(article complet publié le 04/02/15 par Financial Afrik et la version synthétique le 04/02/15 par Les Echos en France sous le titre "Mali: alerte sur la gouvernance bancaire ! )
A la faveur de récents mouvements annoncés ou suscités, le secteur
bancaire s’invite au débat. A l’évidence, le feu couve sous la cendre.
Comme une goute d’eau versée sur un fer chauffé à rouge, la fumée
s’échappe de la cheminée des chapelles bancaires. Blanche ou noire ? En
ligne de mire, le mode de gouvernance le plus efficace à même de porter
le projet politique au sein des établissements bancaires d’obédience
publique.
Les spécialistes de « broderies bancaires » n’ont qu’à bien se tenir. Un
nouveau paradigme profile à l’horizon : se saisir d’une interprétation
de la réglementation bancaire pour donner corps à une décision
stratégique.
Certes, il est difficile de prêter une oreille attentive aux paroles du
gourmand lors du partage de la viande. Mais lorsqu’elles sont sages et
réfléchies, cela mérite un détour. Les questions de gouvernance doivent
être prises très au sérieux. Partout, et surtout en milieu bancaire. On
ne peut pas s’y engager avec l’intention de faire un tour de piste, le
temps d’imprimer sa marque de fabrique, de garnir ses épaulettes et de
raconter une belle histoire aux prescripteurs. Et se dégonfler pour
s’arranger plus tard avec la réalité, entre amis, et faire face à
l’acuité du quotidien.
La bonne gouvernance n’est et ne saurait être une option, un vélo
d’appartement où les animateurs des structures de contre-pouvoirs
rongent leurs freins, faute de trouver mieux. La gouvernance ce n’est
pas de la paille, encore de l’enfumage. Elle ne saurait être un jeu, une
affaire d’improvisation. C’est du costaud. C’est pour avoir été négligé
et même oublié, que le concept revient en force sur la scène publique.
La gouvernance est un tout. On ne peut pas la mettre en pièces
détachées, prendre la partie gratifiante et laisser « l’os » à d’autres
soins. La révélation de manquements et autres coups de canif portés à
son encontre ne peut être une tempête circonscrite dans un verre d’eau.
Elle touchera, tôt ou tard, avec un effet amplifié, l’image et la
réputation de l’établissement bancaire adressé. Pour la simple raison
qu’elle remet en cause la confiance, indispensable pour bâtir de
relations sérieuses et durables entre toutes les parties prenantes.
Est-il besoin d’insister ? Les banques sont les dépositaires de la
confiance de leurs clients.
Réduite ou élargie ?
L’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et GIE de l’OHADA fixe le
nombre d’administrateurs des établissements bancaires à trois membres au
moins et douze membres au plus (art 416). La question suivante se pose :
la taille est-elle un élément déterminant dans l’efficacité du conseil
d’administration ? Plusieurs études conduites dans les grandes banques
européennes ont démontré qu’il n’y avait pas de corrélation entre la
taille de l’organe délibérant et l’efficacité de la gouvernance. Ce qui
n’est pas de l’avis de tous les auteurs. Jensen et Meckling estiment que
le conseil d’administration est plus performant chaque fois que le
nombre de ses membres augmente. Par contre, pour Yermack, les conflits
sont mieux gérés avec un conseil à taille réduite. Dans la pratique, les
banques dotées d’un conseil d’administration à taille réduite (ABN AMRO
ou UBS) n’ont pas été les plus épargnées par la crise financière
internationale. Tout comme, les conseils à taille élargie n’ont pas
apporté plus de valeur ajoutée à leur entreprise.
Comme le rappelle un adage du terroir : « Une pirogue n’est jamais trop
grande pour chavirer. ». D’autant que pour les grandes banques, la
taille qui les identifie et qui constitue leur force, porte aussi le
germe de leur fragilité. En effet, une banque est comme un bateau : plus
elle est grande, plus elle est difficile à arrimer et à accoster. A
taille humaine, elle a une mobilité plus aisée qui lui assure proximité
et efficacité.
