La vie de certaines banques
s’apparente aux signes de ponctuation. Celle qui se donne à conter en fait
partie. Dans son long parcours presque centenaire, elle n’a connu que deux
phrases. Pour mieux dire, une seule. Celle qui a commencé, aux lendemains de la
première guerre mondiale, par une majuscule et qui s’est terminée par un point,
il y a juste une vingtaine d’années. Et depuis, la seconde phrase peine à
trouver son point.
Le point, le point-virgule et la virgule. Les Grecs en
inventant ces signes de ponctuation ne se doutaient pas qu’ils allaient résumer
deux millénaires plus tard la vie – dans sa partie la plus faste – d’une banque
centenaire en Afrique.
A la sortie de la première guerre mondiale, la puissance coloniale
installa son bras financier en Afrique noire. Le dessein n’était nullement le
développement des populations indigènes. Mais, bien au contraire, il s’agissait
d’affermir la domination de la France sur ses colonies en essaimant le modèle
économique de l’Empire. Fraîchement
auto-proclamé « Empereur des Français », Louis-Napoléon Bonaparte
signe le décret impérial qui crée la Banque du Sénégal le 21 décembre 1853. Ce
fut le début d’un long processus qui va donner naissance au franc CFA
(anciennement Colonies Françaises d’Afrique), le grand serpent de mer qui
continue d’enlacer l’économie de 14 pays africains de la Zone franc. Au-delà de
cette monnaie commune, la France conquérante va installer des succursales
bancaires dans chacune de ses colonies pour y porter sa politique monétaire et
servir de tremplin financier à ses entreprises.
C’est dans ce contexte que la succursale de la BAO (Banque de
l’Afrique Occidentale) prit ses quartiers sur les berges de la « Mer
rouge », dans la vallée coincée entre la colline du pouvoir et celle du
savoir. Trois signes de ponctuation donnèrent à la banque ses lettres de noblesse.
D’autant que lorsque le point-virgule apparut, point de contestation. Ce fut
une pause moyenne qui eut bien été précédée d’une espace fine insécable. Le
dirigeant de l’époque, un colosse de neurones et de muscles, fraîchement
débarqué de la France, aux termes de brillantes études, s’imposa à ses
collègues et à ses pairs. Pour autant, une transition fut nécessaire consacrant
quelques longs mois d’apprentissage à deux, le sortant français et lui, le
rentrant africain. La filialisation de la banque servit de prétexte à cette
virgule.
L’interrobang
Depuis une vingtaine d’années, marquant le départ de son
dirigeant emblématique dont le parcours s’est confondu à la banque, celle-ci
est abonnée à la zone de turbulence où les points d’interrogation rivalisent
avec les points d’exclamation.
Plusieurs personnes atypiques ont pris place dans le cockpit
sans jamais réussir un plan de vol correct encore moins à poser l’objet volant
au sol. Le summum a été atteint à la fin du précédent millénaire avec le
premier point exclarrogatif. La banque fortement secouée de l’intérieur,
financièrement et socialement, a été conduite aux urgences et hospitalisée pendant
un quinquennat. Les médecins, venus de loin à son chevet, n’avaient d’autre choix que de lui
administrer la forte dose. A leurs côtés, un jeune contrôleur hardiment promu
veillait au grain. Il n’allait pas faire dans la dentelle. Il s’est alors
construit une image d’un personnage « anti-corruption », rigoureux,
teigneux et presque kamikaze. Et son périmètre d’actions n’a épargné aucun
domaine d’activités de la banque, y compris celui de son mandant. Cette
parenthèse qui a duré cinq longues années est intéressante à plus d’un titre.
Elle consacra définitivement la résilience de la banque que seuls les points de
suspension peuvent décrire…
Vint alors, le printemps 2006. Il n’en fallu pas moins
recourir aux crochets pour écrire une nouvelle page de l’histoire de la banque.
