance 2020, la réalité imposera-t-elle de nouveaux ajustements de calendrier ?

La réponse est contenue dans le communiqué de la cinquante-cinquième session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO du 29 juin 2019 à Abuja, au Nigéria et dans le Rapport final de la réunion du Comité ministériel sur le programme de la monnaie unique de la CEDEAO tenue à Abidjan, les 17-18 juin 2019.

Au-delà des aspects politiques, deux contraintes techniques essentielles peuvent se poser, à savoir le financement du projet de la monnaie unique et le respect des critères de convergence.

Sur le premier point, le Comité Ministériel a déploré « le retard dans l'exécution de certaines activités de la feuille de route en raison de contraintes de ressources humaines et financières des institutions en charge de leur mise en œuvre ». En clair, le financement du projet de la monnaie unique de la CEDEAO n’est pas bouclé. Dans la coutume malienne, on a l'habitude de charrier le jeune candidat au mariage quand il estime que toutes les formalités sont acquises sauf le grisbi. Il lui ait alors rappelé que si ça ne reste que ça alors les préparatifs du mariage n'ont même pas commencé.

Pour ce qui est du second point, comme indiqué plus haut, les dirigeants ouest-africains ont opté pour une « approche graduelle », en privilégiant le démarrage avec les Etats membres qui respectent les critères de convergence. Ce faisant, ils ont validé la démarche prudente (Option 2) préconisée par la réunion inaugurale du Groupe de travail présidentiel organisée en février 2014 à Niamey, au Niger. Ce choix comporte le risque majeur que l’union monétaire de la CEDEAO ne soit qu’une version évoluée de l’UMOA. Autrement que l’ECO ne soit qu’un « clone » du franc CFA, comme le prédisent les mauvaises langues[3]. En effet, s’il y a de fortes chances, à la ligne de départ en 2020, qu’on ne puisse compter que les huit pays de l’UMOA, avec peut-être le Cap-Vert et dans une moindre mesure le Ghana, le forfait du géant nigérian est quasi certain à cette date[4] 


Les économistes de la BAD Ferdinand Bakoup et Daniel Ndoye semblent partager cette inquiétude. Ils auraient préféré, pour ne pas « affecter la crédibilité du processus », la mise en œuvre de l’option du « Big-Bang ». Ce scénario consiste à un démarrage groupé de tous les 15 pays de la CEDEAO à l’échéance de 2020, quitte à prendre quelques largesses avec les critères de convergence[5].  Néanmoins, la BAD attire l’attention sur certains points de vigilance : « Trois mesures critiques, qui ne sont pas à ce jour prises en charge suffisamment, devraient être pleinement mises en œuvre pour respecter l’échéance 2020 : (i) élaboration de la stratégie et des procédures de la politique monétaire unique de la future union monétaire de la CEDEAO ; (ii) élaboration d’un traité instituant l’union monétaire entre les pays membres de la CEDEAO et sa ratification dans tous les pays membres ; et (iii) élaboration, adoption et ratification des statuts de la future Banque centrale de la CEDEAO dans tous les pays membres. Idéalement, ces tâches devraient être réalisées avant 2017 pour un lancement de la monnaie unique en 2020 ».

Aussi, les experts de la BAD tiennent à rappeler deux principes essentiels dans la construction d’une union monétaire : le principe de l’équité et le principe de la solidarité. Ils s’expliquent : « Le cadre de gestion doit en effet assurer que chaque pays puisse bénéficier des réserves qu’il a permis de constituer. Mais il doit aussi prévoir des mécanismes qui permettent aux pays en grande difficulté d’accéder temporairement à des réserves provenant des autres pays, dans le but d’aider non seulement les pays en question, mais d’éviter toute répercussion sur la monnaie commune, comme l’illustre le cas actuel de la Grèce dans la Zone euro ».

Pour le respect de l’échéance 2020, la sagesse nous suggère de nous en tenir au réalisme du ministre togolais des Affaires étrangères du Togo Robert Dussey qui déclarait : « En 2020, nous sommes dans la dynamique de création de cette monnaie. Mais évidemment, il ne faut pas se leurrer, il n’y aura pas une monnaie palpable, un billet d’ECO que tout le monde verra en 2020.[6] »

En définitive, le Comité ministériel a peut-être raison quand il évoque « la longue marche[7] » vers la création de la monnaie unique de la CEDEAO. Les populations africaines patientent, impatiemment, depuis 30 ans voire 40 ans pour avoir les premiers billets d’ECO dans leur portefeuille. Il va falloir qu’elles fassent du temps leur meilleur allié. L’assemblage d’éléments dissemblables demande plus que de la patience. Il exige de la persévérance et de l’endurance. Le sage Li Er ne disait-il pas que le voyage de mille lieues a toujours commencé par un premier pas ?

L'émergentier.



[1] « La convergence des économies est souvent présentée dans la littérature comme une condition essentielle au succès de tout processus d’intégration monétaire. L’importance de la convergence trouve sa source dans la théorie des zones monétaires optimales de l’économiste canadien R. Mundell. Selon cette théorie, plusieurs facteurs peuvent entraver la viabilité d’une union monétaire – une forte asymétrie des chocs, une faible mobilité des facteurs de production au sein de la zone et l’absence de mécanismes de transferts –, les pays membres perdant l’usage de leur politique monétaire en tant qu’instrument d’ajustement aux chocs » ; en ligne : www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/AEB_Vol_7_Issue_1_2016_POURQUOI_ET_QUAND_INSTAURER_UNE_MONNAIE_UNIQUE_DANS_LA_CEDEAO.pdf
[2] https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/AEB_Vol_7_Issue_1_2016_POURQUOI_ET_QUAND_INSTAURER_UNE_MONNAIE_UNIQUE_DANS_LA_CEDEAO.pdf
[3] https://cbcisse2.blogspot.com/2019/07/monnaie-unique-de-la-cedeao-divorce-ou.html
[4] https://cbcisse2.blogspot.com/2019/07/monnaie-unique-de-la-cedeao-nigeria.html
[5] En d’autres termes, tous les pays membres participeraient à la monnaie unique en 2020, et ceux qui ne pourraient pas respecter les critères de convergence ex ante pourraient le faire ex post.
[6] https://www.dw.com/fr/pas-de-billets-eco-en-circulation-dès-2020/av-49463237
[7] Réunion du Comité ministériel sur le programme de la monnaie unique de la CEDEAO, Rapport final, Abidjan, Côte d’Ivoire, 17-18 juin 2019.

1 commentaire:

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