Le 10 février 2003, Kenneth
Rogoff, alors Conseiller économique et directeur du Département des études du Fonds
monétaire international (FMI), publia un article au titre martial « La
riposte du FMI[1] ».
En incipit, il planta le décor : « Vilipendé par les protestataires
anti-mondialistes, les politiciens des pays en développement et certains
lauréats du prix Nobel de science économique, le Fonds monétaire international
est devenu le principal bouc émissaire sur la scène mondiale...comme si ses
économistes possédaient le double monopole de l'infamie et de l'erreur. Il est temps de remettre
les pendules à l'heure (…). »
Curieux retournement de
veste pour ce joueur d’échecs de classe mondiale passé de l’autre côté du tablier
! Après un départ en trombe, l’œil rivé sur le rétroviseur, le chef économiste
du FMI tempéra sa riposte : « Ces critiques sont, à certains égards,
justifiées, même si leurs auteurs (dont moi-même à l'époque où j'étais professeur
d'université) tendent à exagérer la gravité des problèmes ; d'autres, par
ailleurs, sont sans fondement et ne visent qu'à échauffer les esprits. » Il
se dit néanmoins consterné de voir le personnel de son institution accusé de
néolibéral au point de refuser « d'écouter John Maynard Keynes [même] si
celui-ci leur téléphonait d'outre-tombe pour leur donner son avis[2]. » L’épilogue de l’article
est aussi abêti que son prologue. Pour Kenneth Rogoff, même si les « pays
pauvres » décident de se passer de « l'expertise macroéconomique
particulière du FMI, il leur faudra bien quelque chose qui y ressemble fort[3]. » Le professeur Joseph Tchundjang Pouemi, à la fermeté éprouvée et au raisonnement rigoureux, présentait
le Fonds
Monétaire International comme la « citadelle du savoir
monétaire[4] » ; mais, l’économiste camernounais s’était bien gardé d’affabuler
l’institution ounsienne de l’outrecuidance de son homologue américain.
En 1750, face à
l’énorme tollé suscité par son ouvrage De
l’esprit des lois, l’écrivain français Charles Louis de Secondat, alias Montesquieu,
prit le parti de la réplique en publiant un autre texte (Défense de l’Esprit des lois), sous la
forme d’un droit de réponse. Il y invita ses contempteurs et pourfendeurs à l’observation
d’une règle de bon sens : « L’équité naturelle demande que le degré
de preuve soit proportionné à la grandeur de l’accusation. »
A trois siècles de longueur de cette sagesse,
notre argumentaire tentera de ne pas s’en démarquer, tout en veillant à observer
la rigueur requise à la nécropsie. L’emblématique Premier ministre britannique
Winston Churchill disait : « La critique peut être désagréable,
mais elle est nécessaire. Elle est comme la douleur pour le corps humain :
elle attire l’attention sur ce qui ne va pas. » Il s’agira donc pour nous d’explorer les tenants et de disséquer les déterminants des programmes mis en œuvre par les institutions de Bretton
Woods en Afrique.
Consensus de Washington
Entrons dans le vif du sujet. Que recouvre l’idéologie néolibérale ? Dans un article étonnant, presque détonnant, publié dans sa revue Finances & Développement de juin 2016, le FMI nous livre sa propre compréhension du concept : « Le programme néolibéral repose sur deux piliers. Le premier, l’intensification de la concurrence, passe par la déréglementation et l’ouverture des marchés intérieurs, y compris financiers, à la concurrence étrangère. Le second consiste à réduire le rôle de l’État en procédant à des privatisations et en limitant les prérogatives gouvernementales en matière de déficit budgétaire et d’endettement[5]. »
Qui décide des programmes
des pays africains avec le FMI ? Voici la réponse de l’ancien économiste
en chef et premier vice-président de la Banque mondiale Joseph Stiglitz : « Les
plans, en règle générale, sont dictés de Washington, et mis en forme au cours
de brèves missions de hauts responsables : dès leur descente d’avion, ils
s’immergent dans les chiffres du ministère des finances et de la banque
centrale et, pour le reste, résident confortablement dans les hôtels cinq
