Depuis près d’une décennie, le secteur bancaire malien
connait une évolution protéiforme. En dépit d’une situation
politico-sécuritaire très difficile en 2012, les banques maliennes ont fait
preuve d’une double résilience. D’abord, face à une récession économique interne
marquée par un recul (-1,2%) du produit intérieur brut (PIB), le secteur
bancaire a enregistré une augmentation de 6,2% de ses actifs qui passent de
FCFA 2 041,3 milliards à 2 168,6 milliards entre 2011 et 2012. Le
produit net bancaire (PNB) s’est aussi apprécié de 3,4% en se fixant à 148,2
milliards en 2012 contre 143,3 milliards la précédente année. Le résultat net
des banques maliennes, après le provisionnement des sinistres causés par la
crise, ressort à 28,7 milliards, en hausse de 10,1% par rapport à 2011. En
vérité, indépendamment du contexte de crise, le secteur bancaire malien croît
structurellement plus vite que l’économie nationale qu’il est censé financer.
Ensuite, et ce n’est plus un fait nouveau, face à une crise multiforme qui
perdure sur le continent européen, principal partenaire du Mali, les transferts
des migrants (maliens de l’extérieur) se sont appréciés de 8,1% en 2012. Ces
fonds sont principalement logés dans les comptes d’épargne à régime spécial des
établissements bancaires qui ont aussi augmenté dans la même proportion (8,3%)
passant de 233,5 milliards à 252,9 milliards entre 2011 et 2012.
L’objectif
de ce papier est de fournir aux lecteurs les clés de compréhension pour
décrypter et mieux cerner le paysage bancaire malien.
Les
sources (statistiques) privilégiées pour cette étude sont principalement les
publications de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Ce
parti pris répond à un triple objectif. D’abord de fiabilité, du fait que
certaines informations disponibles dans la presse et sur les sites officiels
des établissements de crédit relèvent de la communication institutionnelle.
Ensuite par souci d’harmonisation, du fait que toutes les banques ne disposent pas
de site internet mis à jour. La BCEAO et la Commission Bancaire, jouissent
d’une bonne crédibilité reconnue au-delà des frontières sous-régionales,
imputable en grande partie au professionnalisme de leurs équipes et à la
neutralité de l’institut d’émission communautaire. Ces qualités ont aussi prévalu
à notre choix qui du reste présente des limites. Les rapports annuels de la
Commission Bancaire qui constituent l’ossature de nos références sont élaborés,
en grande partie, sur la base des données provisoires. Celles-ci peuvent
différer, légèrement, des chiffres définitifs issus de la certification des
Commissaires aux comptes. S’agissant des comptes de gestion des établissements
de crédit, les données les plus récentes disponibles sur le site de la BCEAO
remontent à 2011. Une date plus récente aurait pu donner une fraîcheur plus
consistante à notre analyse, et nous rapprocher davantage de la réalité.
L’analyse
du secteur bancaire malien n’a pas été une sinécure pour trois raisons. Primo,
le fait partisan que notre qualité de praticien de banque pourrait supposer.
Secundo, le recul et la rigueur que la démarche exigeait. Tertio, l’absence de
références similaires. Nos collègues banquiers en Afrique aiment lire tout ce
qui touche de près ou de loin à leur profession, mais de là à écrire pour partager
leur témoignage et leur expérience, l’herbe a tout le temps de se transformer
en lait. C’est dire donc que l’exercice n’a pas été facile. Nous nous sommes interrogé :
Comment être à son balcon et se voir passer dans la rue, être dans l’action
et se regarder en train d’agir ?[1] Pour
Barsoux et Schneider, ‘’la question n’est pas simple car elle revient à
demander au poisson d’expliquer ce qu’est nager. Une fois échoué sur la plage,
il est tout à fait conscient de la différence’’[2]. Le
poète breton Brizeux résume bien la difficulté de la démarche : « Il
faut un long apprentissage pour laisser pleuvoir quand il pleut ». Dans
cette manœuvre délicate, nous avons utilisé la « méthode Boeing »[3]. Elle
consiste à nous métamorphoser à un tiers, un étranger libre de tout préjugé et
non astreint à de contraintes majeures, pouvant ainsi « remarquer
l’absence d’habits neufs de l’Empereur »[4]. Une
telle approche objectivante nous est parue nécessaire pour traiter d’un sujet
aussi sensible et critiquable. Pour éviter un éventuel enlisement, le style
rédactionnel prend souvent une allure parabolique et quelques fois sibylline
avec un usage marqué d’images, de métaphores et de proverbes. La culture
malienne enseigne que les choses graves peuvent être dites sans tristesse. L’objectif
est de crédibiliser la démarche. Pour emprunter à mon professeur Jean-Pierre
Helfer, ‘’on aurait fait un grand pas dans le sens du pragmatisme et de la
réconciliation. On aura alors compris que dans la boîte à outils du diagnostic
stratégique, il est bien préférable de disposer d’un marteau et d’un tournevis
tout en sachant que l’on cloue mieux avec un marteau qu’avec un tournevis et
que l’on visse mieux avec un tournevis qu’avec un marteau. Rares sont les
meubles entièrement vissés ou entièrement cloutés : on y retrouve
généralement les deux catégories de pointes’’. Pour le célèbre conférencier
français, Hervé Sérieyx ‘’ce sont les qualités de l’ébéniste qui font la
beauté des meubles’’.
La
présente étude est articulée en quatre points :
- Le positionnement dans la sous-région
- Les grandes tendances du secteur bancaire
- La dynamique du marché bancaire
- Le classement des banques maliennes
I-
Le positionnement du secteur bancaire malien dans la
sous-région
Au 31
décembre 2012, avec une part de marché de 12,5%, le marché bancaire malien a
perdu une place au classement de la Commission Bancaire de l’Union monétaire
ouest-africaine (UMOA). Il a été relégué au 4ème rang par ordre
d’importance, derrière la Côte d’Ivoire (27,3%), le Sénégal (21,0%) et le
Burkina Faso (13,2%), presque à égalité avec le Bénin (12,4%).
II-
Les grandes tendances du secteur bancaire malien
Au 31 décembre 2012, le paysage bancaire du Mali était
composé de 15 établissements de crédit en activité (13 banques et 2 établissements financiers) avec des actifs
totalisant 1 267,6 milliards de FCFA
et un effectif de 2 798 personnes (dont 45% de cadres) au service de 1,2 million de comptes dans 328 guichets
bancaires. Globalement, la situation des établissements de crédit implantés au
Mali est bien tenue à travers un dispositif prudentiel communautaire opérant et
évolutif.
·
Sous-bancarisation
En
dépit d’importants efforts consentis ces dernières années, la situation de la
bancarisation au Mali reste toujours préoccupante. Selon le dernier rapport
annuel de la Commission Bancaire, elle s’est même détériorée en 2012 avec un
taux de pénétration des services bancaires de 7,4%, en retrait de 1,7 point par
rapport à son niveau de 2011. Ce ratio varie de 1,9% pour le Niger à 11,9% pour
la Côte d’Ivoire. Près d’un siècle après l’implantation du premier guichet
bancaire dans le pays[5], au moins 9 maliens sur 10
ne disposent toujours pas de compte bancaire. Au Maroc, plus de la moitié de la
population est bancarisée. En France, il y a plus de comptes bancaires que
d’âmes qui y vivent. Au Mali, la majorité des personnes desservies vivent en
milieu rural et dans les zones dites défavorisées. Faut-il donc exclure du
service bancaire une frange importante de la population pour le simple fait de
son lieu de résidence ? A y regarder de très près, les 328 guichets
bancaires inventoriés par la Commission Bancaire en 2012 sont implantés,
principalement, à Bamako et dans les grandes villes du Mali. Et même dans ces
localités, la concentration reste marquée dans les quartiers d’affaires et dans
une moindre mesure dans les lieux à forte concentration humaine. En effet, le
ratio de pénétration démographique au Mali est de 1 guichet bancaire pour 46
951 personnes (contre 38 842 au Sénégal et 137 719 au Niger). La
norme généralement admise sur le plan international est d’un guichet bancaire
pour 5 000 habitants. En France, elle est moins de 2 500 personnes pour
une implantation. Sur le plan de la couverture géographique, la densité et la capillarité du réseau de distribution des
banques
maliennes ne sont pas performantes. Le maillage du territoire malien est servi
avec un guichet bancaire pour 3 781 km² contre une moyenne de 1 800
dans l’UEMOA, 324 au Togo et 11 114 au Niger. Le Sénégal, avec un ratio de
543, dispose d’un bon alliage géo-démographique grâce au dynamisme de son
réseau bancaire, l’un des plus anciens d’Afrique et l’un des plus denses de la
sous-région.