Moniste ou dual ?
Il faut ici préciser que dans l’espace OHADA le mode d’administration de
la société anonyme (SA) peut revêtir deux formes : la SA avec conseil
d’administration et la SA avec administrateur général (art 414). Dans
l’espace sous-régional UEMOA, la réglementation bancaire n’autorise
qu’un mode d’administration unique : la SA avec conseil
d’administration. Par contre, le mode de direction reste ouvert :
Président-Directeur Général (gouvernance réunie), et Président du
Conseil d’Administration et Directeur Général (gouvernance dissociée).
Certains analystes estiment que le PDG est juge et partie quand il
anime le débat au sein du Conseil. Si d’aventure, son projet présenté en
Conseil venait à être refusé par les autres administrateurs, son double
statut risque d’être mis en cause. Pour ne pas en arriver là, il peut
être tenté de « sur-intervenir » en conseil ce qui peut être
préjudiciable pour la qualité du débat. Les opposants au monisme
proposent donc de dissocier les fonctions de président et de directeur
général. Dans ce cas, le Conseil à travers son Président n’interférera
pas dans la gestion opérationnelle de la banque et assumera pleinement
son pouvoir de contrôle sur l’exécutif conformément à l’article 435 de
l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et GIE.
Les avocats Mamadou Konaté et Bérenger Meuke font remarquer que « la
supériorité formelle de la gouvernance duale reste à démontrer, tout
dépend des rapports de force internes. Autant la gouvernance duale peut
permettre une dissociation des pouvoirs de direction, autant elle peut
aboutir de par les rapports de force qui naissent très souvent entre le
Directeur Général et l’actionnariat, à une paralysie de la gestion
sociale et partant à la chute de l’entreprise. » Les deux juristes
concluent : « Au-delà de ces ’’petits arrangements entre amis’’, c’est
aussi la vaste question du contrôle social de la société par l’ensemble
de ses parties prenantes (stakeholders) qui est posée. »
Il est intéressant de noter que la pratique en Europe a montré que le
système dual (UBS ou ABN AMRO) n’est pas forcément le gage d’une plus
grande transparence et donc d’une gouvernance renforcée. La Société
Générale s’était essayée au dualisme, sans succès évident, avant d’y
revenir il y a quelques semaines. Auparavant, elle a aussi expérimenté
une nouvelle formule du système moniste avec la nomination d’un PDG, non
sans instaurer un lead director (vice-président). Ce poste n’est pas
prévu dans les dispositions de l’OHADA.
Au niveau de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, le régulateur a
fait part de sa préférence pour la formule duale sans en faire une
obligation. Soyons donc clair, précis et concis. Aucune disposition
réglementaire en vigueur dans la zone UMOA n’oblige une banque à mettre
en place un système dual : PCA et DG. Celui-ci est-il un gage de bonne
gouvernance ? Pas forcement. En vérité, il n’y a pas une solution unique
mais des méthodes qui sont meilleures dans différentes situations.
La circulaire n°005-2011/CB/C du 04 janvier 2011 relative à la
gouvernance des établissements de crédit de l’UMOA, précise en sus des
dispositions du droit commun que « l’organe délibérant doit être composé
notamment de membres capables de porter un jugement indépendant sur les
activités de l’établissement ». Que dire alors des cas
d’administrateurs salariés dans le conseil d’administration de certaines
banques ? Leur indépendance saurait-elle survivre à leur lien de
subordination ? Cette circulaire de la Commission Bancaire reprend à son
compte une disposition de l’Acte uniforme notamment celle qui attribue
au conseil d’administration la mission de fixer les rémunérations du
Directeur Général et le cas échéant du Directeur Général Adjoint
(article 5 point 3 de la circulaire sus visée). Au menu de leurs
travaux, les administrateurs doivent inscrire au moins deux fois par an
un point sur la gouvernance d’entreprise. A l’occasion, ils devraient
intégrer en leur sein des administrateurs indépendants, libres de tout
intérêt (c’est-à-dire non-salariés, non actionnaires et déconnectés de
tout lien politique et corporatiste), dont le nombre est limité au tiers
des membres du conseil (art 417 de l’OHADA). La Circulaire n°
003-2011/CB/C du 04 janvier 2011 de la Commission Bancaire fait
obligation à l’organe délibérant de créer le Comité d’Audit (art 6 de la
circulaire) et de veiller à ce que ce comité soit « principalement
composé d’administrateurs non-salariés ».