étoiles de la capitale[6]. »
L’application des programmes
d’inspiration néolibérale a-t-elle été bénéfique ou maléfique aux pays
africains ? Voici la réponse des services du FMI : « De nombreuses
facettes du programme néolibéral méritent d’être saluées. Le développement du
commerce mondial a sauvé des millions de personnes du dénuement le plus
extrême. L’investissement direct étranger a souvent permis de transférer des
technologies et des savoir-faire dans des pays en développement. La
privatisation d’entreprises s’est traduite dans bien des cas par une offre de
services plus efficace et un allégement de la charge budgétaire[7]. » Certains volets du
programme, souligne le Département des études du FMI, n’ont pas donné les
résultats attendus : « L’examen [la libéralisation du compte de capital
et l’assainissement des finances publiques] aboutit à trois conclusions troublantes
: (i) les bienfaits en termes de gains de croissance semblent très difficiles à
déterminer à l’échelle d’un large groupe de pays ; (ii) les coûts liés au
creusement des inégalités sont importants. Ils témoignent de la nécessité
d’arbitrer entre les effets sur la croissance et sur l’équité induits par certains
aspects du programme néolibéral ; (iii) le creusement des inégalités influe
à son tour sur le niveau et la durabilité de la croissance. Même si la
croissance est l’unique ou le principal objectif du néolibéralisme, les
partisans de ce programme doivent rester attentifs aux effets sur la
répartition[8]. »
Censé assurer la
stabilité du système monétaire international, le FMI est taxé d’être une « arme
d'expansion du libéralisme et du capitalisme[9]. » Et ce n’est
pas totalement faux pour peu qu’on se réfère à son tour de table. Les États-Unis,
avec 17,44 % des quotas et 16,51 % des droits de vote[10], sont le principal
contributeur du FMI et disposent de fait d’un droit de véto sur les décisions
les plus importantes de l’institution. Lors de son audition au Sénat français,
le 21 avril 1999, le haut-fonctionnaire Jean-Pierre Landau, ancien
administrateur pour la France au FMI et à la Banque mondiale, déclara : « Le
FMI avait donné l'impression, au cours de ses récentes interventions, qu'il
était porteur de certaines valeurs, en particulier du modèle économique
américain, jugé supérieur, et que ses actions consistaient à l'implanter au
tréfonds des sociétés des Etats secourus[11]. » Sans commentaires !
Les politiques trop rigides
et contraignantes que le FMI mène en Afrique sont basées pour l’essentiel sur
les dix commandements du « Consensus de Washington », ainsi énumérés :
discipline budgétaire, redéfinition des priorités en matière de dépenses
publiques, réforme fiscale, libéralisation des taux d’intérêt, taux de change
compétitif, libéralisation du commerce, libéralisation des investissements directs
en provenance de l’étranger, privatisation, déréglementation et droits de
propriété. Regardons
cela de plus près.
Le corpus de préceptes d’idéologie
néolibérale a été révélé au public suite à la publication en 1989 d’une note sous
la plume de l’économiste et universitaire John Williamson, son concepteur. A y
regarder de près, les travaux ayant abouti au « Consensus de Washington »
sont fortement inspirés de la vieille théorie de Friedrich Hayek. Cet économiste
britannique, lauréat du prix Nobel d’économie en 1974, fut l’un des plus
influents défenseurs de l’ultra-libéralisme. L’un de ses plus grands
pourfendeurs est Joseph Stiglitz, Nobel d’économie (2001). Dans son ouvrage La
Grande Désillusion (2001), cet économiste américain, surnommé le pape du
néo-keynésianisme, tira à boulets rouges sur les politiques inspirées par le “Consensus
de Washington” : « Dans tous les pays qui les ont appliquées, le développement
a été lent, et, là où il y a eu croissance, ses bénéfices n’ont pas été
également partagés ; les crises ont été mal gérées. […] Ceux qui ont suivi les
prescriptions et subi l’austérité se demandent : quand en verrons-nous les
fruits ? ».