Les raisons de cette sous-bancarisation sont multiples. Au
Mali, les agences auxiliaires de la BCEAO, en sus de l’Agence principale de
Bamako, sont au nombre de deux (Mopti et Sikasso). Il n’existe aucune
implantation de la Banque Centrale dans les régions orientale et septentrionale
du pays. Cette absence freine la politique d’extension de réseau des banques commerciales
et n’offre pas de « filet de sécurité » aux agences bancaires de
céans. En 2012, suite à la crise militaro-civile, les banques maliennes
installées dans le nord du pays ont enregistré d’importants sinistres. Presque
tout a été perdu, du fiduciaire jusqu’au mobilier sans oublier les clients avec
à la clé le personnel en poste sur les bras.
Selon une étude de l’Observatoire du Développement Humain
Durable et de la Lutte Contre la Pauvreté (ODHD/LP)[6],
« les activités bancaires au même
titre que les autres branches du secteur privé ont subi des dommages qui sont :
les pertes d’encaisses détenues dans les banques, l’exposition aux risques
d’approvisionnement et les dégâts matériels. S’agissant des zones occupées, les
pertes enregistrées par les banques au titre des encaisses emportées par les
rebelles, au 30 avril 2012 totalisent 3824,47 millions de FCFA ; les encours
bancaires à la clientèle s’élèvent à 11852,77 millions de FCFA et les dégâts
matériels évalués à 2091,38 millions de FCFA. Le personnel des agences du nord
redéployés est au nombre de 74 ».
Dans ces conditions, comment voulez-vous que les
établissements de crédit s’implantent dans les zones défavorisées du pays, dites
comme tel parce que dépourvues d’infrastructures de base nécessaires à
l’exercice de l’activité bancaire, si la puissance publique et monétaire
ne consent pas à s’y installer ? La réponse à cette question mérite l’affirmation
d’un postulat connu de tous. Les banques maliennes sont d’abord des entreprises
commerciales. Au-delà de certains slogans à connotation RSE (banque citoyenne
par exemple) qui peuvent être diffusées çà et là, les établissements de crédit au
Mali, dans leur format actuel, n’ont pas vocation à assurer et à assumer une
mission de service public. Cependant, et c’est notre avis, cela n’empêche pas
l’Etat malien de convenir avec le monde de la finance d’un Pacte pour la
promotion de la bancarisation et le financement de l’économie nationale.
Cette sous-bancarisation est une réelle opportunité pour
tous les groupes bancaires étrangers, à l’étroit sur leur marché local et en
quête de relais de croissance. Elle constitue néanmoins un véritable handicap
pour le décollage des économies des pays de l’UEMOA. En tout état de cause, il
urge de prendre des initiatives vigoureuses et audacieuses pour infléchir
durablement la tendance et faire en sorte que dans un avenir proche (horizon
2030), la moitié des maliens puisse avoir accès à un service bancaire de
qualité, à portée de main et de bourse. Et pour ce faire, ce ne sont pas les
idées qui manquent. Dans un article publié sur la situation des banques de
l’espace UEMOA[7],
nous avons égrené plusieurs propositions non sans au préalable inventorier les principales
initiatives prises dans certains pays pour booster l’inclusion financière. Des mesures
importantes qui ont donné de bons résultats. On peut citer :
• l'approche française: elle est basée sur un arsenal
juridique fourni et évolutif pour obliger les populations à ouvrir un compte en
banque. L'obligation du règlement des salaires en monnaie scripturale et le
droit au compte en sont des exemples;
•
l'approche américaine: Les Etats-Unis, à travers le Community Reinvestment Act (CRA), ont
mis en place un système de jeu à somme nulle « play or pay » qui oblige les
banques à financer les ménages les plus vulnérables. Les établissements de
crédit qui ne jouent pas le jeu devront payer ceux qui ont accepté d’appliquer
les règles.
•
l'approche sud-africaine: Dans la nation arc-en-ciel,
l’Etat a prévu des comptes spécifiques sans frais dénommés « Mzansi » pour les populations les plus
démunies
•
l’approche marocaine est une combinaison de plusieurs
initiatives qui ont fait recette. On peut citer les comptes « Bikher » et les « souk bank » qui épousent et font corps avec les réalités
socio-culturelles des populations adressées.
Au-delà de ces initiatives, fort heureuses et efficaces,
quelques mesures simples pourraient faire décoller, nettement, le taux de
bancarisation dans la zone UMOA. Au nombre desquelles, la création de zones
franches bancaires dans les régions défavorisées comme le Nord ou les localités
rurales du Mali. Les banques pourront être incitées à s’y installer moyennant
une défiscalisation – totale ou partielle – de certaines de leurs opérations.
En contrepartie, elles s’engagent à recruter des clients résidant dans ces
zones en leur ouvrant des comptes « franco », sans frais de tenue et
à leur consentir un abattement substantiel dans le coût de financement de leurs
activités. Un tel projet peut être piloté, à l’échelle communautaire, par la
Commission de l’UEMOA en partenariat avec la BCEAO et la Fédération des Banques
de l’Afrique de l’Ouest. Pour son financement, les bailleurs de fonds dans le
cadre du programme de restructuration du secteur financier, pourront être mis à
contribution. Et afin d’assurer le succès d’une telle opération, les
« embouteillages » des agences bancaires dans les quartiers de
certaines grandes villes pourront être limités. Par exemple, par un système de
2 pour 1 : 2 agences créées en milieu urbain pour 1 agence créée en zone
rurale. C’est une réflexion qui pourrait être nourrit par des mains plus
expertes et à des niveaux plus autorisés.
·
Faible niveau de financement de l’économie
La contribution du secteur
bancaire malien au financement de l’économie malienne est très faible.
L’analyse de ce point comporte deux étages. Sur le plan quantitatif, le
financement bancaire ne représente que 21% du PIB du Mali à fin 2012,
pratiquement aligné sur la moyenne sous-régionale. Ce ratio tourne autour de
30% au Sénégal et au Togo. Il est de 34% au Nigeria, 77% au Maroc et 145% en
Afrique du Sud.
Plusieurs paramètres sont
indexés : le montant et la nature du financement, le coût d’accès au crédit
bancaire et le secteur financé. Selon la BCEAO[8],
le taux d’intérêt débiteur réel moyen des prêts bancaires est ressorti à 9,1%
au Mali. Ce pays se situe en milieu de tableau, entre le groupe composé du
Sénégal et de la Côte d’Ivoire avec des taux d’intérêt débiteurs respectifs de
6,2% et 7,6%, et le groupe du Niger et de la Guinée Bissau qui enregistrent des
taux au-dessus de la barre des 10% soit respectivement 10,6% et 10%. La moyenne
de la zone UEMOA est de 8% contre 6,3% au Maroc, 1,6% en Afrique du Sud et 3 à
5% pour la France. Une observation fine fait ressortir que le Mali est l’une
des places les plus chères de la sous-région pour le financement des activités
du secteur privé. En effet, le taux débiteur moyen appliqué à cette catégorie
de la clientèle est de 10,9% pour les entreprises privées du secteur productif
(contre 7,5% pour la moyenne de l’UEMOA et 5,3% pour le Sénégal) et de 11,5%
pour les entreprises individuelles (contre 8,3% pour la moyenne de l’UMOA et
6,3% pour la Côte d’Ivoire). De façon générale, les opérateurs économiques
maliens estiment que les conditions d’accès au crédit bancaire sont difficiles
et très onéreuses. Il est aussi vrai que le secteur bancaire malien, en dépit
de la dureté de la crise politico-sécuritaire, a été plus rentable en 2012 que
la majorité des places bancaires de la sous-région. Dans son dernier rapport,
la Commission Bancaire a mis en exergue les principaux ratios caractéristiques
de la profession. Ainsi, le Mali affiche une marge globale (rendement des prêts
– coût des capitaux) de 8,1% en 2012 contre 7,3% pour l’espace sous-régional,
7,0% pour le Sénégal et 7,7% pour la Côte d’Ivoire. Au niveau du coefficient
net d’exploitation (frais généraux + dotation aux amortissements/PNB), les
banques maliennes recueillent un taux moyen de 65,9% contre 64,1% pour le
Sénégal, 79% pour la Côte d’Ivoire et 68,5% dans l’UEMOA. Le coefficient de
rentabilité (résultat net/fonds propres) ressort à 12,2% pour la place bancaire
malienne contre 12,4% pour l’UEMOA, 11,3% pour le Sénégal et 13,4% pour la
place ivoirienne. Récemment[9],
les plus hautes instances communautaires ont donné des orientations précises
aux autorités monétaires pour infléchir cette tendance afin de rendre le crédit
accessible aux agents économiques opérant dans l’espace sous-régional.
Sur le
plan qualificatif, la distribution du financement bancaire n’est pas en
adéquation avec la contribution réelle des secteurs financés.
La faiblesse des concours bancaires
au financement des secteurs clés de l’économie malienne comme
l’agriculture, les BTP, les transports est une préoccupation réelle du pouvoir
public. Tout comme l’absence de réponses adéquates au financement des besoins
prioritaires des populations. Tenez ! À l’heure des délestages et du coût
exorbitant du kilowattheure pour les particuliers autant pour les entreprises,
le secteur énergétique ne bénéficie que de 6% des crédits bancaires au Mali.
