C'est un
extrait de l'un de mes prochains livres "Les fables folâtres de la
gouvernance bancaire". Cette fable est le premier épisode de la série
"La couronne du requin-pèlerin".
En cette fin de période estivale, alors que le soleil déclina à la recherche de son gîte, une nouvelle inattendue retentit. Une jeune otarie, beurrée et apeurée, lança soudainement un cri strident qui déchira la quiétude vespérale.
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Son bêlement ameuta
sa comparse, un vieux phoque préoccupé à entretenir ses blanchons. En
godillant, le pinnipède alla chercher gîte et couvert auprès du renard. Otocyon
megalotis, féru de ses vibrisses drues, entretint sa pilosité. Oto ! Il
y a un grave danger. N’as-tu pas entendu l’appel au secours de Dame otarie, grogna
le phoque ? Comment peux-tu en douter avec mes esgourdes, retorqua le
félin ? Que sais-je, rechérit le phocidé visiblement irrité par la remarque de
Oto, les renardeaux ne sont-ils pas aveugles et sourds à leur naissance ?
Cessons de discuter pour si peu, il y a mieux à faire. Ensemble, par reptation
et par bonds, ils parvinrent tant bien que mal à retrouver la lionne de mer cachée
entre les grèves de galets et les roches.
Pourquoi
tu rugis ? s’exclamèrent le phocidé et le canidé. Pour tout mot, la lionne
de mer encore tremblante d’effroi indexa l’horizon. Il faut souligner que pour survivre
aux multiples guéguerres de leur riveraineté, les trois mammifères et leur
coterie développèrent des comportements extrêmement grégaires. Ils partagent les
repas et les trépas et s’invitent aux fêtes et aux tempêtes.
De loin,
notre belle triplette vit un requin-pèlerin, la tête hors de l’eau quelque peu dissimulée
par le temps brumeux, mais assez visible pour apercevoir dans sa grande gueule une
sublime grosse couronne en… or. Pour un prédateur réputé édenté, ce fut
vraiment une découverte surprenante.
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Le
groupe de mammifères décida de ne pas s’approcher davantage. Sans tarder, ils
prennent leurs antérieurs et leurs postérieurs à leur cou pour porter la
nouvelle à la meute. En cours de route, ils croisèrent les orques bagagistes
affairées à scruter la direction du vent pour sonder l’avenir du présent afin
de préserver le passé du futur. Il faut rappeler que dans leur course effrénée
à la dernière place du podium, les trois cétacés perdirent un des leurs qui eût
déclaré forfait. En rivalité ouverte avant d’être en désaccord, ils durent sceller
leur désunion.
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Clémenceau avait vu juste quand il déclara que pour diriger, il
faut un nombre impair, et que trois c’est déjà trop. Toujours est-il que depuis
cette mésaventure, les deux rescapés élurent domicile dans les berges
rocailleuses des cours d’eau et les flancs des collines, les creux des arbres
et les croisements de routes, les fourmilières et les termitières, bref tous
les lieux sacrés et sacralisés censés abriter les abris des démons les plus
redoutables. Dans l’imaginaire populaire, les épaulards sont réputés pour leurs
pouvoirs présumés mythiques et mystiques. Tout y passe, pots et suppôts,
décoctions et lotions, fragrances enivrantes et envoutantes. Les gris-gris,
amulettes et talismans sont soigneusement dissimulés dans les ailerons et même…
les mamelles de ces cétacés. Pourtant, ces super-prédateurs se défendent de
telles pratiques maléfiques et diaboliques, iniques et cyniques, amplifiées par
les supposées victimes de leurs imprécations et de leurs exécrations qui
tiennent comme par extraordinaire leur santé en bandoulière, déambulant entre
praticiens de ville et tradipraticiens de brousse.