En octobre 2013, le
professeur Joseph Stiglitz accorda une interview à la Tribune dans laquelle il nous
fait accéder à sa hauteur : « La vérité est que la vision d'Hayek, qui stipule
que le marché fonctionne parfaitement seul et s'autorégule, était fausse. […] Les
fondamentaux de l'économie enseignés dans les universités parlent d'un marché
qui se régule de lui-même par l'offre et la demande. Or aujourd'hui, ce n'est
pas le cas. Partout dans le monde, des gens veulent contribuer à la société,
veulent travailler, mais ne peuvent pas le faire, ce qui entraîne un gaspillage
de ressources. De même, aux États-Unis, des millions d'Américains sont à la
rue, alors qu'il y a beaucoup de maisons vides. En réalité, la main invisible
censée réguler le marché est invisible... parce qu'elle n'existe pas[12]. »
Dans un article au titre
évocateur « Un train de réformes devenu un label galvaudé[13] », publié en septembre
2003 dans le magazine Finances & Développement du FMI, John
Williamson remit le couvert en se désolant que son programme de réformes baptisé
« Consensus de Washington » puisse devenir « un cri de guerre
dans les débats idéologiques ». Il estima que « le terme est devenu
si désespérément équivoque qu’il parasite la réflexion. » Il fustigea l’interprétation
« populiste » qui est faite de son pack de réformes qualifié par ses détracteurs
de néolibéral (« la version la plus à droite d’un programme libéral »
à ses dires) avec un « État minimal (qui ne se charge ni de corriger les inégalités
de revenu ni d’internaliser les externalités) ». Il indiqua que le « Consensus
de Washington » était uniquement destiné à l’Amérique latine en 1989 et ne
devrait pas être « une recette valable pour tous les pays et toutes les
époques ».
Camisole de force
Mais le hic, ce que John
Williamson ne dit pas – et qu’il n’ignore pourtant pas – c’est que sa recette « miracle »
est devenue une camisole de force que le Fonds Monétaire International, « temple
du monétarisme et de l'orthodoxie néolibérale[14] », a engoncée à tous
les États africains sous programme. Quelques que soient leur structuration et leurs
mensurations, c’est presque la même ration pour tous : un pack de réformes
prétendues incontournables. Joseph Pouemi rappelait dans son célèbre livre Monnaie,
servitude et liberté, le « rôle proprement policier du FMI » qui
se résumait, à ses dires, en un mot : la conditionnalité. Il définissait ce
terme comme la « répression par les gendarmes en col blanc[15] ».
Avec un brin de
persiflage, comment ne pas me rappeler l’histoire de ce papi de mon terroir qui
répondit à l’appel de l’armée coloniale, les pieds nus et les brodequins enlacés
au cou. L’officier recruteur, boursoufflé à sa vue, jeta un coup d’œil furtif sur
ce colosse aux pieds XXXL (pointure 50 au moins !). Il lui signa, de
suite, un certificat de dispense. Avant de congédier brutalement le miraculeux recalé,
le soudard lui asséna néanmoins : « Ce sera pour la prochaine fois ! »
C’est vrai qu’à défaut de disposer d’une paire de chaussures à sa taille, il ne
lui restait plus qu’à ajuster les pieds du pépère aux godillots. Cette terrible
alternative valait aussi dispense au combat. Fermons la parenthèse et
poursuivons ! On aurait pu en rester là, si les services internes du Fonds
monétaire international (FMI) n’étaient pas aussi montés au créneau pour mettre de l’huile dans les rouages des critiques. Venant d’une
institution gardienne de l’orthodoxie financière mondiale, il y a de quoi
surprendre les incrédules. « Quand votre chien attrape l’improbable, les bavards et les musards
vous feront vivre une journée mémorable », préviennent les sages
africains.
En janvier 2013, l'économiste
en chef du FMI Olivier Blanchard et un de ses collaborateurs Daniel Leigh, avaient
cosigné une étude intitulée « Erreurs de prévisions de croissance et multiplicateurs
budgétaires » (traduit de son titre original « Growth Forecast Errors
and Fiscal Multipliers[16] »). Dans leur note,
les deux économistes reconnaissent vertement « une erreur dans les anticipations
des conséquences de la consolidation budgétaire sur la croissance économique. (Et
que) les coupes budgétaires ont provoqué un recul plus fort que prévu de la
croissance européenne[17]. » En clair, pour
eux, « l'utilisation d'un mauvais coefficient de calcul a débouché sur une
sous-estimation des effets négatifs de l'austérité en Europe[18]. » Peine perdue pour
les décisions politiques prises à dire d’expert ! Alfred Sauvy a peut-être
raison : «Les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d'être
torturés, finissent par avouer tout ce qu'on veut leur faire dire». Le
flegmatique dirigeant politique britannique, non moins prix Nobel de
littérature, Winston Churchill est plus acerbe : « Je ne crois jamais une
statistique à moins de l'avoir moi-même falsifiée. »
Une pensée néolibérale en
berne
Le 26 mai 2016, trois ans
après le mea-culpa de Olivier Blanchard, les services études du FMI récidivaient.