En 2011, les experts de la Banque
Mondiale[10] concluaient qu’avec le maintien du
rythme des dépenses actuelles, le Mali n’atteindra un niveau satisfaisant de
ses infrastructures que dans 50 ans, c’est-à-dire tout au mieux en 2060 !
Les activités agro-sylvo-pastorales,
principales contributrices de la richesse nationale, ne sont pas mieux loties.
Elles ne représentent que 11% des financements agrégés (et seulement 0,91% du
total des crédits d’investissement accordés par les banques !). C’est le
commerce (achat et revente en l’état avec peu de création de valeur ajoutée)
qui se tire à « bons comptes » avec 44% du total des prêts octroyés
par les banques (dont 51% du total des crédits à court terme). Au Maroc, le
secteur du commerce général ne concentre que 6,2% du financement bancaire
contre 28% pour les ménages. A ce niveau, le contraste est saisissant. Au Mali,
les crédits aux particuliers représentent à peine 4% (contre 8% pour la moyenne
dans la zone UEMOA) du volume global des financements bancaires, ce qui
constitue un handicap réel à l’émergence d’une véritable classe moyenne au
Mali. Le tissu productif
dominé par les PME/PMI, véritable socle du développement économique, est
insuffisamment financé. Des études révèlent qu’au Mali, 83%
des micro-entreprises et 72% des petites entreprises font face à des
contraintes de financement. En outre, les emplois durables (crédits à moyen et
long terme), essentiels au financement des investissements, ne représentent que
22% des financements accordés par les banques en 2012.
Pour
les experts de l’Observatoire du Développement Humain Durable et de la Lutte
Contre la Pauvreté (ODHD/LP)[11], un des enseignements clés
de la crise politique et sécuritaire est la trop grande dépendance du Mali
vis-à-vis de l’extérieur. En effet, face à l’insuffisance de l’appui des banques locales,
l’économie malienne est financée à plus de 70% par l’extérieur sous plusieurs
formes : Aide Publique Directe, Appui Budgétaire Sectoriel, Appui Budgétaire
Général, action humanitaire (qui englobe l’aide d’urgence, la sécurité
alimentaire ….), contribution des ONG, investissements directs privés. Les obstacles au financement adéquat et durable de
l’économie malienne par le secteur bancaire sont multiples. Au nombre desquels,
il faut citer :
-
La structure des
ressources des banques dominée par les dépôts à vue de la clientèle (61,4% à
fin décembre 2012).
-
Le dispositif
prudentiel qui encadre la transformation (la couverture des emplois à moyen et
long terme par des ressources longues) en dépit des récents assouplissements
opérés par l’Autorité monétaire.
-
La faiblesse des
fonds propres des banques
-
L’insuffisance de
projets « bancables » des acteurs du secteur productif, à même de répondre aux
critères d’appréciation des banques
-
L’expertise des
intermédiaires bancaires à se lancer dans le financement de certaines
industries qui nécessitent des compétences techniques spécifiques pour
maîtriser le risque transactionnel et suivre la bonne marche du projet sur des
maturités souvent très longues
-
Les contraintes
liées à l’environnement des affaires et au cadre juridique et judiciaire
·
Dégradation du portefeuille des banques
Avec
un total bilan de FCFA 2 168 milliards à fin décembre 2012, le
système bancaire malien ne concentre que 12,5% des actifs des banques de
l’UMOA. Par contre, ses créances en souffrance représentent 16,56% de la
sous-région et ses impayés et immobilisés 18,87%. En effet, au 31 décembre 2012, les créances en souffrance brutes du
secteur bancaire malien ont atteint 294,9 milliards soit 21,5% du total du
portefeuille de crédit des banques, en aggravation de 2,9 points par rapport à
2011. Comparativement, le taux moyen brut de dégradation du portefeuille dans
la zone UMOA est de 15,6% en 2012. A cette date, il est de 10,3% au Burkina
Faso, 14,3% en Côte d’Ivoire et 16,2% au Sénégal. Dans un contexte de crise,
cette détérioration au Mali est imputable principalement au volume des impayés
et immobilisés qui s’est fixé à 64 milliards (contre 36 milliards en 2011),
soit une progression de 77%. Rien que pour la seule année 2012, les banques maliennes
ont comptabilisé, en charge, des provisions sur créances en souffrance à
hauteur de FCFA 42 milliards. Avec ce montant, les intermédiaires bancaires
auraient pu étoffer leur réseau de distribution avec la création de près de 420
agences (120% du niveau actuel), en raison d’un investissement unitaire
surestimé à 100 millions de FCFA. Sur la base de cette hypothèse, le taux de
bancarisation projeté au Mali serait de 20% (contre 7,9% actuellement). Cette
extrapolation a un intérêt pédagogique. Elle permet d’attirer l’attention des
autorités publiques et monétaires ainsi qu’au premier chef, les dirigeants de
banque et leurs partenaires du monde des affaires sur les conséquences
négatives de la part de toxicité du portefeuille des établissements de crédit
sur l’économie. La qualité du portefeuille des banques maliennes
est donc un vrai sujet qui va bien au-delà des impacts négatifs de la crise
militaro-civile qu’a connue le pays en 2012. En effet, l’historique des
statistiques de la Banque centrale montre nettement que le Mali détient le taux
de toxicité du portefeuille bancaire le plus élevé de la zone UMOA. Sur ce point, je rappelle les commentaires dans ma
précédente livraison qui restent toujours d’actualité : « A force de porter et surtout de supporter,
certaines banques sont à bout de souffle. Leur cheminement s’apparente à un
véritable « steeple Chase » (la formule est empruntée au talentueux journaliste
malien, Gaoussou Drabo), une course d’obstacles au cours laquelle les mises en
cause ont tout juste le temps, après une énième défaillance de leurs
« gros clients », de reprendre leur souffle avant d’aborder l’étape
suivante. A ce rythme, il faudrait surtout craindre la perte de tonicité voire
la défaillance de ces établissements de crédit qui ont bâti durant des
décennies toute leur stratégie sur des solutions de rente et qui n’arrivent
plus à s’en démarquer. »[12]
·
Taille réduite du marché bancaire
La
taille du secteur bancaire malien, à l’instar de celle de l’Union économique et
monétaire ouest-africaine (UEMOA), est très modeste par rapport aux différents
groupes intervenant sur son marché. Seulement 4 banques sur 13, avec un total
bilan supérieur à FCFA 200 milliards méritent, selon le classement retenu par
la Commission Bancaire, le qualificatif de « grande banque » au 31
décembre 2012. A cette date, le total bilan de l’ensemble des établissements de
crédit (y compris les deux établissements financiers) du Mali ne représente que
0,17% de celui du groupe français BNP Paribas[13]. Sa filiale malienne, la
BICIM, pèse à peine 0,01% de son groupe d’appartenance. En poursuivant
l’analogie, la banque à la « courbe d’envol », dotée d’un effectif dix fois
plus important que celui de toutes les banques réunies de l’UMOA et avec des
actifs consolidés de 1 965 milliards d’euros, représente 32 fois le
produit intérieur brut (PIB) agrégé des huit pays de l’UEMOA. Pour l’exercice
2012, le Groupe BNP a réalisé un bénéfice net de 7 313 millions d’euros
(environ 4 797 milliards de FCFA) soit pratiquement l’équivalent de la
richesse nationale du Mali (PIB de FCFA 5 239 milliards en 2012, BCEAO) ou
plus de 3 fois le budget de l’Etat malien [14]. En poursuivant
l’analogie sur le sol africain, la première banque marocaine (Attijariwafa
bank) avec un total bilan[15] de 384 719 millions
de dirhams (environ 21 732 milliards de FCFA) à fin décembre 2012 pèse
plus que tous les 118 établissements de crédit implantés dans les huit pays de
l’UEMOA réunis[16].
Quant à la Banque Populaire (maison mère du Groupe Banque Atlantique), rien que
sur le territoire marocain, elle dispose de 1 145 agences soit presque 4
fois la taille du réseau bancaire malien et environ 60% celle de toute la
sous-région. Le groupe marocain ouvre plus d’agences par an que l’ensemble des
établissements de crédit de la sous-région[17].
La
taille réduite du secteur bancaire malien est aujourd’hui un handicap pour le
décollage économique du pays. La mobilisation des ressources bancaires pour le
financement de grands projets d’infrastructures dans des secteurs prioritaires
de l’économie nationale est incertaine. Cependant, sous l’angle des perspectives,
l’insuffisance de grandes banques est porteuse d’espoirs à double titre. Primo,
elle offre aux industries bancaires actuelles de larges boulevards de
croissance dans des secteurs non encore préemptés. Secundo, elle procure aux
investisseurs, installés sur le marché local de plus en plus rétréci, de
réelles opportunités de croissance externe à travers des installations en
« greenfield » (succursales
ou filiales) ou en acquisitions (brownfield).
·
Présence dominante de groupes bancaires
Neuf groupes bancaires interviennent sur le marché bancaire
malien. Il s’agit de ECOBANK(ETI), Attijariwafa bank, BOA/BMCE Bank, ABI/Banque Populaire, BSIC, BNP
Paribas, Libyan Foreign Bank (LFB), BCI et BRS.