Pour la décrire, il nous faut deux signes : le deux-points et les
guillemets. Ils symbolisent le prologue de la mission confiée par les géniteurs
de la promise au nouveau maître de céans :
« Jeune homme, tes talents cornéliens nous sont connus et ta vie de
portefaix ne nous est pas étrangère. Nous te confions notre fille. Pour mieux
te la décrire, nous allons avec une erreur de parallaxe emprunter une des
nombreuses amabilités échangées lors de l’avant-dernière campagne
présidentielle française « Elle est acariâtre de l’extérieur mais attrayante de
l’intérieur ». Notre fille n’est pas à son premier mariage. Ni à son deuxième.
A l’époque, notre bonne volonté et même notre appui n’avaient pas eu raison des
infidélités de notre indélicat gendre. Trois ans après, le divorce dû être
consommé suite à la mise en bière du dandy. Depuis, plus d’une décennie s’est
écoulée et nous restons inféoder de la hantise félonne. Surtout que – précision
de taille – notre fille, à la suite d’une longue et forte dépression a été
hospitalisée pendant cinq ans. Fort heureusement, elle est sortie de cette
situation cauchemardesque. Elle est rentrée à la maison. Mais son état
demeurant fragile, les médecins l’ont mise sous « surveillance rapprochée ».
Donc, soyons francs. Aucune raison de t’abrier la réalité. La rudesse du temps
a eu raison de notre fille qui est aujourd’hui une maritorne ménopausée et
effarée. Pour autant, les linéaments de son faciès ne sont pas dénués de tout
attrait. Ses rides montrent bien qu’elle a de l’expérience et sa sérénité est
le signe d’une bonne éducation. N’oubliez surtout pas, jeune homme, l’adage du
terroir : « ce sont les vieilles marmites qui font les bonnes sauces ».
Pour apprécier les talents culinaires de notre fille, faudrait-il que vous
puissiez l’élire femme. Point de tromperie ! Sa présence, à nos côtés, ne nous
courrouce point. Bien au contraire ! Mais notre mécène [les bailleurs de fonds]
estime qu’elle est pesante. Un veuvage prolongé n’est donc pas un bon signe
extérieur. Les riverains ne cessent de nous épier. C’est dire que nous sommes
pour des secondes noces. Mais pas pour n’importe quel mariage ! Une union à la
hauteur de l’expérience de notre fille et qui puisse nous contenter par la
qualité de son contractant. Bref, soyons donc concis et précis. Nous voulons
que notre fille soit une nymphette courtisée par les plus grandes cours. Nous
voulons le « juste prix ». Pour ce qui est de la date des noces, nous en
conviendrons plus tard. »
Pour une histoire sacrée, c’est vraiment une sacrée histoire
! Cette allégorie est un concentré d’émotions métonymiques qui n’est en réalité
qu’une fabulation. Elle a néanmoins l’avantage d’un raccourci de la longue
histoire de l’établissement bancaire.
Muni de sa feuille de route conçue à deux, le nouveau
dirigeant de la banque plantureusement caporalisé par souche et par envie, va
mettre la banque en mouvements en extirpant de chacun de ses compartiments
assez de jus pour mener à bien sa mission. « Il n’y a pas deux commandants
dans le bateau ! » aimait-il répéter pour se détacher des brusqueries
de son intrépide acolyte. Il n’a pas totalement tort, le ciel aussi n’a pas
deux soleils. Ses deux conseillers invités à souper n’avaient pas droit à la
louche. Le jeune banquier avait appris de Clemenceau que pour diriger,
« il faut un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop ».
En deux années chrono, le processus de privatisation de la
banque fut bouclé et la clé des lieux remise aux nouveaux maîtres. Entretemps,
l’Etat empocha plus de vingt fois sa mise. Comme pour toutes les belles
histoires, la fin est toujours mouvementée. Gardons-nous de ne retenir dans cet
épisode à feu de paille que l’étincelle, en veillant à laisser aux diaristes le
soin de fermer les guillemets. Les sages africains nous enseignent que
« la vérité peut se promener toute nue, mais les mensonges doivent être
habillés ».
Le canapé
managérial
On prête à un ancien président ivoirien une ironie presque
tautologique : « Il n’y a pas de canapé présidentiel, il y a un fauteuil
présidentiel ». Dans le secteur bancaire, cette assertion presque triviale
n’est pas toujours de mise. Le canapé s’est souvent invité chez les patrons de
banque, tantôt pour diriger, tantôt pour faire diriger, tantôt pour être
dirigé.