La mauvaise
nouvelle parvint au grizzli, Ursus arctos horribilis. L’air débonnaire
et la démarche pesante, ce colosse attaque rarement mais ne tolère point qu’on
s’aventure dans sa riveraineté. Les scientifiques s’accordent à dire qu’une
seule de ses morsures exerce une pression de 8 millions de pascals, assez
puissante pour broyer une boule de bowling. Pourtant, ondulant et attachant, l’ursidé
reste très attaché aux consignes de son maître. A l’époque, en haut lieu de
dévotion, il n’a pu retenir son émotion pour renouveler son allégeance à son
mentor. A l’apparence, ses oraisons furent de peu d’utilité à l’intrépide félidé
qui continue à méditer à mille lieues, à la périphérie de la réalité et au vestiaire du futur, cette vérité primaire des paroliers
africains : « Quand la sagesse ne réussit pas à vous enseigner, les
circonstances finissent par le faire. ».
« Gouti
! Le requin édenté a poussé une grosse dent en or ! », bafouilla
l’otarie encore tétanisée par sa trouvaille. À ces mots, le grizzly à l’ouïe
fine et à l’odorat affiné se dressa de tout son long pour balayer l’horizon.
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À
la vue de l’insistant visiteur encombrant, il s’affaissa de tout son poids. Ce
qu’il craignit depuis fort longtemps est au seuil de sa tanière. Pour toute
réponse, le grand ours s’emmura dans un silence assourdissant devant les yeux riboulants
des cétacés et du canidé. Il décida de s’effacer le temps que l’orage s’estompe.
Il eut certainement oublié que ce n’est pas en cachant ou en cassant le
thermomètre que la fièvre s’estompera.
Le
groupe de mammifères, ébaubi par la réaction de Gouti, décida de poursuivre
leur chemin. Le trio atteint de toc (trouble obsessionnel compulsif) se
transporta chez le trio de choc (caractère hautement obsessionnel compulsif). Arrivé
aux pénates des gardiens du temple hanté, les mammifères trouvèrent la girafe,
l’hippopotame et le scorpion, déjà aux faits dernières nouvelles. Après le récit
détaillé et coloré des visiteurs du jour, chacun des hôtes prit la parole.
L’hippopotame
concéda que bien qu’il soit un animal amphibie, à l’aise sur terre ferme que
dans l’eau douce, il ne put se mouvoir dans les eaux saumâtres. Essentiellement
herbivore, ce géant aquatique compte parmi les animaux les plus dangereux de la
planète. Dard en avant, le scorpion avoua aussi son incapacité actuelle à se
hasarder dans l’eau. Sinon, il y a de cela des centaines de millions d’années, il
fut un excellent nageur capable de parcourir les fonds des mers et des océans. Il
promit de mettre à la disposition du groupe son terrible venin qui est un
puissant mélange de neurotoxines. Enfin, la girafe fluette, le cou en avant et marchant
l’amble, confia qu’elle ne put se mouvoir en milieu aquatique. Par contre, ayant
le sommeil léger (moins de 2 heures par 24 heures), elle se proposa d’assurer à
elle seule la surveillance de l’horizon, de jour comme de nuit.
Par
cette avalanche d’handicaps, le trio de feu aurait pu bien glacer les ardeurs des
frondeurs, n’eût-été la détermination de ceux-ci. Pour ne pas demeurer en reste,
ils décidèrent de faire chemin ensemble. La décision fut prise de s’en référer
au sultan le prothésiste.
Dans un
vacarme confus de mugissement, de grognement, de rugissement et de jappement,
la meute arriva au cabinet du sultan le prothésiste dentaire.
« Sir !
Sir ! Sir ! », s’écrièrent à l’unisson les mammifères en rangs
dispersés.
« Quel
est cet attroupement en mon logis ! Ne vous-ai-je pas suffisamment intimé
à plus d’ordre et de discipline ! »
« Sir !
Qu’il vous plaise de nous excuser pour une si grande insistance. L’heure est grave ! »,
trompeta Oto à la tête du cortège.
« Maître
renard, que fait Dame otarie dans vos bras ? Est-elle veule ou
bégueule ? »
« Sir,
elle présente un trouble obsessionnel compulsif. Dans notre jargon, ça s’appelle
le TOC. »
« Oto, avez-vous changé de métier à mon
insu ? Etes-vous un médecin ? Allez-y à l’essentiel avant que je ne
vous congédie pour de bon ! », fulmina le sultan.
« Sir !
Le requin édenté a une dent et… elle est en or ! », bafouilla le félin.