Ils détiennent 55,7% des actifs bancaires (54,4% des dépôts et 58,8% des
crédits), concentrent 66% du réseau (2 agences sur 3) et représentent 65% des
comptes de la clientèle. Ils emploient 64% de l’effectif total des salariés du
secteur. (ETI), premier groupe bancaire sous-régional, a une filiale malienne
en plein essor. Celle-ci a multiplié par 3 ses actifs entre 2006 et 2012, en
passant de 103 à 313 milliards de FCFA, en raison d’un taux de croissance
annuel moyen de 20%. Au vu de la tendance actuelle, on pourrait déduire, ceteris paribus, que Ecobank Mali double
son total bilan chaque cinq ans.
Au niveau des pays d’origine des groupes bancaires
implantés au Mali, le Maroc est le plus engagé avec trois grosses pointures, à
savoir Attijariwafa
bank, BMCE Bank et Banque Populaire qui ont comme filiales respectivement la
Banque Internationale pour le Mali (BIM), la Bank of Africa (BOA-Mali) et la
Banque Atlantique Mali. Ces cinq dernières années, la présence marocaine s’est
considérablement renforcée dans le paysage bancaire malien. Aujourd’hui, avec
ces trois marques, le Royaume chérifien contrôle directement le tiers du
système bancaire malien[18]. Et la tendance est à
l’intensification. Elle pourrait se faire par croissance organique (lancement
de nouveaux produits, intensification du réseau et des investissements) et/ou par
croissance externe (acquisition de banques existantes). Déjà, le président du
groupe de la Banque Populaire a donné le ton lors de sa visite du 28 novembre 2013
au Mali. Il a dévoilé les grandes lignes de l’ambitieux plan de développement à
moyen terme (2014-2016) de sa filiale malienne[19] qui pourrait bien
profiter de la privatisation d’une unité bancaire de la place. L’influence marocaine
s’étend aussi à la première banque malienne, la Banque de Développement du Mali
(BDM). La structure de l’actionnariat[20] de cet établissement de
crédit met en évidence la participation de la BMCE Bank à hauteur de 27,38% de
son capital, faisant ainsi du groupe marocain, l’un de ses principaux actionnaires.
La BMCE siège au conseil d’administration de la BDM avec deux administrateurs. Il faut aussi souligner qu’au niveau de la Banque
Nationale de Développement Agricole (BNDA), 4ème établissement de
crédit du Mali en termes de total de bilan, son tour de table fait apparaître
des partenaires extérieurs pour 63,52% des actions, dont la Banque Populaire
Caisse d’Epargne International et Outre-Mer (BPCE-IOM) qui représente 9,72% du
capital de la « Banque verte ». La présence au Mali de cette banque
française, par ailleurs détentrice de 5% du capital de la Banque Populaire du
Maroc, est intervenue en 2011 à la faveur de la cession des actions
précédemment détenues par la Banque Centrale à la BPCE IOM et au Crédit
Coopératif.
A cet
exercice, l’économique n’est jamais déconnecté du politique. Dans le dialogue
du film Le Parrain 3, le réalisateur américain Francis Ford Coppola a
écrit que : « La finance est une
arme. La politique, c’est de savoir quand il faut tirer. »
S’agissant
de la France, elle a une présence modeste dans le secteur bancaire malien à
travers la filiale du groupe BNP Paribas, et cela après le retrait en 2001 de
l’ex-Crédit Lyonnais du capital de l’ex-BMCD (Banque Malienne de Crédit et de
Dépôt) et l’échec de la prise de contrôle de la BIM par la Société Générale en
2008. En effet, la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie au
Mali (BICIM) créée le 28 mai 1998, ne détient que 3% des actifs bancaires à fin
décembre 2012. Les observateurs questionnent son avenir sous la bannière de la
banque « à la courbe d’envol » après les récentes mesures de recentrage
de sa maison mère (cession de la filiale égyptienne) et l’annonce du plan de développement 2014-2016
(programme « Simple & Efficient ») devant générer, à partir de
2015, à la banque française 2 milliards d’euros par an d’économie en Afrique.[21] Mais la donne peut
rapidement changer sous l’impulsion du politique. Le Forum économique
franco-africain organisé le 04 décembre 2013 en marge du sommet franco-africain
de l’Elysée qui vient de s’achever à Paris[22] ambitionne très
clairement de faire revenir les entreprises françaises sur le continent dans le
cadre d’un vrai partenariat, une coopération gagnant-gagnant. Décidemment, et
on s’en réjouit, l’image de l’Afrique subsaharienne n’est plus simplement ce
misérabilisme indexé à la guerre, à la famine, aux maladies et à l’assistanat.
Il y a aussi du business à construire et à développer sur le continent. Pourvu
qu’une fois de plus, nos gouvernants n’oublient pas la donne essentielle,
l’honneur du pays et le bonheur des populations, pour ainsi paraphraser un slogan
de campagne bien ancré dans les réflexes quotidiens au Mali.
Au
total, selon les données du rapport annuel 2012 de la Commission Bancaire, le
capital social agrégé des 13 banques maliennes se chiffre à FCFA 107,9
milliards et est contrôlé à 63,4% par des actionnaires non-nationaux.
·
Concentration du secteur bancaire
A fin
décembre 2012, la répartition des parts de marché en fonction du total du bilan
des 13 banques maliennes se présente comme suit :
Source :
Données issues du Rapport annuel 2012 de la Commission Bancaire de l’UMOA
Le
secteur reste relativement concentré autour de cinq grandes banques (BDM, ECOBANK, BIM, BNDA, BOA)
qui représentent 69% de la taille du secteur bancaire malien. La concurrence de
plus en plus exacerbée atténue progressivement cette concentration, ce qui a
permis l’émergence de jeunes banques comme la Banque Malienne de Solidarité (BMS)
et la Banque Atlantique (BA-MALI).
III-
La dynamique du marché bancaire malien
Les
bouleversements observés dans le classement général des banques maliennes,
cuvée 2012, sont-ils le fruit d’épiphénomènes en liaison avec la politique
interne de chaque banque face à la crise ou la résultante d’un processus
évolutif et durable ?
L’analyse
de la situation des banques maliennes en 2012 ne peut être dissociée des effets
de la crise militaro-civile sur l’activité socio-économique du pays. Dans ce
contexte, certains établissements de crédit ont privilégié le « frein à
main » à l’ « accélérateur ». Ce doux euphémisme est
partagé par une grande figure du paysage bancaire sous-régional, Adama Seydou
Traoré. Pour cet ancien dirigeant de
banque : « En pareil cas, les
banques se doivent obligatoirement d’être prudentes. Elles sont gardiennes des
dépôts de la clientèle qu’elles doivent préserver. » Il poursuit, de
façon plus prosaïque : « A mon
avis un ralentissement de l’octroi des crédits, pour ne pas dire plus,
s’impose. Chaque banque doit faire cependant un effort d’accompagnement et
d’assistance de ses meilleurs clients afin de limiter les faillites. »[23] Est-ce cette posture qui
a inspiré certaines banques à baisser la voilure ? Alors que d’autres bouillonnants,
affolaient les compteurs et bouleversaient le classement. Fallait-il rester à
l’écart de cette double pression (poussée/résistance) en prenant un ticket
d’observateur ou descendre dans l’arène et en découdre ? Les dés ont été finalement
jetés. Le classement qui vous est proposé en fin de document vous livrera le
résultat des courses.
En
attendant, il nous a paru utile d’analyser la dynamique du secteur bancaire
dans les deux principaux compartiments de l’activité, à savoir la collecte des
dépôts et la distribution de crédits, avant de croiser ces deux regards dans
une dynamique globale où la profitabilité sera couplée à l’évolution de la
taille bilantielle. L’année de référence retenue pour l’étude est 2007 du fait
qu’une profondeur plus importante aurait neutralisée la production de la benjamine
des banques maliennes, la Banque pour le Commerce et l’Industrie du Mali (BCI)
agréée le 23 janvier 2007.
Activités de collecte
de dépôts
Sur le segment des dépôts, la dynamique de progression enregistrée
sur la période (2007-2012), est surtout tirée par ECOBANKsuivie, en zone
reléguable, par la BOA et la Banque Nationale de Développement Agricole (BNDA).
La BDM et la BIM, en zone d’alerte, bien qu’avec des taux de croissance
en-dessous de la moyenne du secteur, conservent une bonne marge sur leurs
compétiteurs. Dans cette chevauchée, la BMS est un gros outsider. Elle pourrait
arbitrer le sprint final en élaguant les « jambes en coton » des
vaincues et en réduisant l’écart avec les vainqueurs. Tout au moins, elle
pourrait redistribuer les cartes en poussant dans la zone verte la Banque
Atlantique revigorée par l’arrivée du géant marocain (Banque Populaire) et la
BOA dont le management vient d’être revisité par la seconde banque privée
marocaine (BMCE Bank). En attendant, la BDM qui observe de loin la course a le
temps assez long pour préparer la riposte. Celle-ci pourrait être fatale à
certains poursuivants qui risqueront de perdre toute leur tonicité et se
retrouver au final avec des fondamentaux totalement déséquilibrés (rentabilité
faible ou négative à cause de la « guerre des taux », coût du risque
élevé, pratiques commerciales peu orthodoxes,...). En zone rouge, la Banque
Régionale de Solidarité (BRS), la Banque de l’Habitat du Mali (BHM), la Banque
Commerciale du Sahel (BCS) et dans une moindre mesure la BICIM accusent le
coup.