Tenez ! Parlant de canapé, un ancien dirigeant a préféré
ce confortable meuble durant ces sept années au gouvernail de la banque au
compact fauteuil « ministériel » qui semble-t-il aurait été envouté.
Chat échaudé craint l’eau froide aimait-on dire. Pour ce dirigeant, « la
banque est le carrefour de toutes les tentations ». Il n’a pas su mieux
dire. Tant les appétences, les contrevents, les ressentiments, les amulettes,
les talismans et autres décoctions détonantes sont légion dans le milieu du
commerce de l’argent en Afrique. A chacun son marchepied, son chausse-pied, son
essuie-pieds et … son casse-pieds. A défaut d’illuminer par son savoir pour
s’imposer, on fulmine par son pouvoir pour se poser. Et tout y passe, du
détenteur de « pouvoirs mystiques » aux effeuilleuses de charme en
passant par les « fils et filles à papa et maman » largement
bichonnés aux frais de la princesse. La banque est une entreprise sous pression
constante. Et son lit n’est jamais un fleuve tranquille.
En 2008, la parenthèse malienne qui a duré trois décennies se
referme presque dans la douleur et l’espoir. La peine de tourner une page qui
s’est finalement construite pour servir de marchepied à son initiateur et de
chausse-pied à son géniteur. Et la perspective, le souhait de ces centaines de
chefs de famille, d’un départ définitif vers de lendemains plus apaisés.
Pour décrire ce énième épisode de la vie de la banque, aucun
signe de ponctuation traditionnel ne trouve grâce à nos yeux. Pourtant, notre persévérance
à en trouver finit par payer. Nous avons fait la rencontre de trois signes,
aussi inédits qu’insolites : la virgule d’exclamation, le point d’ironie
et le point exclarrogatif. Ils offrent l’avantage unique d’embrasser les trois
phases de la « nouvelle page » : le passé, le présent et le
futur. Cela vous sera conter une prochaine fois. En attendant, souffrez de
découvrir sa trame inspirée par le tribun français Hervé Sérieyx :
« Quand on affronte les réalités de demain avec les idées d’hier, on a les
drames d’aujourd’hui ». Attention ! L’aveugle qui perd son morceau de sel
finira par ramasser tous les petits cailloux à sa portée pour les porter à sa
bouche.
Conclusion
Un mercato peut en cacher un autre.
Après le mercato footballistique et dans l’imminence du mercato politique dans
l’Hexagone, voici que le mercato bancaire s’invite en terres africaines, sous
les tropiques et sur les dunes de sable. Marhababikoum ! Akwaba ! I
Bismillah ! Dalal ak diam ! Sous peu, une grande inconnue pourrait
faire jour : l’interrobang, personnage à la fois interrogatif et
exclamatif. Ne pouvant lire dans une boule de cristal, les colles étreignent
notre muse. Trouver en ces temps mouvants et incertains en Afrique
subsaharienne, des dirigeants « à bonne pointure », sans grandes
casseroles, n’est pas chosée aisée pour les groupes bancaires. Pourtant, les
sages africains ont leur idée : « Mieux vaut un vieux lion rassasié
au pouvoir qu’un jeune lion affamé ».
Mais l’heure n’est plus aux arcanes
et aux charades. Il n’est point utile de phosphorer aujourd’hui sur l’adiposité
d’un bélier qui doit être dépecé le lendemain. En effet, il nous est revenu que
la lune a été aperçue au fond d’un puits, non loin des vagues de sable et des
dunes de la mer. Après un mois de carême bien rempli, est-ce pour nous annoncer
une délivrance ou pour nous imposer une nouvelle abstinence ? A quand le
point final, celui qui achèvera la seconde phrase, pleine de rebondissements et
d’incertitudes, et qui court depuis une vingtaine d’années ? La morale de
notre récit nous est inspirée par Cocteau : « Un beau Livre, celui qui sème à foison les points
d'interrogation... » Alors, « interrobangons »-nous ‽
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