« Ne
dites pas un mot de plus, répliqua le maître de céans. Je suis
parfaitement au courant. C’est pour si peu d’inquiétude que vous troublez
ma quiétude ? »
« Sir,
nous implorons votre mansuétude pour nos platitudes ! », répéta à la
cantonade la meute.
« Alors,
écoutez-moi bien maintenant. Et je ne me répèterai pas. Vous vous êtes toujours
trompé au sujet du Cetorhinus maximus. A l’origine, le requin-pèlerin n’est
pas édenté. Sa mâchoire est garnie de plus de 3 000 petites dents qui ne lui
servent qu’à ingurgiter le plancton. Pour éviter tout risque de morsure létale,
des émérites odontologistes et moi-même avions décidé de lui arracher toute sa dentition
et lui avions posé une seule prothèse. De quoi donner à ce planctonivore toute
une vie pour écumer et filtrer les fonds marins à la recherche de sa pitance. Rassurez-vous,
tout est sous contrôle ! »
« Sir !
Qu’il vous plaise de pardonner notre insistance. Etes-vous sûr qu’avec cette seule
dent, il ne nous mordra pas ? », glapit le renard tout en chaleur.
« Votre
imagination relève de la cryptozoologie. Ne vous fiez pas à son titre de super-prédateur.
Le requin-pèlerin n’est pas un monstre marin. Certes, c’est le deuxième plus
grand poisson au monde par la taille, mais il est solitaire et totalement velléitaire.
Et puis c’est un animal pélagique qui ne peut s’aventurer à la surface de l’eau
a fortiori sur la terre ferme. Franchement, mes chers terriens rien à y
craindre ! »
« Sir !
Pourtant sa dent brille de mille feux ! », jappe encore le félin
soutenu par une bande de félons.
« Diantre !
Que vous arrive-t-il enfin ? Sa couronne prothétique n’est ni en argent,
ni en vermeille encore moins en or. Elle est seulement en nickel-chrome. C’est
la lueur des rayons solaires qui lui donne cet aspect de brillance qui n’est en
réalité qu’un leurre ! Mieux, pour se rassurer davantage, le requin a été marqué
par plusieurs balises qui nous permettent de suivre le moindre de ses faits et
gestes. », répond candidement le sultan prothésiste.
« Maintenant,
retournez à vos occupations ! Je vous ai suffisamment entretenu. Vous avez
mieux à faire qu’à dire. Et moi aussi, j’en ai assez d’écouter vos balourdises et
couardises. Comment un requin qui n’a pas pu dompter ses requineaux peut-il
vaincre des centaines d’entre vous, plus véloces et féroces ? Soyez un peu
réalistes ! »
Le prothésiste,
habitué au
maniement rêche et revêche des mots, pensait s’en tirer à si bon compte. Son
plan savamment ourdi depuis de longs mois était presque parfait. Sauf à quelques
détails près. Il ne savait pas que la denture du requin-pèlerin était spéciale.
C’est l’un des rares animaux au monde dont les dents se renouvellent
automatiquement quand elles se cassent ou tombent. Mieux, Dame nature lui a
doté des centaines de dents en réserves dissimulées sous le palais. De même,
si le pèlerin habite dans le fond des océans généralement à plus de 2 000 mètres de
profondeur, il aime aussi se trémousser à la surface des eaux côtières et même
s’aventurer près des terres. La deuxième erreur du prothésiste tenait plus
à de l’impudence qu’à de l’imprudence. A ce niveau de responsabilité, il ne pouvait
ignorer cette formule de bon sens : Tout ce qu’un esprit humain peut concevoir,
un autre est capable de le comprendre. Autrement dit, tout ce que vous
pouvez faire, d’extraordinaire ou d’exceptionnel, quelqu’un d’autre plus docte est
capable de le défaire, de le refaire et même de le parfaire. En dernier lieu, il
faut rappeler qu’on ne gagne pas une guerre parce qu’on est plus nombreux ou mieux
équipé que le camp adverse. On la gagne parce qu’on a une vision et une organisation
capable de soutenir la stratégie qui en découle.
A suivre…
Cheickna
Bounajim Cissé, l’émergentier