Activités de
distribution de crédits
S’agissant
du compartiment des crédits, ECOBANK Mali confirme sa position de banque
avant-gardiste. Au niveau de la catégorie des « grandes banques »[24], elle imprime la cadence
avec un taux moyen annuel de 16,7%, bien au-dessus de la moyenne du secteur
(11,2%). Les deux banques historiques du paysage bancaire malien, à savoir la
BDM et la BIM sont en perte de vitesse. Elles enregistrent durant le dernier
septennat un taux de progression très faible, respectivement de 3,8% et 2,6%. A
fin décembre 2012, la filiale du groupe Attijariwafa bank se retrouve en 5ème
position derrière la BDM, ECOBANK, la BNDA et la BOA. Pourtant, jusqu’en 2009,
elle était la seconde banque du Mali, toutes activités confondues. C’est au
classement de la Commission Bancaire du 31 décembre 2010, que la BIM a perdu sa
position de 2ème banque au profit de ECOBANK et de la BNDA. En 2012,
la forte poussée de la BOA l’a fait perdre une marche supplémentaire. Sur le
graphique, quatre banques se retrouvent en zone rouge (BRS, BHM, BCS, BICIM).
Elles ont la particularité d’avoir une taille et un taux de progression en
dessous de la moyenne nationale. Dans ce lot, la BHM fait même du surplace avec
un niveau de ressources en 2012 presque égal à celui de 2007.
Dynamique globale
-
Depuis la fusion-absorption réussie avec
l’ancienne filiale de l’ex-Crédit Lyonnais (BMCD) le 02 janvier 2001, la Banque
de Développement du Mali (BDM) tient la dragée haute dans le secteur bancaire
malien, en chevauchant seule à la tête du peloton. Pourtant, depuis quelques
années, l’écart se resserre avec ses
principaux compétiteurs. En cause, la dynamique observée sur le marché
bancaire malien marquée par l’arrivée de nouvelles banques et une forte pression
sur les gros tickets. Avec un taux de croissance annuel moyen (TCAM) de 6%
entre 2007 et 2012, la BDM progresse deux fois moins vite que la moyenne du secteur
bancaire malien qui affiche un TCAM de 13% sur la période. Cette baisse de
régime est plus marquée sur l’échiquier sous-régional. Depuis 2006, la première
banque du Mali a perdu neuf marches au classement communautaire. Selon la
Commission Bancaire, elle occupe le 15ème rang des banques UMOA en
2012, en termes de crédits, après avoir été 6ème deux ans plus tôt,
et 5ème en 2006.
-
En embuscade, quatre établissements bancaires avec
des actifs supérieurs à FCFA 200 milliards se tiennent dans un mouchoir de
poche : ECOBANK Mali, BIM, BNDA et BOA. Dans ce lot, ECOBANK Mali avec un
taux de croissance annuel à deux chiffres sur plus d’une décennie semble se
détacher. Le croisement des trois graphiques ci-dessus fait apparaître
clairement qu’elle est la banque la plus dynamique du marché bancaire malien. Elle
détient le niveau de profitabilité le plus élevé du secteur et ses actifs progressent
trois fois plus vite que ceux de la BDM et une fois et demi plus que la moyenne
nationale. A ce rythme (stand alone),
ECOBANK pourrait être la 1ère banque malienne à l’horizon 2015 avec
un total bilan projeté de FCFA 550 milliards. Pourtant, la partie est loin
d’être gagnée pour la filiale malienne du groupe ETI. Le chemin est encore long
et sinueux. A bon temps, la BDM munie de positions fortes en syndication et
capable de développer des canaux de distribution innovants, dispose des atouts
pour renverser le cours du jeu à son avantage. En effet, l’expérience de son
driver, la réactivité de ses équipes et la solidité de ses fondamentaux
pourraient lui permettre de maintenir et même de renforcer sa position de leader,
à travers notamment des implantations en « greenfield » (au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire)[25] ou en acquisitions (brownfield). Mais attention à laisser
trop mitonner ! Une sagesse africaine nous enseigne qu’il ne faut pas se
faire lécher par ce qui peut te manger.
- La figure met aussi en évidence un binôme
composé de la BMS et de la Banque Atlantique, avec chacune un niveau de
progression des actifs de 31% sur la période (2007-2012). La seconde, moins
performante que sa devancière, vient de se doter d’un ambitieux plan de
développement à moyen terme (2014-2016) à la faveur du contrôle de sa maison
mère (ABI) dans le groupe bancaire marocain, la Banque Populaire.
-
En retrait du peloton, trois banques accusent
le coup. Il s’agit de la BRS, de la BCS et de la BHM. La première, à l’instar
de sa maison mère, est en zone rouge.
Depuis sa création en juin 2005, elle a accumulé des pertes qui se
chiffrent à FCFA 16 milliards à fin décembre 2011. Par exemple, en six ans
d’activités (2007-2012), elle n’a pu collecter que 511 millions de dépôts
additionnels, au moment où la BMS en a reçu 185 fois plus ! Sa
restructuration, à l’image de sa maison mère, est en cours. Il est fort
probable, d’ici la fin du premier trimestre 2014, que la BRS Mali (à l’instar
de tout le réseau BRS dans la sous-région) passe sous le giron du groupe
Oragroup. Quant à la BHM, ses difficultés persistantes et profondes commencent
à s’atténuer. Son plan de restructuration adopté le 30 décembre 2009 visait
comme objectif le désengagement de l’Etat du capital de la banque en 2012. Le
processus avec l’aide d’un consortium banques d’affaires/cabinet d’avocat a été lancé à l’image de la cession partielle
des actions de l’Etat dans la BIM en 2008. Les douloureux évènements de mars
2012 ont perturbé ce calendrier de privatisation. En attendant, l’utilisation
judicieuse[26]
des fonds publics transférés à la BHM a permis de réduire le niveau de la perte
de la banque qui s’affichait à FCFA 85 millions en 2011 contre 26 889
millions en 2007, en passant par 3 621 millions en 2009 et 1 249
millions en 2010. Quant à la BCS, bien qu’avec une taille relativement modeste
et une cadence moins accentuée que la moyenne nationale (6% vs 13%), elle
enregistre un résultat net en constante progression : 359 millions en
2009, 455 millions en 2010 et 729 millions en 2011.
-
Enfin la BICIM, la BSIC et la BCI complètent le
tableau à des niveaux d’analyse différents. La filiale de la BNP Paribas a une
stratégie commerciale ciblée et une politique de prise des risques prudente. Les
engagements par signature (EPS) représentent plus de la moitié du total du
bilan à fin 2011 (49/71 milliards soit 69%). A cette date, les commissions
représentent 26% du PNB contre une moyenne de 25% pour la place et 23% pour la
BDM. A la limite de la « stratégie de niche », avec une présence
forte sur le « corporate banking »,
le business model de la BICIM est bâti sur l’un des réseaux les moins denses du
secteur bancaire avec seulement 8 agences, toutes implantées dans la capitale
(Bamako) et qui sont animées par un personnel composé majoritairement de cadres
(60% des 87 salariés à fin 2012). Elle concentre 3% des actifs du secteur
bancaire malien et ne détient que 1% des comptes de la clientèle. A l’opposé,
la BSIC avec 11 guichets bancaires s’inscrit dans une politique de « mass market » induite par la
stratégie de massification de son groupe d’appartenance. La construction de son
nouveau siège et la future restructuration de sa holding, lui donneraient plus
de visibilité en la dotant de moyens d’actions plus conséquents. Quant à la BCI,
la filiale du groupe mauritanien éponyme, elle a accumulé des pertes jusqu’en
2010, date à laquelle elle a réalisé un bénéfice de FCFA 218 millions pour
tripler le niveau l’année suivante (662 millions). Cette poussée n’a pas permis
à fin décembre 2011 de résorber le report à nouveau déficitaire de FCFA 917
millions.
IV-
Le classement des banques maliennes
Le
classement proposé dans cette étude ne diffère pas de celui retenu dans les
différents rapports de la Commission Bancaire qui a une portée sous-régionale.