Pour renforcer la gouvernance
au sein des banques, il nous semble judicieux de veiller à l’assiduité
(disponibilité) des administrateurs et à leur engagement (participation)
lors du débat des différentes séances du conseil d’administration.
La circulaire de la Commission Bancaire n°005-2011/CB/C du 04 janvier
2011 recommande en son article 5 point 5 que « les fonctions de
Président du Conseil d’Administration et de Directeur Général soient
assumées par des personnes physiques différentes. Cependant, lorsque le
Conseil d’Administration est dirigé par un Président-Directeur Général,
celui-ci doit veiller à assurer une gestion transparente de la société
vis-à-vis des autres parties prenantes, et à ne pas entraver l’exercice
par le Conseil d’Administration de son rôle de contrôle de la gestion de
la société. » A la pratique, certaines banques de la zone continuent de
fonctionner avec l’unicité de direction (PDG) sans qu’il soit prouvé
qu’elles soient moins bien gérées que celles qui ont opté pour le
système dualiste. Mieux, certains dirigeants qui avaient opté pour la
cohabitation (PCA/ DG) avaient plongé leur banque dans un coma profond
(administration provisoire) qui a failli leur être fatal. Les
interférences de rôles et de pouvoirs entre les deux organes sociaux
peuvent se prolonger au niveau du personnel bancaire, s’amplifier et
même dégénérer en conflits de personnes, sectionner la banque en clans
et ainsi détériorer gravement le climat social au sein de l’entreprise.
En vérité, l’essentiel est ailleurs. Des questions de fond existent, à
savoir, d’où ça vient et où ça va aller.
Conclusion
Il n’y a pas de recette «clé en main» ni de solution « passe partout ».
Chaque établissement bancaire, à ses réalités. Antoine de Saint-Exupéry
prévient : « Voyez-vous dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a
des forces en marche : il faut les créer, et les solutions les suivent. »
Dans la nouvelle dynamique en marche, il faut simplement éviter tout
atterrissage forcé sur la piste bancaire. Tout comme, il faut
s’affranchir des remises en ordre inutilement spectaculaires, dont on
doit faire l’économie avec une dose raisonnable d’explication,
d’ouverture et d’humilité. Pas plus d’ailleurs que les accusations
excessives, les amalgames maladroits et les revanches dissimulées
doivent être proscrits.
Est-il vrai que le pouvoir donne des envies et fait des envieux ?
La persistance d’une fêlure béante dans la gouvernance bancaire ne peut
qu’avoir des effets dommageables sur l’image et la réputation des
établissements adressés. Dans ce contexte, personne ne doit se réjouir à
ce que les bouleversements attendus ou suscités produisent leurs effets
contraires à la faveur d’un assaut décisif et mal inspiré. Pour autant,
personne ne doit tirer intérêt à une gouvernance approximative, hors
des standards internationaux, si tant est que les motivations sont
fondées, réelles et fécondes. C’est dire que le double postulat avancé
n’est pas simplement circonstanciel. En effet, rien n’assure aux
survivants d’aujourd’hui qu’ils ne seront pas les victimes de demain.