Trois économistes, Jonathan D. Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri, respectivement
Directeur adjoint, Chef de division et économiste au Département des études du FMI,
publiaient dans Finances & Développement, la revue de référence l’institution,
un article choc : « Le néolibéralisme est-il surfait ? ». En
d’autres termes, le néolibéralisme est-il survendu aux pays africains ? Les
auteurs s’interrogeaient sur l’efficacité de certaines recettes « néolibérales »
utilisées par leur institution, notamment celles axées sur les politiques
d'austérité et l'ouverture du marché des capitaux. Ils indiquaient qu’« au
lieu d’apporter la croissance, certaines politiques néolibérales ont creusé les
inégalités au détriment d’une expansion durable. » Ils insistaient même sur
le coût très élevé des politiques d’austérité. « Depuis 1980, il y a eu environ
150 épisodes d’entrées massives de capitaux dans plus de 50 pays émergents ; (…)
dans 20% des cas environ, ces épisodes se soldent par des crises financières
liées la plupart du temps à de fortes baisses de la production », soulignaient le
trio d’experts du FMI. Pourtant, le professeur Jagdish Bhagwati, spécialiste
reconnu des questions d’économie internationale et présenté comme le « gourou
de la mondialisation[19] », avait mis en
garde le FMI par rapport à son acharnement à promouvoir la liberté des
mouvements de capitaux. Dans leur chute, les trois économistes de Washington nous
emportaient vers une direction inattendue, tout au moins inespérée : « Les
pays et les institutions qui les conseillent, comme le FMI, ne doivent pas être
guidés par leurs convictions, mais s’inspirer des recettes qui ont fait leurs
preuves.[20] ».
Voilà qui est dit ! À chacun de s’y mettre ou de se démettre.
Après ses propos acérés, il n’en fallut pas plus pour que les réseaux sociaux s’enflamment et que les
médias s’entremêlent. La Toile gloutonne d’articles et de commentaires épais et
épicés sur le sujet. Il est vrai que cette étude détonnait dans l’univers très
fermé du Fonds monétaire international, « cœur battant du consensus de Washington
et de l'idéologie dominante[21] », rétif à toute repentance sur ses programmes en
Afrique.
Le 2 juin 2016, soit quelques
jours après la publication de l’article polémique, le chef économiste du FMI Maurice
Obstfeld a tenté de tiédir l’analyse de ses collègues en faisant l’exégèse des
propos controversés : « Cet article a été largement mal interprété et il
ne faut pas y voir d’inflexion majeure dans la démarche du FMI. Je pense qu’il
est fallacieux de poser la question de savoir si le FMI est pour ou contre
l’austérité. Personne ne veut d’une austérité stérile. Nous sommes pour les
politiques budgétaires qui accompagnent la croissance et l’équité dans la
durée. Et ces politiques varient selon les particularités de chaque pays et de
chaque situation. (…) C’est là une réalité et non pas une orientation
idéologique[22]. »
Peine perdue ! Le coup était déjà parti ! Dans sa veine tentative de déminer
la polémique, le chef économiste du FMI en a ajouté une couche pour la moins
insolite : « Nous avons pour mission de conseiller les gouvernements
sur la gestion optimale de leur politique budgétaire, afin d’éviter des
conséquences néfastes. Parfois, cela nous amène à reconnaître qu’il est des
situations où des coupes budgétaires excessives peuvent aller à l’encontre de
la croissance, de l’équité, voire de la viabilité même des finances publiques »
avant d’ajouter : « Il y a des limites aux souffrances que les pays
peuvent ou doivent endurer[23]. » Sans commentaires !
Il est, aujourd’hui, clairement
démontré que la politique néolibérale a été survendue aux pays africains. Bien
souvent, il leur a été servi une pâle copie de l’économie de marché. Cette manœuvre
inédite et inattendue du FMI, provenant de la profondeur de ses entrailles, avait
surpris plus d’un. A quoi rimaient cette prise de conscience soudaine moulée
dans la lucidité et l’empathie ? Il est vrai que ces sorties des experts
du FMI, décalées par rapport à la doxa, n’étaient certes pas une auto-répudiation,
mais elles restaient un amas de « critiques en règle des politiques de
dérégulation menées partout dans le monde depuis quarante ans, sous l'égide…du FMI[24] ». Mise en état d'ébullition,
la presse en avait fait ses choux gras.
Ne pouvant résister à
l’attraction d’une image forte, l'essayiste belge Paul Jorion, professeur de l’université
catholique de Lille et ancien enseignant à Cambridge, dira que « l’histoire
du FMI, c'est une histoire de désastres successifs. Donc ce n'est pas un
organisme qui a une très bonne réputation. Il s'est pratiquement toujours trompé.