Il a été repris et trituré pour lui revêtir une dimension contextuelle. Là
aussi, la démarche a ses limites. Tout classement est par nature subjectif. Le
nôtre n’échappe pas à cette règle. En effet, les critères d’appréciation des
banques sont nombreux et variés. Ils s’étendent des activités de bilan aux
comptes de gestion en passant par le hors-bilan, aux soldes intermédiaires de
gestion et aux ratios. Pour rester dans le trait de l’actualité[27], on aurait même pu faire le
classement sur la base du critère de la bonne gouvernance ou de la taille du
réseau ou encore de la qualité du portefeuille. La disponibilité et la fiabilité
de l’information ont été une contrainte réelle à notre démarche, en limitant la
palette de notre choix. Pour autant, ce n’est point un exercice de confusion où
le choix est fait à la corbeille. En décidant d’arpenter dans le sillage de la
Banque Centrale, notre souci était de nous épargner d’une polémique stérile
liée à la pertinence des critères de choix. En effet, il arrive de cerner le
périmètre de la subjectivité, à travers des critères consensuels comme les deux
principaux compartiments de l’activité de la banque de détail (les dépôts et
les crédits). Surtout si ce sont les principaux critères retenus par la BCEAO. En
tout état de cause, l’objectif visé est de fournir une compréhension plus aérée
du secteur bancaire malien.
BILAN
Suivant
l’évolution du rang, trois catégories de banques sont identifiées:
- Les valeurs montantes : Elles concernent
quatre banques dont le chef de filât est assuré par Ecobank. En 2009, la
filiale malienne de ETI a réussi en trois ans d’activités à ravir à la BIM la
seconde marche sur le podium national. La Banque Atlantique a multiplié par 4 ses
actifs entre 2007 et 2012 et gagne ainsi trois positions au classement. La BSIC
et la BCI enregistrent un bon niveau de progression sur la période, mais pas assez
suffisant pour leur permettre d’atteindre la taille critique (200 milliards de
FCFA).
-
Les valeurs stables : La BDM conserve sa
première place malgré un taux de croissance annuel (6%) moins élevé que la
moyenne du secteur bancaire malien (13%). La BNDA, la BOA et la BMS
maintiennent leur position respectivement à la 4ème, 5ème
et 6ème place.
- Les
valeurs baissières : Durant la période sous revue (2007-2012), la BRS
accuse le coup au bas du classement. Sa taille bilantielle s’est même réduite
de quelques centaines millions. A des degrés différents, quatre autres banques
(BIM, BHM, BICIM et BCS) se retrouvent avec des positions érodées au classement
national.
DEPOTS
L’activité
de collecte de dépôts est de notre point de vue celle qui traduit le mieux le
dynamisme commercial d’une banque. Dans ce compartiment, les dépôts non
rémunérés sont les plus recherchés par les commerciaux des banques du fait
qu’ils pèsent moins sur le coût des ressources, surtout lorsqu’ils révèlent une
forme de sédentarité (matelas) propice à la transformation. Le réseau d’agences
joue un rôle important dans ce dispositif. Et pour mieux l’apprécier, il faut
distinguer le réseau jeune et le réseau adulte, pour aider ainsi les agences
appartenant à la première catégorie à gagner en maturité et ainsi améliorer
leur contribution.
-
Les banques en hausse : En dépit d’une
forte érosion de FCFA 32 milliards de ses dépôts en 2012 (-15,4%), ECOBANK s’inscrit
sur un trend haussier durant la période. In fine, elle gagne deux marches au
classement en multipliant pratiquement par deux la taille de ses dépôts en six
ans d’activités.
-
Les banques stables : Il s’agit de la BDM,
de la BOA et de la BMS qui ont pu maintenir leur position au classement.
-
Les banques en baisse : Durant la période
d’analyse (2007-2012, six banques enregistrent des infortunes diverses dans
leur activité de collecte de dépôts. Leur position au classement général en
ressort affecté.
CREDITS
Dans
une banque de détail, l’activité de crédits est la principale source du chiffre
d’affaires (PNB). Paradoxalement, sa non maîtrise est à la base de la
dégradation du portefeuille des banques et des provisions qui en résultent.
Contrairement à l’activité de collecte, celle de distribution est plus
tributaire des choix du management que des contraintes externes. Elle caractérise
l’offre bancaire pour laquelle l’effort commercial est moins ressenti dans un
environnement sous-bancarisé.
Face à
la crise multidimensionnelle qui a frappé le Mali en 2012, pratiquement toutes
les banques ont revu leur stratégie. Leur attitude est diversement appréciée.
Avec des nuances près, on peut distinguer trois catégories. Certaines banques
(4/13), volontairement ou pressées par la concurrence, ont réduit la voilure de
leur portefeuille. Parmi les tenants de cette ligne, la BDM s’affiche en
dessous de la barre des 200 milliards, soit moins de 7,5 milliards que le
niveau de 2011. Dans son rapport annuel 2012, la banque explique cette baisse
par la contraction des crédits à court terme à hauteur de 18 milliards imputable
au remboursement de divers concours dont l’emprunt sur l’Etat du Sénégal. D’autres
établissements de crédit (3/13) comme ECOBANK, la BICIM ou la BCI ont stabilisé
les encours de leurs crédits à leur niveau précédent. Enfin, 6 banques ont eu
une appréciation différente de la crise. Elles ont trouvé la fêlure assez
attrayante pour refaire leur retard en engrangeant quelques points au
classement général. Au filet, la BOA a surperformé son portefeuille de prêts de
27,6 milliards (+24%), sa plus forte croissance annuelle de la période. Quant à
la BNDA, son portefeuille s’est accru de près de 19%. Cette hausse a été assez
suffisante pour ravir la troisième place à la BIM qui enregistre une baisse de
18,4 milliards du stock de ses prêts à fin décembre 2012. Mais attention au
dicton du terroir : « Celui qui excelle à ramasser des serpents
morts se ravisera quand il sera en possession d’un serpent inerte pris pour
mort. »
La
concurrence actuelle dans le paysage bancaire malien a l’allure d’une veillée
d’armes. La filiale ETI, en bon cordon bleu, a vite compris que pour
réussir son pot-au-feu, il lui fallait d’abord désosser le jarret. A ce
concours de « MasterChef » [28], les autres compétiteurs se laisseront-ils surprendre par
autant de vélocité et d’impertinence ? Les banques historiques entonnent à
l’unisson un proverbe bien de chez nous : « Ce sont les vieilles marmites qui font les bonnes sauces ».
Les observateurs et praticiens de la matière bancaire retiennent leur souffle. Lorsque
les éléphants se battent, c’est toujours l’herbe qui en souffre. Dans tous les
cas, l’expérience
prouve qu’en environnement complexe, la ligne droite est rarement le chemin le
plus court entre deux points. Alors,
faisons tous confiance au temps. Il semble qu’il soit un grand bavard. Il parle
sans être interrogé. Vivement le classement 2013 !
CONCLUSION
L’incursion
dans l’univers bancaire malien tire à sa fin. Il faut conclure. Et conclure,
c’est s’engager. Ce qui peut paraître comme une vulgate pour les observateurs
avertis et les acteurs bancaires, l’est moins pour la majorité des populations.
Dans l’imaginaire populaire, les banques ressemblent à des entreprises
complexes et opaques dès que l’espace réservé à la clientèle s’estompe. Pour
une entreprise de prestations de services, c’est une forme de doxa qui brouille
inutilement les pistes. Le secret bancaire ne peut faire de la banque une boîte
à secrets. Les récentes mesures, prises par l’association faîtière des banques
et établissements financiers (APBEF) d’ouvrir leur porte au public et à la
presse, vont dans le bon sens. Ce souci de transparence est nécessaire à la
bonne gouvernance bancaire, qui a été récemment malmenée par des allégations de
haute voltige au sommet d’un des plus grands groupes bancaires du continent[29].
Dans
une économie crispée par la conjoncture nationale et internationale, le secteur
bancaire malien a fait preuve d’une double résilience. En remontant le temps,
nous avons essayé de vous fournir les clés de compréhension de la dynamique
actuelle des établissements de crédit au Mali. Sans faux-fuyant et avec les
informations disponibles, cette étude a révélé que les bouleversements observés
en 2012 au sommet de la pyramide bancaire avaient peu de teinte conjoncturelle.
Sa texture est, en réalité, la résultante d’une dynamique profonde et
évolutive. Face à l’assaut répété de la filiale malienne ETI, amenée par une
vélocité sans précédent de ses équipes commerciales, et à l’appétence jamais
démentie de « petits poucets » comme la Banque Atlantique ou même la
BMS, les banques historiques comme la BDM et la BIM ont essayé de garder le
cap, en espérant passer entre les gouttes. Dans ce marmitage concurrentiel, les
chiffres à fin décembre 2013 constitueront un bon jaugeage du chemin parcouru.
La
présente étude a aussi mis en évidence la persistance de deux goulots
d’étranglement : la sous-bancarisation et la faiblesse du financement
bancaire. A l’allure où vont les choses, il nous faudra au moins un siècle
encore pour que nous puissions atteindre le taux de bancarisation actuel de
certains pays africains, situés à quelques jets de pierre du nôtre ! Les initiatives
récemment prises sont certes prometteuses, mais le retard est si important que
nous craignons fort que leur portée ne soit limitée à quelques coups d’épée
dans l’eau. Il faut donc aller plus loin en prenant des mesures immédiates, vigoureuses
et durables autour du concept de l’éducation financière[30] comme l’élaboration d’une
stratégie nationale de l’éducation financière, l’institution d’une « Semaine
de la finance », l’intégration de l’éducation financière dans le cursus
scolaire et la création d’une Fondation malienne pour l’éducation financière.