Plus sérieusement, chacun doit se convaincre que si le vent du
malentendu souffle sur l’étincelle des rancœurs, s’allumerait alors un
brasier dont personne ne pourrait présumer l’ampleur et les limites. La «
théorie du chaos » explique qu’une variation minime dans le mouvement
d’éléments liés entre eux peut provoquer des effets en cascade aux
conséquences incalculables. A notre humble avis, les enjeux sont plus
importants que les ambitions personnelles. Il faut s’élever au-delà des
intérêts partisans, éviter les chocs des ambitions et briser le climat
de défiance qui pourrait s’installer.
Pour une autre raison, la sérénité est nécessaire. Elle est même
indispensable à l’exercice de l’activité bancaire. Comme le rappelait,
trivialement, un commerçant guinéen : « l’argent a peur du bruit ».
La vie, d’une personne physique ou morale, n’est jamais un fleuve
tranquille. C’est une course de fond, avec plusieurs « check point » sur
le passage, qui requiert de l’endurance et de l’humilité. Gardons-nous
de compter les poussins avant que la poule n’ait pondu les œufs !
Rien ne peut remplacer la patience. Tout comme, rien n’est aussi
préjudiciable que la résignation. Il faut trouver une ambiance nouvelle
dans le cadre d’une confiance retrouvée. Pour ce faire, Il faut se
détacher de l’émotion, anticiper et minimiser les distorsions. Les mots
doivent être choisis et raisonnés. Les actions, au long cours, qui s’y
rapportent doivent être mûrement réfléchis et partagés. Eviter l’abus
qui résulterait d’un usage excessif de l’autorité. S’affranchir du
laxisme qui pourrait naître d’une trop grande mollesse des actes. Tels
sont les gages, nous semble-t-il, de lendemains plus apaisés pour la
gouvernance des banques maliennes.
Pour mimer une écologiste française,
oui à une gouvernance de combat, non à une gouvernance de coups bas.
Un benchmark de la pratique de la gouvernance bancaire en Afrique ne tranche pas le débat. Au demeurant, il démontre que le choix entre la gouvernance réunie (PDG) et la gouvernance séparée (PCA et DG) n’augure en rien de la qualité de la gestion des banques.
RépondreSupprimerVisitons quelques cas :
– CAS DE “MONISTE”: Les trois “champions bancaires” du Maroc sont tous dirigés par un PDG. A travers leurs implantations dans la zone UEMOA et particulièrement au Mali, ils contrôlent une partie essentielle du secteur bancaire. Il s’agit de Attijariwafa Bank (7ème banque de l’Afrique) dirigée par Mohamed El KETTANI, PDG depuis septembre 2007 ; de la Banque populaire (8ème sur le continent) dirigée par Mohamed BENCHAABOUN, PDG du groupe Banque Populaire depuis février 2008 et la Banque marocaine du commerce extérieur (11ème sur le continent) dirigée par Othman BENJELLOUN, PDG de BMCE Bank depuis sa privatisation en 1995.
On peut en dire de même d’autres pays d’Afrique du Nord. En Tunisie, la Société tunisienne de banque (STB) qui est la première banque du pays (5 milliards de $ d’actifs) est à capitaux majoritairement publics. Elle a été dirigée par 18 PDG depuis sa fondation en 1957. En Algérie, on peut citer la Caisse nationale d’épargne et de prévoyance, le Crédit populaire d’Algérie, la Banque de l’agriculture et du développement rural… Le même constat peut être fait en Afrique du Sud qui aligne depuis plusieurs années un trio de tête sur le podium africain.
– CAS DE “DUAL”: Ecobank (ETI) est un cas concret de cette forme de gouvernance séparée (PCA et DG). Les récents évènements de gouvernance qui ont traversé la « banque panafricaine » et qui continuent de la secouer suffisent pour analyse. Tout comme le récent rapport du FMI dont la « fraîcheur » des constats semble être mise en cause.