Pourquoi ? Parce qu'il n'a pas fait de l'analyse mais a suivi un programme
idéologique[25]. »
Même si la critique est trempée dans
le vitriol, elle traduit un mal-être de plus en plus perceptible dans
l’opinion publique africaine.
Dans la livraison de mai 2010
de Réalités Industrielles, la très confidentielle revue de l’Ecole des
Mines, le doyen des économistes français Maurice Allais, par ailleurs prix Nobel
d’économie (1988), fustigea le néolibéralisme en des termes très incisifs :
« Le libéralisme ne saurait être un laisser faire ». Pour lui, le
chômage, est « la conséquence de la libéralisation inconsidérée du
commerce international[26]. » Ancien compagnon de
route de Hayek et de Friedman, il reconnut ses propres erreurs du passé et
fit son mea-culpa : « Nous avons été conduits à l’abîme par des affirmations
économiques constamment répétées, mais non prouvées. Par un matraquage
incessant, nous étions mis face à des vérités établies, des tabous indiscutés,
des préjugés admis sans discussion. Cette doctrine affirmait comme une vérité
scientifique un lien entre l’absence de régulation et une allocation optimale
des ressources. Au lieu de vérité il y a eu, au contraire, dans tout ceci, une
profonde ignorance et une idéologie simplificatrice[27]. » Ce revirement de Maurice
Allais avait tous les accents de la repentance.
Un courant néokeynésien en
vogue
Dans cet environnement de
clair-obscur, le keynésianisme a le vent en poupe. À coup de milliards de
dollars et d’euros, l’Occident fait l’apologie de l’« État providence »
– même si les doctrinaires de Bretton Woods peinent à le reconnaître :
intervention massive de l’État pour sauver les banques, création de banques
publiques d’investissement, protection du marché local et des « champions
nationaux », présence de l’État dans le conseil d’administration
d’entreprises privées, plafonnement de la rémunération des dirigeants de banques,
etc. Bref, tout y passe pour sortir le nez de l’eau. Tout, sauf ce qui est
imposé aux pays africains ou que ceux-ci ont choisi – qu’importe d’ailleurs l’un
des deux. Et, on n’est pas loin du passage de témoin entre la Chine dite «
communiste » qui se privatise, et l’Europe dite « libérale » qui se socialise.
D’énormes sommes sont
investies dans les dépenses publiques. Le déficit explose et la dette prend
l’ascenseur. Par exemple, le plan Paulson aux États-Unis, du nom de l’ancien
secrétaire au Trésor Henry Paulson, avait nécessité la rondelette somme de 700
milliards de dollars, soit 520 milliards d'euros. Ce plan visait à acheter et à
gérer certains actifs toxiques des portefeuilles des institutions financières.
L’État fédéral américain a utilisé 185 milliards d'euros pour entrer au capital
de neuf banques, dont Citigroup, Wells Fargo, JP Morgan Chase, Bank of America.
Si l'on y ajoute les nationalisations des agences de refinancement hypothécaire
Freddie Mac et Fannie Mae, de l'assureur AIG, le soutien aux fonds monétaires et
les garanties de la Fed au rachat de Bear Stearns, le plan de sauvetage du
système financier américain approchait les 1 200 milliards de dollars, soit 8 %
du PIB américain.
En Europe, les aides
autorisées par la Commission européenne au secteur financier, (il existe
8 000 banques sur le Vieux continent, dont 44 de grande taille), s’étaient
élevées au total à 5 059 milliards d'euros (près de trois fois le PIB du
continent africain), dont un tiers environ avait été effectivement utilisé (13 %
du PIB européen), entre le début de la crise en octobre 2008 et octobre 2012.
La majeure partie de ces aides avait été consacrée aux garanties apportées aux
banques privées. Le reste a été destiné à leur recapitalisation, à des injections
de liquidités et au sauvetage d’actifs dépréciés. En France, le plan de relance
au secteur bancaire se chiffrait à environ 400 milliards d'euros, soit 20 %
du PIB. Dans la foulée de la gestion post-crise, sans coup férir, le
gouvernement français avait créé le 31 décembre 2012 la Banque publique d'investissement
(BPI).
Cette débauche exceptionnelle
d’énergie des politiques en Occident pour sauver leur système bancaire avait fait
dire, ironiquement, au défunt président vénézuélien, Hugo Chavez : « Si
le climat était une banque, on l'aurait déjà sauvé. » Le discours n’était
certes pas sans arrière-pensées politiques, mais la réalité était crûment déclamée.