L’objectif est triple. Il faut d’abord « démystifier » le concept de banque,
en présentant l’établissement de crédit comme une entreprise ouverte,
transparente et accessible. Visuellement, le guichet bancaire malien dans les
zones rurales, conçu sous forme de comptoir, est une barrière psychologique et
culturelle à l’inclusion financière. Les agences bancaires doivent épouser l’environnement
adressé tant du point de vue de l’architecture de leurs locaux que de
l’animation de leurs équipes. Certains pays l’ont vite compris en mettant en
place des « banques économiques » dans les lieux de vie des
populations. Leur taux de bancarisation est aujourd’hui à plus de 55%. En
deuxième lieu, il faut sensibiliser les populations (surtout les particuliers,
les micro-entreprises et les très petites entreprises) aux avantages de la
bancarisation et aux risques de la thésaurisation et des circuits informels.
Parallèlement, il faut assurer la relève en familiarisant, dès le bas âge, la
jeune génération aux concepts financiers de base à travers des activités
parascolaires (visites de la Banque Centrale et des agences bancaires, séances
de formation dispensées par les banquiers,…) et la distribution de guide
pédagogique ludique comme celui en cours au Maroc « Découvrons le monde de
la finance ».
La
deuxième leçon à tirer de cette étude est la confirmation de la faible
participation des établissements de crédit au financement de l’économie
nationale. Pour l’image et la mémoire, on retiendra que pour 5 francs de
financement au Mali seul 1 franc vient du système bancaire. Dans certains pays
du continent africain, pour lesquels nos dirigeants ne tarissent pas d’éloges,
l’économie est même sur-financée par les banques. Le constat est donc là :
l’économie malienne est fortement dépendante du financement extérieur. Dans ces
conditions, beaucoup d’interrogations m’ont interpellé lors de la rédaction de
mon dernier ouvrage[31]. Comment bomber le torse[32],
la sueur sur le front et « les yeux dans les yeux » (pour reprendre
une fameuse formule en vogue dans l’Hexagone) lorsque l’essentiel de nos
programmes socio-économiques est financé par l’extérieur ? A la suite de
cette dépendance économique, quelle indépendance politique lorsque l’élection
de la première institution du pays et des députés de la République est,
presque, totalement à la charge des « partenaires » extérieurs ?
Quelle indépendance culturelle, quand l’internet et les feuilletons télévisuels
latino-américains caressent les tympans et flattent la rétine de nos
petits-enfants délaissés par l’éducation familiale ? Le temps n’est pas infini,
chacun s’y accorde. Celui du Mali, suffisamment éprouvé par la récente crise
militaro-civile, l’est moins. Pour
l’ancienne ministre malienne, Madame Aminata Dramane TRAORE, « les acteurs politiques et sociaux ont cru et
continuent de penser qu’on peut dormir sur la natte des autres, (pour employer
une expression chère au Professeur Joseph Ki Zerbo), et bien s’en porter. »[33] Or qui
dit emprunt aujourd’hui, dit remboursement plus tard. Ne dit-on d’ailleurs pas,
en bambara[34], « se nouer une corde autour du
cou » parlant de l’acte d’endettement. Le risque majeur, au-delà de la
soutenabilité de la dette, pour un pays très pauvre comme le Mali c’est de le
laisser aux mains de ravisseurs peu scrupuleux – les Etats n’ont pas d’amis,
ils ont des intérêts – et que les générations futures aient besoin de consacrer
leur vie, non à développer leur pays, mais à payer, en sang et en devises
fortes, la rançon nécessaire pour le libérer et recouvrer ainsi leur dignité et
leur honneur, sacrifiés sous l’autel de nos atermoiements d’aujourd’hui.
A
l’évidence, le Mali manque cruellement de grandes banques solides aux activités
diversifiées, capables de porter les ambitions nationales et d’insuffler une
dynamique de croissance interne forte et durable. Pour donner corps à cette
affirmation, arrêtons-nous un instant pour nourrir la réflexion : Y a-t-il un seul pays au monde qui a pu
réussir son émergence ou raffermir son développement sans un système bancaire
avec un fort ancrage local ? La vacuité de la réponse à cette question
interpelle les régulateurs du secteur financier et les pouvoirs publics qui
doivent encourager l’émergence de « champions bancaires » et même
inciter la mobilisation de l’épargne locale à leur création et à leur
développement. L’exemple du Burkina Faso est édifiant. Jadis en bas de tableau,
ce pays est aujourd’hui l’une des places bancaires les plus dynamiques de la
sous-région, amenée par un jeune opérateur économique qui a créé en 2008 Coris
Bank International (CBI). En quatre ans d’activités, cet établissement de
crédit détenu et géré par les Burkinabès s’est hissé au second rang des banques
de la place avec une vocation sous-régionale réaffirmée. Peut-on nous rétorquer
que cette initiative ne relève pas de la mission régalienne mais plutôt du secteur
privé et que l’Etat ne peut être qu’un facilitateur,… ? Soit ! Mais,
le secteur privé malien a-t-il été préparé à assumer ce rôle de moteur de
la croissance économique ? Poussons la réflexion, pour ne pas laisser de
place à la méprise, comment comprendre qu’on nous impose une posture
d’«Etat gendarme», alors que les gouvernants des pays de ceux qui en font la
prescription, signent chez eux, sous la pression de la rue, de l’opposition et
de leur conscience, le grand retour de l’Etat dans les affaires ? A coup de
milliards de dollars, d’euros,…on fait l’apologie de l’«Etat providence» en
Occident – même si on peine à le reconnaître idéologiquement : intervention
massive de l’Etat pour sauver les banques, création de banques publiques
d’investissement, protection du marché local, présence dans le conseil
d’administration d’entreprises privées, plafonnement de la rémunération des
dirigeants de banques, etc. Bref, tout y passe pour sortir la tête de l’eau.
Tout, sauf ce qu’on nous impose ou qu’on a choisi – qu’importe d’ailleurs l’un des deux. Et, on n’est
pas loin du passage de témoin entre une Chine dite « communiste » qui se
privatise et une Europe dite « libérale » qui se socialise. Et nous, dans tout ça ? Devrions-nous
rester dans cet état végétatif, sans vision longue (sur 30 voire 50 ans) marquée
et partagée, où l’action publique peine à se mesurer aux attentes légitimes de
nos populations qui, du reste, n’aspirent qu’à manger, travailler, se soigner,
se loger,…, épargner et emprunter ?
Pour le
banquier marocain Brahim Benjelloun Touimi, le secteur bancaire doit être le
« dernier bastion de la
souveraineté économique »[35]. Nous craignons fort, non
pas que le Mali perde la sienne, mais que celle-ci puisse d’abord exister. Et,
si à la lecture de cette étude – la contribution critiquable d’un praticien
engagé – les dirigeants de mon pays prennent la juste mesure de l’enjeu, j’en serai
heureux et fier pour « l’honneur du Mali » et le « bonheur des
Maliens ».
Là se
terminent mes propos. La fin pour moi, porteur de plume, du témoignage d’une
expérience bancaire vicennale. Peut-être pour vous, dépositaire d’émotions –
averti et profane – la continuation d’une bonne pratique ou le début d’une
compréhension plus aérée. C’est à cela que je me suis employé avec hâte et
déployé avec mesure. Félix Leclerc a raison : « Ecrire est un métier pénible, avec ou sans génie. Avec, c’est
encombrant. Sans, c’est frustrant. »
[1] - Hervé
Sérieyx, La Nouvelle Excellence. Réussir dans l'économie nouvelle, Maxima
Laurent du Mesnil éditeur, 15 septembre 2000.
[2] - l’expression
est de Jean-Louis Barsoux et Susan Schneider (Source : Management
interculturel, Pearson Education, 2ème édition, 16 juin 2004).
[3] - Boeing
confie à ses propres directeurs le soin
de développer une stratégie comme s’ils travaillaient pour une entreprise concurrente
ayant pour but d’écraser le constructeur américain. (Source : Nicolas
Ederlé, Vision et pilotage d’entreprise : conceptualisation, représentation et
pratiques, Thèse de doctorat es Sciences de Gestion, Université Paris Dauphine,
29 mai 2001).
[4] - l’expression
est de Jean-Louis Barsoux et Susan Schneider (Source : Management
interculturel, Pearson Education, 2ème édition, 16 juin 2004).
[5] - Le 24 mai
1924, la Banque de l’Afrique Occidentale (BAO) installe son agence à Bamako.
Les locaux sont ceux abritant l’Agence « Adama Seydou Traoré » de la
BIM SA sise au grand marché de Bamako. A
la suite de la BAO, la Banque Commerciale Africaine (BCA) s’installe aussi en
1926 à Bamako. (Source : BCEAO, Chronologie des évènements marquants de
l’histoire de la BCEAO et de l’UMOA, Edition 2012,www.bceao.int).