Ce qui transparaît clairement
dans le discours de la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva lors de
la séance plénière de l’Assemblée annuelle 2019 du FMI et de la Banque mondiale
le 18 octobre 2019 : « Permettez-moi pour commencer de citer John
Maynard Keynes, un de nos pères fondateurs : « L’économie est essentiellement
une science morale et non pas une science naturelle, c'est-à-dire qu'elle fait
appel à l'introspection et aux jugements de valeur. » Ces mots montrent bien la
raison d’être du FMI et de son personnel[28]. »
Dès lors, comment comprendre
qu’il puisse être imposé aux pays africains une posture d’« État gendarme »,
de rester à la périphérie du développement en laissant la main à un secteur
privé faible et affaibli, alors que les gouvernants des pays qui en font la médication,
signent chez eux, sous la pression d’une crise persistante et d’une rue
insistante, le grand retour de l’État dans les affaires ?
Après avoir subi une éternité de domination
extérieure, les pays africains sont supposés être des États matures, « majeurs et vaccinés ».
Ils ont au compteur 12 000 ans d’histoire, ont subi plus de quatre siècles
d’esclavage et de colonisation, revendiquent près de six décennies d’indépendance
politique et souffrent de quatre décennies de cure d’austérité imposées,
superposées et transposées dans un modèle économique néolibéral, ultralibéral,
bancal, martial et, pour finir, létal. Si avec tout ce background, ils ne sont pas parvenus à construire
leur propre modèle économique qui tient compte de leurs
réalités et de leurs ambitions, alors il faut désespérer, envisager un
« Afrexit », et les laisser définitivement sous la tutelle des
« aumôniers du monde ».
Cheikhna Bounajim Cissé, l’émergentier
[1] https://www.imf.org/fr/News/Articles/2015/09/28/04/54/vc021003
[2] ibid
[3] ibid
[4]Joseph
Tchundjang Pouemi,
Monnaie, servitude et liberté. La
répression monétaire de l’Afrique, Éditions Jeune Afrique, Paris, 1980,
réédition par les Éditions Menaibuc, Paris, 2000.
[5] https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2016/06/pdf/ostry.pdf
[6] https://www.monde-diplomatique.fr/2002/04/STIGLITZ/8657
[7] https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2016/06/pdf/ostry.pdf
[8] ibid
[9] https://www.humanite.fr/node/372
[10] https://www.imf.org/external/np/sec/memdir/members.aspx
[11] https://www.senat.fr/rap/r99-284/r99-2844.html
[12]En ligne : www.latribune.fr/opinions/tribunes/20131021trib000791581/stiglitz-aucune-economie-n-est-jamais-revenue-a-la-prosperite-avec-des-mesures-d-austerite-.html
[13] https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2003/09/pdf/williams.pdf
[14] https://www.lefigaro.fr/vox/economie/2016/06/01/31007-20160601ARTFIG00212-neoliberalisme-le-fmi-fait-son-mea-culpa-a-quand-celui-des-elites-francaises.php
[15] Joseph Tchundjang Pouemi, Monnaie,
servitude et liberté. La répression monétaire de l’Afrique, Éditions Jeune
Afrique, Paris, 1980, réédition par les Éditions Menaibuc, Paris, 2000.
[16] https://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2013/wp1301.pdf
[17] https://www.lecho.be/economie-politique/international/general/austerite-le-mea-culpa-du-fmi/9288508.html
[18] https://www.liberation.fr/futurs/2013/01/08/oups-le-fmi-s-est-trompe-sur-l-austerite_872394
[19] https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2005/09/pdf/people.pdf
[20] https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2016/06/pdf/ostry.pdf
[21] https://www.lefigaro.fr/vox/economie/2016/06/01/31007-20160601ARTFIG00212-neoliberalisme-le-fmi-fait-son-mea-culpa-a-quand-celui-des-elites-francaises.php
[22] https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2016/06/pdf/ostry.pdf
[23] ibid
[24] ibid
[25] https://www.rtbf.be/info/monde/dossier/europe-crise-actualite/detail_paul-jorion-le-fmi-c-est-une-histoire-de-desastres-successifs?id=7475863
[26] https://www.lesinfluences.fr/Maurice-Allais-flingue-le-neo.html
[27] ibid
[28] https://www.imf.org/fr/News/Articles/2019/10/18/sp101819-md-am-plenary-speech