[6] - Source :
Observatoire du Développement Humain Durable et de la Lutte Contre la Pauvreté,
Effets économiques et financiers de la crise politique et sécuritaire 2012 au
Mali: analyse de la situation et énoncé de mesures conservatoires, Rapport
Final, Février 2013.
[7]
- Cheickna
Bounajim Cissé, Comptes et décomptes des
banques de l’UEMOA, Les Afriques n° 233 du 28 février 2013
[8] - BCEAO,
Rapport Economique et Monétaire, N° 73, juin 2013, www.bceao.int
[9] - A la 17ème
Session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de
l’UEMOA, tenue du 23 au 26 octobre 2013 à Dakar, il a été demandé à la BCEAO,
au titre des questions relatives au financement des économies de l’Union, de
« poursuivre les actions devant aboutir à une baisse du coût du crédit à
la clientèle de l’Union. » (Source : Communiqué final de la CCEG, 17ème
session ordinaire de l’UEMOA, www.dakaractu.com)
[10] - Source :
Banque Mondiale, Africa Infrastructure Country Diagnostic (AICD), en français
Diagnostic des infrastructures nationales en Afrique, Rapport Pays,
Infrastructure du Mali: Une perspective continentale, Cecilia M.
Briceño-Garmendia, Carolina Dominguez et Nataliya Pushak. Washington, http://infrastructureafrica.org/system/files/library/2011/07/CR%20Mali%20Country%20Report%20FRENCH.pdf,
juin 2011.
[11] - Observatoire
du Développement Humain Durable et de la Lutte Contre la Pauvreté (ODHD/LP), Effets économiques et financiers de la crise
politique et sécuritaire 2012 au Mali: analyse de la situation et énoncé de
mesures conservatoires, Rapport Final, Février 2013.
[12]
- Cheickna
Bounajim Cissé, Comptes et décomptes des
banques de l’UEMOA, Les Afriques n° 233 du 28 février 2013.
[13] -
Source : BNP Paribas, Rapport annuel 2012, www.bnpparibas.com
[14] - Au Mali,
le budget d’Etat rectifié 2013 est de FCFA 1 433,515 milliards et le
projet du Budget d’Etat 2014 se chiffre à FCFA 1 518,116 milliards
(Source : Communiqué de la Session extraordinaire du Conseil des Ministres
du 04 octobre 2013).
[15] -
Source : Attijariwafa bank, Rapport annuel 2012, www.attijariwafabank.com
[16] - Selon le
Rapport de la Commission Bancaire, les 118 établissements de crédit (105
banques et 13 établissements financiers) ont un total bilan de FCFA 17 356
milliards au 31 décembre 2012.
[17] -Durant la
seule année 2012, la Banque Populaire a ouvert 100 agences (1145-1045) alors
que le nombre de guichets bancaires dans la zone UEMOA n’a augmenté que de 96
unités (1949-1853).
[18] - Selon les
chiffres de la Commission Bancaire au 31 décembre 2012, les trois groupes
bancaires marocains représentent 28,2% du total bilan des banques maliennes,
29,9% des dépôts collectés et 29,8% des crédits distribués. (Source :
Commission Bancaire de l’UMOA, Rapport annuel 2012).
[19] - Source : Coopération
économique : Le groupe Banque Centrale Populaire du Maroc affiche ses
ambitions pour le Mali, 28/11/2013, www.news.bamako.com
[20] - Au 31 décembre 2012, le capital
social de la BDM de FCFA 10 000 430 000 est ainsi réparti :
BMCE (27,38%), Etat du Mali (19,58%), BCEAO (15,96%), BOAD (15,96%), CCIM
(12,87%) et Privés Maliens (8,25%). (Source : BDM SA, Rapport annuel 2012,
www.bdm-sa.com).
[21] - Agence
Ecofin, BNP Paribas veut économiser 2 milliards d’euros par an dès 2015, www.agenceecofin.com, 22/11/2013.
[22] - En une
décennie, la France a perdu 50% de sa part de marché en Afrique au profit de la
Chine et des pays émergents. Celle-ci est passée de 10% à 4,7% entre 2000 et
2011. Le Forum économique franco-africain à Bercy a regroupé 560 chefs
d’entreprise français et africains en présence de quatre chefs d’Etat dont
François Hollande. Selon le président français, l’objectif de son pays est de
« doubler en cinq ans ses échanges commerciaux » avec l’Afrique.
(Source : Sommet franco-africain sur l’économie, www.le figaro.fr,
07/12/2013).
[23] - Interview
de Adama Seydou Traoré, premier président de l’APBEF en 1990 et ancien PDG de
l’actuelle BIM. (Source : APBEF, Le courrier du Banquier n° 004 de
décembre 2012).
[24] - Selon la
classification de la Commission Bancaire, sont considérés comme « grandes
banques », les établissements de crédit qui ont un total bilan d’au moins
FCFA 200 milliards.
[25] - Le Plan
de Développement à Moyen Terme de la BDM met en force la conduite de grands
chantiers comme l’ouverture prochaine de filiales à Abidjan, Ouagadougou et
Paris ainsi que la création d’une Compagnie d’Assurance. (Source : extrait
du « Mot du Président », site de la BDM, www.bdm-sa.com).
[26] - Le
Ministère de l’Economie et des Finances et la BCEAO dans les limites de ses
responsabilités en matière de contrôle prudentiel suivent étroitement les
opérations de la BHM afin que les moyens mis à sa disposition par l’Etat via la
recapitalisation (à concurrence de 11,4 milliards de FCFA en 2010) et la
domiciliation à la BHM des fonds du budget national destiné au financement des
logements sociaux (à concurrence de 7 milliards de FCFA en 2011) conduisent à
des prêts productifs. (Source : FMI, Staff Country Reports, 56 pages, 11
janvier 2012, www.books.google.fr)
[27] - Cheickna
Bounajim Cissé, Gouvernance
bancaire : comptes et mécomptes, journal Les Echos n°1280, 25 octobre
2013.
[28] -
MasterChef est une émission de télé-réalité produite à l'origine au
Royaume-Uni par la BBC en 1990, et déclinée depuis dans différents pays dont la
France qui est à sa 4ème saison avec TF1. (Source :
fr.wikipedia.org)
[29] - Cheickna Bounajim Cissé,
Gouvernance bancaire : comptes et mécomptes, journal Les Echos n°1280, 25
octobre 2013.
[30] - Par exemple, la Fondation marocaine
pour l’éducation financière est une association à but non lucratif qui réunit
des acteurs privés et publics, dont la banque centrale (Bank Al-Maghrib), le
ministère de l’Education Nationale et celui de l’Economie et des Finances, la
Bourse de Casablanca, le patronat (CGEM), le CDVM et le Groupement
professionnel des banques du Maroc (GPBM). Son plan d’actions (2013-2015) est
doté d’un budget de 6 millions de dirhams (environ FCFA 360 millions) pour
sensibiliser en participant à l’éducation financière des populations. La
seconde édition des « Journées de la Finance » qui s’est déroulée du
18 au 22 mars 2013 avait pour cible les enfants et le les jeunes. Ce sont
57 000 élèves issus des 16 régions du royaume qui ont bénéficié
d’activités parascolaires liées à la découverte du monde de la finance.
[31] - Cheickna Bounajim Cissé, Les défis du Mali nouveau : 365
propositions pour l’émergence, Editions Amazon.fr
[32] - de l’expression populaire
« fantan doussou ba ».
[33] - Source : Sidy DIOP et Habib Demba FALL, Spécial
Mali, Le Mali face à ses urgences, Le Soleil International, décembre 2012.
Interview de Madame Aminata Traoré, de membre active de la Société civile et
ancienne ministre de la République.
[34] - le
bambara est la langue nationale la plus utilisée au Mali.
[35] - Source : Prospective Maroc
2030, Actes du Forum I, Environnement géostratégique et économique, Session 3,
Communication de Brahim Benjelloun Touimi (BMCE Bank), Intermédiation bancaire
au Maroc : perspectives d’avenir « 25 anticipations pour les 25 prochaines
années ». Pour la clarté de ma démonstration, je vous propose un extrait de
l’intervention de M. Touimi : « Le
mode bancaire est le dernier bastion de « la souveraineté économique » d’un
Maroc concédant de plus en plus de prérogatives économiques, commerciales et
financières en vertu d’engagements multilatéraux (les futurs rounds commerciaux
multinationaux) et d’engagements euroméditerranéens et atlantiques. Ainsi, il y
aurait une prédominance des banques à capitaux majoritairement marocains mais
avec une part croissante des banques d’origine étrangère, essentiellement
françaises (25 % actuellement dans les capitaux propres), et les opérations de
consolidation bancaire dans l’Union européenne auront conditionné la
recomposition du paysage bancaire marocain », www.hcp.ma.
Merci pour cet analyse complète du secteur bancaire malien.
RépondreSupprimerSerait-il possible de publier les tableaux/graphiques sous un format permettant de les rendre plus lisibles?
Merci.
Je vous remercie pour votre analyse.
RépondreSupprimerBonne continuation
Cissé, excellent travail! on peut en discuter un peu plus en detail? Amara
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